Vieux clochers à bulbe, traîneaux l’hiver, calèches au printemps et toujours soixante fermes en activité. Dans cette Haute-Savoie de carte postale dominée par le Mont-Blanc, Megève reste la station privilégiée des têtes couronnées et des stars de Wall Street.

Dès janvier, ils sont tous là, les capitaines et chevaliers d’industrie, les barons de la finance internationale venus se ré-oxygéner et goûter de la poudreuse. Lisez la Tribune de Megève: tout tourne autour des soirées de la jet-set venue transhumer vers les alpages chics de Haute-Savoie. « Megève les Deux Eglises », ce village à la mode depuis un siècle, est devenue le parangon du bon goût, à la fois « trou à vaches » et « XXIe arrondissement de Paris » selon la formule chère à Cocteau.

Son histoire commence en 1912 avec un village qui tire ses ressources de l’élevage et de l’agriculture et de quelques skieurs qui viennent alors gravir à peaux de phoqueles pentes enneigées du Mont d’Arbois. Juste après la Grande Guerre, la baronne Maurice de Rothschild, Noémie pour ses intimes, perturbée à l’idée de rencontrer un baron allemand à Saint-Moritz, la station suisse alors à la mode, décide de chercher un autre lieu de villégiature. Séduite par Megève et ses montagnes, elle fait construire un luxueux chalet sur le Mont d’Arbois et… un téléphérique pour y accéder. Megève était lancée. Avec les Années folles arrivent Maurice Ravel, le roi Albert Ier, Louis Blériot et… les joailliers de la place Vendôme. La première école de ski ouvre en 1920. On organise des concours: ski, patinoire, bobsleigh (la piste débouche sur la place du village!). Tout va très vite surtout avec Emile Allais, le « sorcier des neiges ». Ce Megèvan devenant champion du monde en 1936 fait beaucoup pour la renommée de la station.

Aujourd’hui que vous soyez skieur émérite ou paisible touriste, il faut s’accordez le plaisir d’une promenade en traîneau, au son joyeux des clochettes, dans les rues de ce gros village savoyard de 5 000 âmes, nombre multiplié par dix en hiver. Voici les images qui figurent dans l’album de la station: la grande place, son église du XIIIe siècle et son clocher vert bronze, la mairie d’inspiration sarde, les vieux ponts de pierre, les lavoirs, les salons de thé. Les amateurs d’Histoire visiteront la boutique Allard où fut créé le pantalon fuseau « de sauteur » et l’office du tourisme reconnu être le plus joli de France. Réputée station élégante, Megève se défend aussi au niveau sportif avec ses 420 km de pistes enneigées, ses 103 remontées mécaniques et une cadence de 100 000 skieurs à l’heure. Décor grandiose garanti devant le Mont-Blanc, les aiguilles de Chamonix, la chaîne de Warens, des Aravis ou le Mont Charvin! Les amateurs de ski de fond se régaleront sur 75 kilomètres de pistes nordiques au double traçage. « Cela fait marcher le commerce », explique Christian, vendeur dans un magasin de sport. « Il arrive que des clients choisissent plusieurs paires de skis pour différents types de neige. Pensez-donc tout cet équipement pour dix jours de vacances. C’est fou! » Au-delà du free-ride, curving, free style ou monoski, Megève n’oublie pas les non-skieurs: toute l’année, des sentiers balisés sont entretenus avec soin. Les moins sportifs prendront la route du calvaire, à travers les sapins, les épicéas et les mélèzes.

Là, un ancien lieu de pèlerinage, dû à la foi et au travail du bon abbé Martin, se veut une fidèle réplique du chemin de croix de Jérusalem. Il retrace en quatorze chapelles les scènes de la Passion agrémentées de personnages sculptés dans le bois et peints avec la délicate naïveté du baroque de montagne. En toile de fond, le Mont-Blanc, omniprésent, ressemble à un gros chat blanc qui sommeille. « On vient à Megève de plus de quarante pays dans le monde », confirme Robert, guide en raquettes. Cinq personnes le suivent dans la neige fraîche sur leurs grilles ajourées et admirent au passage les courbes du mont Joly et du Jaillet. « Il faut aussi venir en été, pendant les grandes vacances, quand on mène les vaches à l’alpage. Les bêtes vont brouter la gentiane, la nigritelle, toutes nos bonnes plantes odorantes. » Aux premières brumes de l’automne, elles reprendront la même route pierreuse vers la vallée. « Mais les vaches, ce n’est pas l’avenir  » commente Robert dans un sourire qui éclaire son visage hâlé. Ici du moniteur de ski à l’agriculteur, du commerçant à l’artisan, chacun sait que son niveau de vie dépend des hôtes de marque de la station, cette manne tombée du ciel. « On rit parfois de nous avec notre mentalité travailleuse! Mais ça ne m’empêche pas d’aller prendre un casse-croûte à l’hôtel-restaurant Les Fermes de Marie », ajoute-t-il en riant. « Megève est une principauté » résume t-il! A 7 000 euros le mètre carré, difficile de trouver un chalet à vendre en dessous des 350 000 euros. Comblée des dieux, Megève a un sourire en or massif. Luxueuse, la station reste néanmoins attachée au plancher des vaches et à des traditions dont elle entend assurer la pérennité. Dans les soixante exploitations agricoles, on fabrique notamment de la tomme, du beaufort et du reblochon, tous fromages de grande réputation. Ces autochtones qui jonglent avec le caviar et la bouse, on peut les retrouver au marché du vendredi matin. Il se tient dans la plaine de l’Arly, au pied du Jaillet avec les aiguilles de Warens à l’arrière-plan. Facile de trouver son bonheur parmi les cent commerçants qui animent ce marché des neiges. Le coin des petits producteurs est au fond. Guillaume vend des crottins. « J’ai un élevage de 40 chèvres à l’entrée du village. L’hiver, je suis moniteur de ski, mon beau-frère fait le taxi avec sa calèche. » Au stand voisin, Nicole a disposé artistiquement ses pots de miel de montagne, d’acacia et de tilleul, des sacs de tisane, les griottes du pays à l’eau-de-vie. Sa copine Dorothée vend des confitures de myrtilles. « Je pars sac au dos fin août sur les sommets de Megève pour cueillir les myrtilles dans la forêt. » Elle propose aussi un confit de pétales de fleurs de pissenlit. Et le vin de Savoie fruité? Monsieur Bouvier, un petit viticulteur d’Apremont, propose sa récolte: 3 euros la bouteille. Pour accompagner la raclette ou plus simplement en apéritif. A Megève, pour ceux qui répugnent à risquer une entorse du genou, il reste de nombreuses possibilités de lever le coude…

Texte: Michèle Lasseur, Photos: Sylvain Grandadam [{ssquf}]

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content