Melting pot city
» Laissez les bons temps rouler » et découvrez l’une des villes les plus
atypiques des États-Unis. Influences africaines, espagnoles et françaises se mêlent au blues descendu des plantations et au jazz dont la ville est le berceau. Ici, le rythme dans le sang et dans la peau n’est pas une légende.
Promenez-vous à La Nouvelle-Orléans et vous serez à coup sûr appelé par les cuivres rutilants d’une fanfare. Surmontant la catastrophe engendrée par le passage de l’ouragan Katrina, le 29 août 2005, la cité engloutie a séché ses plumes de carnaval, secoué ses grelots et retrouvé sa joie de vivre. Certes, il y a eu de nombreux enterrements, des adieux et des départs forcés. Mais fidèle à la tradition des » Jazz funeral « , le cortège finit toujours par chasser son chagrin sur des notes endiablées à la fin de la cérémonie. L’âme de La Nouvelle-Orléans a survécu, habitée par ses héros, Sidney Bechet, Louis Armstrong, Fats Domino, la famille Marsalis et les frères Neville, Harry Connick Jr, Tennessee Williams, dont on célèbre le centenaire de la naissance cette année, et bien d’autres. » La culture ne meurt pas « , nous explique Charmaine Neville, rescapée de Katrina, qui porte le flambeau musical du groupe de rhythm and blues formé par son père et son oncle.
Depuis, et peut-être à cause de Katrina, la vie a repris de plus belle dans la » cité du croissant « , qui tire ce surnom de la courbe du Mississippi. Willie Picket a remis sa chemise à fleurs et son chapeau de paille pour conduire sa calèche dans les ruelles étroites aux noms français du Vieux Carré : Royal, Chartres, Dauphine. L’animation est revenue au Café du Monde, la grande halle ouverte du Quartier français, qui sert de succulents beignets chauds sous des monceaux de sucre en poudre. La nouvelle New Orleans laisse à nouveau » les bons temps rouler « , comme on dit en cajun… Un trompettiste joue les grands standards du jazz américain tandis qu’une parade humaine improvise le spectacle, ici un pirate des Caraïbes à la recherche de son navire, un peu plus loin la mort avec sa faux qui se faufile, sans pour autant perturber les fêtards aux terrasses des bars et des restaurants.
Fondée en 1718, la ville baptisée ainsi en l’honneur du duc d’Orléans est un spécimen à part aux États-Unis, un carrefour des cultures européennes, africaines et américaines. Les Français s’enorgueillissent des façades colorées et des balcons en fer forgé du centre historique… Mais l’architecture est en réalité d’influence espagnole. Les demeures de charme qui font la fierté de la ville dissimulent derrière leurs murs et dans leurs arrière-cours le passé esclavagiste de la Louisiane. Y sont nées les cuisines créole et cajun, un mélange de saveurs africaines, françaises, espagnoles et portugaises. Dégustez le plat le plus célèbre, la jambalaya, appelée la paella du Nouveau Monde, une recette de riz à base de viande, de saucisses et de fruits de mer où le safran a été remplacé par les épices locales. Ou le po-boy, un sandwich à l’écrevisse ou à la crevette servi dans une baguette française.
La ville se découvre à pied ou à bord des fameux Streetcars, sortis tout droit d’ Un tramway nommé Désir, le roman de Tennessee Williams. Rendez-vous sur Jackson Square, devant la vieille cathédrale Saint- Louis, avant de s’enfoncer dans les rues rectilignes du Vieux Carré, flâner devant ses galeries d’art et ses boutiques de souvenirs ou prendre un verre dans l’ambiance délurée de Bourbon Street. Sautez dans le tramway de St Charles Avenue en direction du bien nommé Garden District, le quartier des jardins, un havre de paix situé entre Louisiana Avenue, Carondelet Street, Josephine et Magazine Street. Ce quartier élégant et fleuri de bougainvilliers doit sa renommée à ses impressionnantes propriétés de style victorien et en particulier » néo-Renaissance grecque « , avec leur fronton triangulaire et leurs colonnes blanches en façade. Asseyez-vous sur un banc pour profiter de l’ombre des grands chênes, en admirant de magnifiques maisons » antebellum « , soit d’avant la guerre de Sécession. Elles servaient de pied-à-terre aux propriétaires des plantations de coton pendant les mois d’hiver et les fêtes importantes comme le Mardi gras. Dans ce Vieux Sud pétri de légendes, il se murmure que ces grandes bâtisses sont hantées tout comme les cimetières de l’époque espagnole.
De l’autre côté de Canal Street, en quittant le Quartier français, la revanche de la Big Easy est frappante : ici d’anciens entrepôts désaffectés ont été rénovés en galeries et lofts. L’avant-garde des artistes locaux y a pris ses marques. Dans ce Warehouse District, la foule disparaît pour faire place aux explorateurs d’art contemporain et d’histoire. En longeant ses hauts murs sans ombre, on trouve le Musée Ogden de l’art sudiste (Ogden Museum of Southern Art), le Centre des arts contemporain et émergents (Contemporary Arts Center) et le Musée national du D-Day. Le c£ur de Magazine Street, en direction du Garden District, bat lui sur le tempo de ses cafés branchés et boutiques vintage qui attirent la jeunesse locale.
La criminalité a fortement chuté dans cette cité des plaisirs dont la réputation laissait parfois à désirer. Aujourd’hui, elle s’apprécie sans modération, au rythme du jazz, du blues, du zydeco cajun, du rock et toutes leurs variations. En soirée, il faudra éviter les excès d’alcool et de décibels de Bourbon Street et leur préférer les clubs de Frenchmen Street. Les amateurs auront l’embarras du choix. Oh When the Saints, Go Marching In, When the Saints Go Marching In… Au d.b.a., le jazzman Glen David Andrews alterne chant et trombone et met le feu au public. Il est originaire du quartier noir de Treme tout proche, comme plusieurs générations de musiciens avant lui, à qui il rend hommage. » Si vous voulez écouter du jazz original, allez au Palm Court Jazz Cafe dans le Vieux Carré ou au Preservation Hall, confie-t-il en coulisses. Là-bas, il n’y a pas de micro, d’amplificateur ou d’air conditionné. Juste la musique et la sueur… » Un peu plus loin, Charmaine Neville enivre la salle dans l’ambiance suave du Snug Harbor. Difficile de croire qu’elle est déjà grand-mère et veille sur l’héritage de La Nouvelle-Orléans. » Vous entendez toujours les influences de Professor Longhair, de Fats Domino, des frères Neville, de la famille Batiste. Ces noms ne disparaîtront jamais car de nouveaux musiciens naissent tous les jours ici. » Le Rebirth Brass Band, fondé par les frères Frazier à Treme en 1983, incarne cette renaissance et intègre sans complexe jazz, funk, soul et hip-hop. À apprécier tous les mardis au Maple Leaf sur Oak Street.
La jeune violoncelliste belge Helen Gillet n’est pas étrangère à ce melting-pot. Arrivée en 2002 à La Nouvelle-Orléans, elle fut parmi les premières à y revenir après Katrina. Coup de chance, elle vit désormais dans le Musicians Village, cette nouvelle zone de logements en bois construite par le programme local Habitat for Humanity. Ses mentors sont le grand contrebassiste James Singleton et Smokey Johnson, l’ancien batteur de Fats Domino. » De nouveaux liens musicaux se sont créés après l’ouragan. Les musiciens de La Nouvelle-Orléans sont très accueillants. C’est une ville où les musiciens les plus âgés ont l’habitude d’enseigner aux plus jeunes « , s’enthousiasme notre compatriote, qui redonne vie à la chanson française sur Frenchmen Street.
De l’autre côté des digues du canal s’étend le Lower Ninth Ward, la partie basse et pauvre de la ville ravagée par Katrina. Au sein de ce no man’s land fantomatique, les maisons » Brad Pitt » comme on les appelle ici font figure d’extraterrestres. Financées par Make It Right, la fondation de l’acteur hollywoodien, ces habitations au style futuriste sont bâties selon des normes écologiques, sur pilotis et recouvertes de panneaux solaires. Elles représentent espoir et avenir pour une centaine de familles revenues coûte que coûte sur leur terre d’origine après la catastrophe. Car pour conjurer toutes les épreuves infligées, La Nouvelle-Orléans veille plus que jamais sur les traditions.
Par Elodie Perrodil
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