La grande dame de la lingerie sait (dés)habiller les filles. Une armée de ses avatars envahit la scène du Crazy Horse tandis que la créatrice joue les relookeuses amusées.  » Chantalgoescrazy  » in extenso.

Il y a belle lurette, quand elle était très jeune, Chantal Thomass avait refusé la proposition tapis rouge que lui avait faite monsieur Bernardin de revisiter sa revue. Elle avait poliment dit non,  » trop de sexe « , un peu de trouille et puis surtout elle n’avait absolument pas envie d’être coincée au rayon lingerie. C’était l’époque bénie des années 70, elle faisait alors du prêt-à-porter et si elle commettait quelques dessous affriolants avec noeuds, froufrous et dentelle, c’était pour les afficher par-dessus, pour le plaisir et la légèreté, réinventer une jupe, une silhouette, mettez-moi du rire dans tout ça. Quelques décennies plus tard, elle n’a pas eu besoin de s’offrir le temps de la réflexion quand le Crazy Horse lui a fait de l’oeil à nouveau, elle a accepté sans hésiter. A elle donc de repenser quatre tableaux, rhabiller un tant soit peu les filles de ce cabaret scintillant, relooker le début, choisir de donner le la en tartan, pour l’entame, elles se pavaneront en kilt, mais mini, parce que  » les Ecossaises croient à l’Europe « . Chantal Thomass a donc  » changé de petites choses  » pour que la revue colle à son image, plutôt de profil, comme son logo dessiné en 1981 par Benoit Devarrieux,  » publicitaire de génie « , les danseuses porteront une perruque jais, coupe au carré, lèvres mates et sanguines, jeu de contraste masculine-féminin. S’il lui a fallu adapter les modèles qui font son succès, c’est pour la simple et audacieuse raison que tout cela ne s’ôte pas de la même manière selon qu’on est sur scène ou à la ville. Dans le feu de l’action, au Crazy, cela doit s’enlever par devant,  » gracieusement et très facilement « , elle a tout revu et corrigé, en prenant du recul. Car ce qui se conçoit pour l’intime n’a pas le même effet sous les spots, Chantal a l’oeil. Dans la vie, aussi. D’où ces quatre règles auxquelles elle ne déroge pas. La première : ne jamais sortir sans maquillage, ça date de quand elle était toute jeune, puisqu’elle ne se trouvait  » pas jolie du tout « , que la mode était au rose nacré et qu’elle n’avait  » pas une bouche assez pulpeuse pour en mettre « . Elle invente la parade, elle s’inspire des années 20, de Louise Brooks, de Kiki de Montparnasse, de  » toutes ces femmes avec une vraie personnalité « , elle se dessine une bouche rouge mate,  » et c’est resté « . Deuxième règle : ne pas faire comme tout le monde, ça remonte à l’après-Mai 68, quand les féministes brûlaient leur soutien-gorge, elle qui n’en avait pas porté pendant des années décide d’en glisser dans sa collection qui défile.  » J’ai créé des pièces de lingerie comme des accessoires, des porte-jarretelles pour mettre sous des jupes fendues, des choses très extravagantes « , elle a 25 ans et le monde à ses pieds,  » je ne pensais pas les commercialiser mais cela a plu…  » A un point tel qu’elle entre dans l’Histoire, au rayon créatrice de dessous, elle est alors la seule. Pourtant elle a failli tout plaquer –  » Je trouvais qu’on en parlait trop, et pas assez du prêt-à-porter. Je ne voulais pas être cataloguée lingerie, malgré moi, je le suis.  » Aucun regret toutefois, sauf peut-être d’avoir refusé de poser pour Helmut Newton, qui insista pourtant.  » Franchement, j’ai été bête, je devais me trouver un petit peu trop grosse, deux kilos… on fait des erreurs dans la vie.  » Troisième règle : s’amuser. C’est ainsi qu’elle signe un lampe pour Berger, un lit pour Treca, du maquillage pour Nivea, des suites pour l’Hôtel Pradey, une canette pour Coca-Cola Light, des pièces en Thermolactyl pour Damart, sous prétexte – et pourquoi pas – que toute nouveauté l’enchante. On l’a même vue défiler pour Manish Arora, collection automne-hiver 2016, avec un air gouailleur qui disait son bonheur. Quatrième règle enfin mais qui serait plutôt de l’ordre du conseil, l’unique qu’elle ait à partager :  » Rester soi-même et faire ce que l’on aime « , on prend.

Chantal Thomass met le Crazy Horse  » Dessous Dessus « , jusqu’au 31 décembre prochain.

www.lecrazyhorseparis.com

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » JE NE VOULAIS PAS ÊTRE CATALOGUÉE LINGERIE, MALGRÉ MOI, JE LE SUIS.  »

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