Pour mater la hausse des loyers et la solitude urbaine, la colocation est la solution en vogue. Parmi les aficionados du loyer partagé, comment se débrouille la tribu des  » hommes entre eux  » ? Témoignages.

C’est devenu une tendance lourde dans les centres urbains. Après Barcelone, Paris ou Londres, métropoles aux loyers exorbitants, Bruxelles s’y met franchement. Encore timide il y a moins de dix ans ou réservée aux étudiants, la colocation gagne en effet des galons auprès des jeunes actifs. En 2007, le Centre d’information des organisations de consommateurs (Crioc) confirmait le phénomène à la faveur d’une étude sur le sujet. Qui indiquait par exemple que 4 Belges de plus de 17 ans sur 100 pratiquaient le vivre-ensemble et qu’un Belge sur cinq y avait déjà goûté. En période de récession économique et de hausse des loyers, la demande n’est pas prête de fléchir. Les raisons invoquées : alléger les dépenses, gagner de l’espace et contrer la solitude sans virer Tanguy. Constat posé, quelle vie se cache derrière ces chiffres ? Quelles habitudes et comportements cette nouvelle manière d’habiter provoque-t-elle ? Bien que la colocation soit majoritairement mixte, comme l’observe Baptiste Intsaby responsable du site appartager. com (lire interview page 82), Numéro spécial Homme oblige, nous nous sommes infiltrés auprès de la tribu glamourisée par Entourage, la série HBO du moment : les hommes entre eux.

Le nerf de la guerre.

L’argent est la première raison invoquée par les colocataires pour justifier leur choix. Des loyers de 25 % à 40 % moins cher, comme l’indique l’étude du Crioc, ce n’est pas anodin.  » Quand tu te lances dans la vie professionnelle et que tu vois le prix des apparts à Bruxelles, t’as vite fait ton choix « , dit Daniel, 26 ans, animateur sur NRJ. En coloc’ à Bruxelles avec Renaud, 25 ans, producteur et écrivain en herbe, Daniel a débarqué de son Québec natal il y a trois ans, forcément influencé par les m£urs anglo-saxonnes. Où la colocation n’a plus rien d’exotique. Preuve que son intérêt était surtout financier, il s’apprête à  » rompre  » avec Renaud,  » en toute amitié « . Ce dernier aurait bien continué l’aventure mais comprend :  » Daniel vient de recevoir une promotion au boulot et une voiture de société, il a envie de plonger dans le monde adulte, de se prendre son appart’ en solo.  » Une phrase qui en dit long. La coloc’ sert en quelque sorte de béquille pour alléger la phase d’incertitude et d’impréparation entre les études et la  » vraie vie « . Une béquille financière, mais pas seulement. Conviviale, aussi. Exclusivement, parfois.

Comme pour Marc, Patrick et Kevin, deux employés dans le secteur des médias et un employé de la Commission européenne approchant la trentaine :  » On gagne bien notre vie, explique Marc. On n’a juste pas envie de se retrouver seuls comme des cons devant notre glace, devant la télé ou à table.  » Du coup, la bande de potes se paie le luxe de crécher dans une grande maison à Schaerbeek, 1 250 euros mensuels, sans les charges,  » avec une vraie cuisine, une vraie salle de bains, Internet à haut débit et toutes les chaînes du câble « . Et plus question de vivre comme des étudiants. Même si la formule de la colocation ressemble méchamment à celle du kot, les règles de vie sont sensiblement différentes.

Partage des tâches?

François, 27 ans, journaliste sportif qui partageait jusqu’il y a peu un 270 m2 à Ottignies avec deux ingénieurs civils frais émoulus, commente :  » Nous avons tous les trois kotés durant notre cursus universitaire. Nous avions envie de poursuivre la vie en communauté, mais en faisant évoluer le principe. C’est-à-dire : finis les bouteilles d’alcool dans tous les sens, le sol crasseux et les guindailles endémiques. On s’arrange pour avoir un endroit propre, où l’on respecte la vie et le sommeil des autres. Mais où il fait bon vivre, avec l’opportunité de faire encore des trucs festifs comme prendre l’apéro ensemble en revenant du boulotà Rentrer chez soi seul, dans un appart’ vide, je trouve ça profondément glauque et triste.  » Une autre implication, aussi :  » La relation est plus forte que dans un kot, où tu es de passage, ajoute Patrick. Ici, on a un bail de trois ans. Rien que cette donne change notre approche de la vie à plusieurs. « 

Raison supplémentaire de partager son frigo : la solidarité. C’est le cas de William, 27 ans, qui après des années de vie en solitaire s’est installé avec son meilleur ami, divorcé.  » En plus de vivre dans un plus grand espace, crécher avec un pote t’apporte une présence rassurante, quelqu’un à qui parler. C’est parfois précieux, quand ça ne vas pas trop « , raconte-t-il. A voir le Bronx de son grand appartement, il semble que William ait plus de facilités à remettre de l’ordre dans les sentiments de son camarade que dans son salon.  » Au départ, il faisait la vaisselle, un réflexe sûrement acquis avec sa femme. Puis il a perdu ses bonnes habitudes à cause de moi. On est deux types bordéliques, on assume. Pas de problèmes de partage de tâches, comme ça « , rigole-t-il.

Nettoyer, balayer, astiquer

Par-delà la boutade, le sujet de l’entretien de la baraque peut s’avérer fâcheux. Jusqu’à la rupture. Bernard, 30 ans, banquier, n’en peut plus de son colocataire  » un ami d’enfance, dont je ne connaissais pas le côté gros dégueulasse qui laisse tout traîner. Je cherche ailleurs « . Renaud se souvient pour sa part que la seule dispute qu’il ait jamais eue avec Daniel en trois ans concernait la propreté de la cuisine. Mais, en général, quelques règles de base suffisent à assurer la paix des ménages.  » Il suffit de connaître les manies de l’autre, soutient Floris, 28 ans, qui partage depuis peu avec Sergeï, même âge, un bel espace dans le quartier des Marolles, à Bruxelles. Je sais que Sergeï déteste boire dans des verres avec des traces de calcaire. Au lieu de les laisser sécher, je les essuie. Ça parait con dit comme ça, mais ces petits détails changent tout. « 

Le frigo, autre terrain potentiellement miné. Renaud et Daniel ont mis au point un plan de respect mutuel :  » On ne mange ou boit jamais le dernier exemplaire d’un produit. Par exemple, s’il reste deux bières dans un pack de six, c’est ok, une, c’est tabou. La pizza Dr Oetker aussi, produit sacré, si tu piques celle de l’autre, tu la remplaces dans les 24 heures. « 

Où sont les femmes ?

Mais finalement, pourquoi tous ces garçons, pour la plupart  » casés « , comme ils disent, ne partagent-ils pas le loyer avec leur moitié ? Le sujet les rend prolixes. William :  » Hormis le fait que tu ne peux pas coucher avec ton coloc’, j’ai l’impression de vivre dans un couple idéal. Il y a une présence. Et je peux me retirer dans ma chambre pour me mater un DVD si je suis maussade. Avec une fille, ça ferait tout un foin. La colocation te permet aussi d’être socialement plus actif, de rencontrer plus de gens, de sortir le soir sans avoir de compte à rendre à personne.  » Daniel, depuis plus de cinq ans avec la même fille :  » C’est un choix. Elle ne me voit pas obligatoirement tous les jours, idem pour moi, elle colloque avec une copine de son côté, moi du mien.  » Une tendance qui porte un nom : Daniel et sa copine sont des mingles, contraction de married et single. C’est-à-dire vivre en célibataire tout en étant  » casé « .  » Du coup, on ne s’engueule pas pour une brosse à dents sale ou une carotte pourrie dans le frigo, poursuit Daniel. C’est moins grave avec ton pote. Avec qui tu apprends à moindres ennuis ce qui agace les autres chez toi au quotidien.  » Pas de soucis d’intimité ?  » C’est clair que quand tu décides de préparer un petit plat à ta copine et que ton coloc’ se fait un film dans le canapé juste à côté, ce n’est pas ce qu’il y a de plus romantique. Mais c’est une transition. L’idéal pour moi serait qu’on ait chacun notre appartement dans le même bloc.  » Living apart together, comme disent les Anglo-Saxons. Une étape supplémentaire avant la  » vraie vie  » ou la prochaine norme dans une société aux règles décidément chamboulées ?

Par Baudouin Galler

Hormis le fait que tu ne peux pas coucher avec ton coloc’, j’ai l’impression de vivre dans un couple idéal.

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