Même Messi porte des protections!

Lisette Lombé © karel duerinckx

Lisette Lombé se promène sur le même bitume que tout le monde… mais son regard y distingue d’autres choses. Elle nous livre ici ses humeurs poétiques.

Chaque année, c’est le retour de la même boule compacte à l’estomac lorsque la course folle des rentrées de septembre a été lancée! Flux d’informations, flot d’obligations. Il faut ruser pour garder la tête hors de l’eau et ne pas surchauffer. J’avoue que je suis contente de faire partie d’une génération de mères qui se sentent de moins en moins coupables d’être en recherche d’économie d’énergie et qui revendiquent une diminution de charge mentale dans tous les pans de leur vie. C’est l’addition de gestes simples qui, au final, nous soulage un peu des injonctions sociales chronophages.

Je revois la jeune femme perfectionniste et ordonnée que j’étais, achetant à ses fils des chemises de premiers communiants qui prenaient une plombe à être repassées ou traquant les bulles d’air qui se formaient sous le papier translucide de la couverture des cahiers et pestant jusqu’à ce que la surface soit parfaitement lisse. Comme si un mauvais pli ou un centimètre carré de plastique gondolé pouvaient faire de moi une personne négligente.

Aujourd’hui, j’achète des vêtements conçus dans des matières infroissables et je récupère les couvertures de cahiers prêtes à l’emploi de l’année précédente. Ce qui est neuf, c’est qu’on peut se plaindre, partager la fatigue, dire ce qui se passe en coulisses, derrière la photo de rentrée idyllique. Des bédéistes célèbres, des blogueuses, des essayistes tracent pour nous des sillons d’expression. C’est vital, en tant qu’adultes, d’apprendre à se délester de ce qui a perdu du sens d’une génération à l’autre.

C’est qu’il va falloir ménager sa monture pour la reprise des cours de danse, de piscine et des entraînements de football. Il va falloir enfiler son uniforme de maman taxi. Uniforme invisible. Moi, pour me donner du courage, je pense à mes propres parents qui passaient leurs week-ends à conduire leurs trois enfants aux matchs et aux compétitions sans broncher. Autre époque où avoir la tête dans le guidon paraissait moins invivable qu’aujourd’hui. J’essaye de ne pas lutter, d’accueillir. J’essaye d’accepter ce nouvel agenda qui se superpose à mon propre emploi du temps. Ce n’est pas comme si ce n’était pas prévu. Les déplacements liés aux activités extrascolaires font partie du package de la parentalité. Je traque les espaces vides, les heures creuses. Elle m’appartiennent. Espace pour souffler, espace pour prendre soin de soi ou pour ne rien faire. C’est compliqué, ça, de ne rien faire…

J’observe comment la confiance en soi, l’estime de soi, l’abnu0026#xE9;gation, le courage se polissent ici.

J’écoute les papas et les mamans en bordure de pelouse. Mes trottoirs philosophes sont bordés d’herbes. Mêmes paroles que dans n’importe quel lieu où des personnes doivent attendre. On cause de l’actualité, des surprises du mercato, du prix des abonnements qui flambe, du vaccin obligatoire pour assister aux matchs… Je capte cette impatience face aux mômes qu’on rêverait plus dégourdis. « Je ne sais pas ce qu’il lui faut pour que le franc tombe! Moi, à son âge…! » Je capte les reproches larvés pour les distraits. « Tu sais, moi, je range mes affaires! Ça m’évite de devoir demander des affaires aux autres! » Je note les encouragements. « C’est bien ça, gamin! » Je trouve ça fantastique tous ces encouragements. J’observe comment la confiance en soi, l’estime de soi, l’abnégation, le courage se polissent ici. Moi, je me tais. Je me fais discrète. Mes encouragements sont comme enfermés en dedans. Peur de mettre mal à l’aise le gamin, peur que le timbre de ma voix ne trahisse mon amour inconditionnel de mère poule.

Je me souviens qu’une fois, je suis sortie de ma réserve et que j’ai failli monter sur le terrain. Voir l’un de mes fils s’effondrer, se rouler au sol en hurlant, se tenir le tibia. J’ai gueulé sur l’arbitre et j’ai traité le joueur qui venait de faire le tacle de sale joueur. Comme dans la vraie vie, les vilaines fautes qui n’écopent pas de cartons rouges nous transforment en bombes. Je ne me suis pas reconnue. J’ai repensé à mon père qui était monté une fois sur le terrain de basket et qui avait obligé mon petit frère à quitter le match. Je me souviens de ma honte d’adolescente. Je ne pouvais pas encore comprendre ce que contenaient les expressions « voir rouge » ou « la chair de ma chair ».

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