Loin du passé aztèque et maya et des plages de sable blanc, le Mexique offre une autre facette de sa réalité. Façades baroques et tons pastel rappellent la longue route qui a mené le pays à s’émanciper du joug espagnol, il y a de cela près de deux cents ans.

(1) Mariachi : ce mot dérivé du français  » mariage  » désigne l’ensemble musical composé de guitares,

de cuivres et de voix entonnant

des sérénades pour les amoureux

aux terrasses des bars.

L e voyageur arrive souvent au Mexique, avide d’émotions, de couleurs et d’odeurs… Il est pourtant un itinéraire qui peut le mener vers une tranche passionnante de l’histoire mexicaine. Un itinéraire passant par les hauts plateaux du centre du Mexique, les Etats de Querétaro, Guanajuato et Michoacán que l’on appelle ici le  » Bajio  » (les terres basses). Dans ce véritable berceau du Mexique contemporain, chaque pierre, mais aussi chaque visage rappelle le terrible destin de la population indienne, tombée de 70 à 80 % entre le début de l’ère coloniale en 1520 et 1821, date de l’indépendance du Mexique. Une souffrance partagée avec les  » criollos « , les créoles, nés en terre mexicaine de parents espagnols, subissant également leur lot de discrimination et de frustration. Ce sont ces derniers qui fomentèrent la révolte contre la couronne espagnole…

Sur les routes du Bajio

Sur la route allant de Mexico City à Querétaro à 220 kilomètres de là, il est bon de s’arrêter à Tequisquiapan, une charmante petite cité paisible. Ici, les artisans se bousculent offrant leurs trésors à même le sol des ruelles. Poteries, étoffes et dentelles, ainsi que de nombreux objets en bois peints s’offrent à la vue des passants. Nous sommes dimanche midi, après la messe. En ce début d’été, la chaleur est accablante. Bon nombre d’habitants se sont réfugiés à la grande  » carniceria « . Un accordéon et une guitare envahissent le patio de leur mélodie langoureuse tandis que les hommes, la gorge incendiée, descendent en cadence bière après bière.

Querétaro, la première grande ville coloniale, contraste par son allure de capitale. L’atmosphère n’en est pas moins douce. A l’origine habitée par les indiens Otomis, l’empire aztèque les assimile au XVe siècle. En 1531, elle tombera sous le joug espagnol. Aujourd’hui, cette ville de plus d’un demi-million d’habitants exhale encore les charmes de l’ancienne colonie avec pas moins de 300 édifices historiques. Un couple d’adolescents assis contre un mur ocre sang somnole enlacé sous un soleil immobile. Dans un café de supporters de  » toreros « , des passants s’arrêtent pour grignoter leurs tortillas en admirant les dieux de la  » corrida « . Devant  » El Templo de San Francisco « , une femme vend images saintes, rosaires et reliques. Lui a-t-on jamais raconté qu’à deux pas d’ici, sur l’actuelle Plaza de l’Independenza, le Palacio de Gobierno est la maison où habitait doña Josefa Ortiz, la femme du corregidor, le gouverneur d’alors… C’est chez elle qu’en 1810 les indépendantistes se sont réunis. Le complot découvert, doña Ortiz est enfermée dans sa chambre par son propre époux. Elle parvient cependant à chuchoter par le trou de la serrure à l’oreille du rebelle Ignacio Perez les dangers qui les guettent. Ce dernier galope alors jusqu’à San Miguel de Allende alerter les leaders indépendantistes.

Arrivé à San Miguel, Ignacio Perez avertit un complice, Juan de Adalma, qui part lui-même sur-le-champ à Dolores. Il y trouve le père Hidalgo en compagnie d’Allende. Quatre heures plus tard, le prêtre lance la rébellion. Allende retourne à San Miguel où il est rejoint par quelques centaines de Criollos et d’Indiens. La nuit même, la cité est prise par les rebelles et tous les nobles espagnols se retrouvent derrière les barreaux. La ville est mise à sac. Allende ne peut malheureusement rien faire pour retenir les insurgés en furie… Un épisode rocambolesque qui n’est qu’une des péripéties de la lutte d’indépendance.

Sur la route de montagne en direction de Guanajuato, au nord-ouest, se trouve à 1 850 mètres d’altitude la jolie petite ville coloniale de San Miguel de Allende. Aujourd’hui Ville d’Art et de Lettres, le lieu est la retraite favorite d’une poignée de  » gringos  » (américains). La ville, classée  » monument national « , est belle à croquer avec ses ruelles taillées à flanc de collines et ses arbres aux essences colorées et odorantes. Tout y respire la prospérité… Pourtant, il y a belle lurette que ce ne sont plus les filons des mines d’argent, ni les tanneries qui font vivre la région, mais plutôt l' » Escuela de Bellas Artes  » (école des beaux-arts) fondée en 1938 et l’Instituto Allende bâti en 1951 et drainant chacun de nombreux étudiants étrangers. On peut y flâner des heures durant, pour aller se reposer ensuite dans le  » Jardín « , en fait la  » Plaza Principal « , juste en face de la Parroquia, une curieuse église du XIXe siècle à la façade néogothique édifiée par un architecte indigène. On dit qu’il dessina à même le sable le plan des deux tours tarabiscotées et roses comme des sucres candis que viennent aujourd’hui lécher de rares nuages. Juste à sa droite, une imposante bâtisse coloniale abrite le Museo Historico de San Miguel de Allende. A l’angle de la maison, une alcôve accueille une statue en pierre d’Ignacio Allende en costume militaire. L’enfant chéri de la ville a l’allure fière et le regard déterminé… Ici, on n’oublie pas qu’Ignacio Allende fut un acteur important de l’indépendance du Mexique, un criollo qui dirigea la faction armée du groupe rebelle.

Des sabots sur le pavé

Les rues tortueuses et étroites de Guanajuato alignent des maisons et des édifices coloniaux aux couleurs aquarelles. Les Andalous, parmi les premiers immigrants, ont donné aux plus anciennes bâtisses de la ville un côté mauresque. Véritable ville-musée, Guanajuato est par ailleurs une cité universitaire à l’activité culturelle intense. Chaque année, au mois d’octobre, a lieu le festival international  » Cervantino « . Trois semaines durant, des groupes de théâtre et de danse ainsi que des musiciens se produisent dans les amphithéâtres de la ville. De magnifiques intermèdes en costumes historiques évoquent Cervantès et les mythiques personnages de son  » Don Quijote « . Les ruelles aux abords de la place Alhóndiga s’emplissent alors des claquements secs des sabots des chevaux sur les pavés.

Ici aussi l’histoire de l’indépendance mexicaine a ses marques. Construite en arène dans le creux d’un canyon, la ville s’enorgueillissait de posséder des mines d’argent découvertes en 1550 et recensées parmi les plus riches du monde. Celles-ci alimentaient depuis plus de deux cent cinquante ans les caisses du trésor de la monarchie espagnole. Le 28 septembre 1810, les rebelles débarquent. Alertés par les rumeurs, les barons de l’argent se terrent à l’Alhóndiga de Granaditas, une grande forteresse. Le père Miguel Hidalgo envoie El Pipila, un jeune mineur indien, mettre le feu aux massives portes de bois… Cet exploit courageux permet aux indépendantistes d’investir la place.

Poursuivant la route vers le sud, apparaissent alors des forêts de sapins, puis des étendues plus désertiques. S’y dressent d’immenses magueys (variété d’agave) dont la sève produit le mescal et le pulque, boissons nationales. Quittant l’Etat du Querétaro, on entre dans celui du Michoacán, appelé dans l’ancienne langue indienne Purépechas, la  » terre des pêcheurs « . Une région de lacs et de rivières jadis riche en poissons. Aujourd’hui, les filets restent souvent vides, mais la vie continue comme avant, les hommes refusant de quitter leur terre ancestrale.

Morelia, la superbe capitale de l’Etat, est calme. Dans le palais du gouverneur, des visiteurs admiratifs défilent silencieusement sur les terrasses couvertes de la cour intérieure. Les murs sont couverts d’immenses peintures murales signées Alfredo Zalce. Elles retracent l’histoire du Mexique. A l’angle de Corregidora et Garcia Obeso, on peut aussi visiter la maison où naquit, en septembre 1765, le futur prêtre révolutionnaire José Maria Morelos y Pavon qui donna son nom à la ville en 1828. Il eût même droit à un Etat, l’Etat de Morelas au sud de Mexico.

Les rebelles embrasaient le centre du Mexique depuis neuf mois lorsqu’ils tombent dans une embuscade tendue par les royalistes. Les principaux chefs de la révolte dont Allende, Jimenez, Aldama et Hidalgo sont fusillés à Chihuahua en juillet 1811. Leurs têtes pendront pendant dix ans dans des cages de fer aux quatre coins de l’Alhóndiga… C’est Morelos qui reprend le flambeau de la révolte de 1811 à 1815 avant d’être arrêté et exécuté à son tour. Les soulèvements se sont poursuivis, sporadiques mais acharnés, jusqu’en 1821. Les rebelles ont fini par rallier à leur cause le vice-roi Agustin de Iturbide qui fait sécession avec la couronne d’Espagne et signe le traité de Córdoba accordant enfin l’indépendance au Mexique. Moins de deux ans plus tard, il est déposé après s’être sacré lui-même empereur. Un grand pas est fait. Mais le jeune Mexique va sombrer dans de sombres complots. La guerre civile voit s’affronter cruellement réformateurs et conservateurs pendant près de cent ans, faisant cette fois intervenir de mythiques figures révolutionnaires comme Zapata et Pancho Villa…

Ames indiennes

On ne peut imaginer villes plus différentes que Morelia et Pátzcuaro. Cette dernière, établie sur les rives d’un lac à 2 175 mètres d’altitude, a des ruelles pavées bordées de bâtisses aux toits en bois et aux murs recouverts de chaux fraîche. À quelques enjambées de la Basilica de Nuestra Señora de la Salud, une colonne de joueurs de  » mariachi  » (1) occupent la Plaza Bocanegra. A quelques pas de là, le marché bat son plein. Des échoppes couvertes de toiles plastifiées rouges rehaussent l’impression de fournaise autour de marchands d' » enchilada  » (crêpe de maïs) . D’autres proposent du chocolat artisanal si pur qu’on en reconnaît à peine le goût. Partout, des Indiennes aux visages ouverts et joyeux retiennent habilement l’attention des passants qui finissent toujours par se laisser tenter par leurs sachets de graines, baies et microscopiques poissons aux noms imprononçables. Leur babillage fascine car leur espagnol est mélangé à un dialecte indien dérivé du tarasque. A Pátzcuaro plus qu’ailleurs, malgré une architecture éminemment espagnole, la ville appartient toujours à ces descendants tarasques, les Purépechas, chassés de leurs terres par les conquistadores. Leurs légendes hantent encore pour longtemps le c£ur de tout Mexicain.

Reportage : Sophie Dauwe

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