Chiffre d’affaires et créativité à la hausse ! Les salons de Bâle et DE Genève, qui se sont succédé en avril dernier, ont témoigné de la bonne santé de l’horlogerie suisse. Pleins feux sur les nouveautés… Pour le plus grand bonheur des aficionados de belles mécaniques et de bijoux de rêve.

L’ horlogerie suisse a le moral ! En avril dernier, les présentations qui ont eu lieu aux salons de Bâle et de Genève témoignaient d’un réel optimisme : après plusieurs années difficiles, l’exportation de montres et de pièces détachées suisses a en effet à nouveau le vent en poupe. Pour preuve, le cap des 11 milliards de francs suisses (7,1 milliards d’euros) a été franchi en 2004. Quant aux marchés américain et asiatique, ils ont affiché la plus belle remontée, réalisant à eux deux plus de 60 % du chiffre d’affaires.

Autre excellente nouvelle pour l’horlogerie suisse : la croissance est surtout à imputer aux coûteuses montres mécaniques. Si, en termes de chiffres, celles-ci ne recouvrent qu’une part de marché insignifiante par comparaison avec les montres à quartz, elles n’en représentent pas moins de 60 % du chiffre d’affaires.

Un nouvel âge d’or

Grâce au succès croissant des modèles mécaniques et à l’utilisation de matériaux nobles et de techniques d’ornementation artisanales (guillochage, gravure…) dans la fabrication de ceux-ci, le prix moyen des montres est en augmentation depuis quelques années déjà. Et, d’après ce que l’on a pu observer aux derniers salons de Bâle et de Genève, la tendance n’est pas près de s’inverser. Parmi les nouveautés, l’on avait rarement vu autant de garde-temps mécaniques (automatiques). Et il est aussi à noter que les chronographes et autres mécanismes complexes, tels que le second fuseau horaire ou la répétition minute, ne sont désormais plus le fait d’un club restreint d’horlogers d’élite, comme c’était le cas auparavant. Ces derniers sont dès lors obligés de placer à leur tour la barre plus haut encore. Vacheron Constantin a pourvu sa Tour de l’Ile de deux cadrans, l’un au recto, l’autre au verso, et ce, dans le seul but de rendre plus facilement lisibles les seize systèmes sophistiqués que contient le mécanisme.

 » Les maisons d’horlogerie classique, dont certaines existent depuis des dizaines, voire des centaines d’années, sont en train de vivre un nouvel âge d’or, confirme Walter von Känel , président de Longines. Apparemment, l’acheteur actuel recherche la sécurité, ce qui l’amène à opter rapidement pour les valeurs sûres.  » Raison de plus pour prendre de l’avance comme l’a fait Longines, grâce, notamment, à sa nouvelle Master Collection : huit montres complexes pour hommes, visant à mettre en évidence la tradition et le savoir-faire technique de la marque. La collection Evidenza, lancée en 2003, s’est vue enrichie de mécanismes ultrasophistiqués tels que l’indication des phases de la Lune et la réserve de marche. Chaque modèle est doté d’un fond de boîtier transparent, permettant d’admirer la technologie mise en £uvre ; une transparence appelée à devenir rapidement une norme dans le segment, comme ce fut le cas avec les éditions limitées.

Se distinguer de la masse, tel est le credo de nombreux horlogers, ainsi que l’admet volontiers Marc Hayek, patron de Blancpain et fils de Nicolas Hayek , magnat du Groupe Swatch.  » Les montres à mécanisme complexe û en édition limitée ou non û garantissent une exclusivité certaine à une marque, tout en obligeant celle-ci à repousser ses propres limites, souligne-t-il. De tels mécanismes faits à la main ne peuvent être exécutés que par des spécialistes. Nous ne pouvons pas nous permettre de réaliser des tourbillons par centaines à moins de revoir nos normes à la baisse. Avec une production de moins de 10 000 montres par an, un certain niveau de prix est donc inévitable.  »

Toujours selon Marc Hayek, le fait que certaines maisons de haute couture ou de joaillerie û comme Louis Vuitton, Piaget et, depuis cette année, Chanel et Van Cleef & Arpels û fabriquent également des tourbillons, ne constitue pas nécessairement une mauvaise chose.  » Ces maisons rendent les mécanismes complexes attirants aux yeux d’un certain public qui, s’il ne connaît pas vraiment bien le produit, aime à sortir du lot, confie le patron de Blancpain. Cela étant, ses connaissances s’étofferont peu à peu, notamment grâce aux médias et à Internet. Le secteur de l’horlogerie se protège nettement moins désormais. L’information est devenue pour nous un aspect très important. Il n’est dès lors plus exclu qu’un client de Chanel atterrisse un jour chez nous.  »

Les maisons de haute couture ne sont pas les seules à repousser les frontières. Les horlogers traditionnels tels que Breguet et Girard-Perregaux ont créé, avec leurs Type XXI et Laureato Evo3, des montres contemporaines et sportives. Les grands designers Baume & Mercier et Montblanc sortent cette année des chronographes automatiques. Et des noms à la réputation établie tels que Patek Philippe et Cartier û qui a lancé une montre pour dames en forme de collier û prennent pour cible les jeunes consommateurs grâce à des concepts plus ludiques. Si l’on observe le marché dans sa globalité, on peut rapidement conclure que la tendance est à la remise en question.

 » Notre secteur s’est toujours montré très spécialisé, affirme Christiane Dufour, responsable du développement et du marketing des nouveaux produits chez Cartier, et active depuis trente ans déjà dans la profession. Auparavant, il y avait les horlogers classiques, les grandes marques, les joailliers et les maisons de couture û tous bien distincts les uns des autres. Aujourd’hui, chacun élargit son champ d’action et, ce faisant, s’inscrit dans plus de proximité avec les autres. Design et innovations û qui, dans notre secteur, sont souvent aussi synonymes d’améliorations û ne sont plus désormais considérés comme de vilains mots.  »

Et c’est précisément parce que les consommateurs réécrivent eux-mêmes les règles, qu’il devient, selon Christiane Dufour,  » de plus en plus difficile de les compartimenter. Ils sont beaucoup plus indépendants qu’ils ne l’étaient autrefois et des critères tels que les revenus et l’âge n’ont plus autant d’influence sur leur style de vie et leur comportement d’achat. Ce constat s’appliquant tant aux montres qu’aux vêtements, nous avons dû, nous aussi, revoir totalement notre façon de penser « . Une révolution ?  » Les horlogers n’aiment guère travailler rapidement, embraie Christiane Dufour. Le temps est pour eux une donnée fondamentale, et c’est là d’ailleurs ce qui les distingue des constructeurs automobiles, l’opinion commune en horlogerie étant que ce qui est rapide ne peut être bon.  »

IWC a conclu cette année un partenariat avec Mercedes, partenariat dont on a pu voir les fruits à Genève en découvrant la nouvelle collection Ingenieur : des montres automatiques en acier ou en titane, résistant aux chocs violents et aux forces magnétiques.  » Notre univers a toujours mesuré au maximum 46 millimètres, commente un concepteur de produit de la maison. Notre domaine recouvrait exclusivement les montres de pilote et de plongée. Des partenaires tels que Mercedes ou la Cousteau Society nous permettent d’élargir notre environnement. En effet, nous ne pouvons plus nous permettre de rester confinés dans un créneau si étroit.  »

Au bonheur des dames

Les femmes sont sans doute celles qui profitent le plus des bouleversements enregistrés dans le secteur de l’horlogerie. Des maisons traditionnellement orientées vers la technique telles que Audemars Piguet û qui, l’an dernier, a proposé pas moins de cinq nouveaux modèles pour dames et revient aujourd’hui avec Danaé 1919, une montre sertie de diamants û s’adressent de plus en plus souvent à un public féminin. Même chose pour Girard-Perregaux qui sort un deuxième tourbillon pour dames du nom de Cat’s Eye et présente, en outre, diverses montres-bijoux. Quant à la marque Omega, qui, depuis sept ans déjà, accorde une grande attention au public féminin, elle lance aujourd’hui son Omegamania, montre-bijou en forme de fer à cheval inspirée de la collection de bijoux du même nom.

Le segment moyen se tourne lui aussi entièrement vers les femmes : on voit ainsi, notamment chez Longines, Rado et Tissot (sportives), des modèles pour hommes rendus plus féminins grâce aux bracelets colorés et aux diamants. Tissot lance par ailleurs, avec Flower Power û et les modèles étincelants Precious Flower û une collection complète pour femmes. Dans les deux cas, les montres sont pourvues d’un boîtier feuilleté, dont les différentes parties se déploient tels des pétales de fleur.

 » Il était grand temps que nous nous occupions davantage du public féminin, déclare François Thiébaud, président de Tissot. Le secteur de l’horlogerie a toujours été très machiste. Les montres pour dames étaient en fait des modèles pour hommes, qui avaient été réduits ou adaptés, alors que les femmes n’attendent qu’une chose, c’est que l’on s’adresse à elles selon des critères qu’elles jugent importants, tels que le design, les couleurs et les propriétés tactiles. Et ce, d’autant plus que leur univers s’est considérablement masculinisé ces dernières décennies. Pour elles, les montres sont devenues l’un des moyens par lesquels elles peuvent exprimer leur féminité.  »

Et pourtant… Selon Christiane Dufour, si les diamants et autres pierres précieuses ne sont aujourd’hui plus inaccessibles et si les montres en acier ont rendu le marché de la joaillerie plus démocratique, les montres pour hommes d’allure plus  » technique  » continueront toujours de séduire les deux sexes.  » Toutes nos montres pour hommes trouvent dans une large mesure preneur auprès des femmes, surtout des modèles robustes tels que la Santos, fait-elle remarquer. Dans leur environnement professionnel, notamment, les femmes aiment jouer la provocation en se servant de symboles aussi reconnaissables. Quant aux plus jeunes, ils viennent chez nous non pas pour acheter une montre à la mode à caractère ludique ou une montre sportive pour plongée. Ils sont beaucoup trop sobres pour cela. Non, lorsqu’un jeune achète sa première montre Cartier, il s’agit le plus souvent de l’un de nos modèles les plus connus, les plus classiques, comme la Tank Americaine, par exemple. En d’autres termes, le consommateur n’exige en aucun cas que le secteur prenne l’initiative de tout bouleverser. Un minimum de constance et de fidélité vis-à-vis de la tradition, voilà ce qui sera toujours attendu de notre part.  »

Wim Denolf

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