après avoir redynamisé l’honorable maison céline, le créateur américain michael kors s’apprête à quitter paris pour se concentrer exclusivement sur sa propre marque de vêtements. en point de mire : une nouvelle ligne  » grand public  » et un parfum à l’assaut de l’europe.

Ses femmes cultivent le goût de l’élégance cool, du confort chic et du raffinement choc. A 44 ans, Michael Kors fait aujourd’hui partie des créateurs de mode les plus reconnus aux Etats-Unis, mais le quadra grisonnant veut encore réaliser un grand rêve mondial. Certes, Paris lui a déjà ouvert les portes de la reconnaissance européenne en l’accueillant, dès 1997, au sein de la prestigieuse maison Céline pour réveiller la belle endormie, mais Michael Kors entend désormais relever un nouveau pari entièrement dédié à sa cause. Le mois prochain, il présentera donc sa dernière collection en tant que directeur artistique de Céline pour l’hiver 04-05 et s’envolera ensuite vers New York pour y déposer définitivement ses valises. L’objectif est clair : le designer américain ne rêve ni plus ni moins de grande réussite internationale, à l’instar de ses talentueux prédécesseurs que sont Ralph Lauren, Calvin Klein ou encore Tommy Hilfiger. Mégalo ? Pas vraiment. La marque Michael Kors dispose déjà d’une réputation en-viable et d’un solide réseau de points de vente aux Etats-Unis qui ne demande qu’à être étendu à l’échelle mondiale. Mieux, des personnalités telles que Madonna, Sharon Stone, Gwyneth Paltrow, Julia Roberts et Jennifer Lopez ont également craqué pour les tenues sportivement sensuelles de Michael, élargissant ainsi un peu plus la voie de sa notoriété. Bref, le créateur new-yorkais se trouve aujourd’hui à un moment clé de son plan de carrière et se montre visiblement optimiste quant à son avenir vestimentaire. Eclatante, sa collection éponyme de l’été 2004 est d’ailleurs placée sous le signe de l’espoir et d’une certaine joie de vivre avec, pour décor, la magie d’une célèbre île italienne. Rencontre exclusive.

Weekend Le Vif/L’Express : Votre collection de l’été 2004 semble tourner autour du thème de Capri et d’une certaine magie jet-set. Quel message voulez-vous faire passer à travers ces silhouettes ?

Michael Kors : L’optimisme ! Je pense que ces deux dernières années ont été difficiles pour tout le monde. J’avais envie d’effacer tout ce côté sombre, pesant, sérieux… Et voilà ce que j’essaie de dire avec cette collection : Capri est une île magique, j’y vais chaque année car les femmes y sont incroyablement élégantes. Elles vont à la plage avec des hauts talons, elles nagent avec leurs bijoux, elles changent de tenues cinq fois par jour… Bref, la vie est chouette car ces femmes s’amusent avec la mode. Personnellement, je pense que le fait de s’habiller doit être comme un bon film : la mode doit vous aider à vous changer les idées, à vous faire sourire, à vous sentir bien… Et puis, Capri est un endroit incroyablement optimiste. La fantaisie de cette île est salutaire. Nous en avons tous besoin aujourd’hui…

S’agirait-il donc d’une collection  » post 11 septembre 2001  » ?

Oui ! Bon, je ne crois pas que la mode doit être une prise de tête, mais je pense que les gens ont plutôt l’envie de se dire aujourd’hui :  » C’est chouette d’être en vie. Les choses ne sont pas si moches. Je me sens bien !  »

Vous vous trouvez manifestement à un tournant de votre carrière : vous allez bientôt quitter la maison Céline pour créer une nouvelle ligne  » grand public  » au sein de votre propre marque…

Tout à fait ! J’ai de nouveaux projets avec ma propre marque de vêtements que je veux développer considérablement en Europe. Cela risque de prendre du temps et, personnellement, quand je fais quelque chose, je veux le faire parfaitement. Donc il est difficile pour moi d’être réellement impliqué dans deux univers différents. Je suis vraiment très fier du travail accompli chez Céline, c’était super, mais les allers-retours entre Paris et New York sont aussi fatigants. Aujourd’hui, il est temps d’élever Michael Kors à un autre niveau et je préfère donc me concentrer à 100 % sur cette nouvelle aventure.

Que gardez-vous de cette expérience européenne ?

J’ai appris énormément de choses en Europe. En travaillant à Paris, je me suis rendu compte que le monde est finalement devenu beaucoup plus petit que ce que l’on croit. C’est un village ! Et puis, cette collaboration avec Céline m’a donné une espèce d’énergie hybride que j’ai envie de transmettre différemment aujourd’hui…

Précisément, quel est votre objectif ? S’agit-il, pour vous, de transformer Michael Kors en une marque influente comme Ralph Lauren ou Calvin Klein ?

Pour le moment, la majorité de mon business est toujours aux Etats-Unis, mais encore une fois, le fait de travailler en Europe m’a ouvert les yeux. Je ne veux pas imiter les autres designers, mais je pense qu’il est temps pour moi de faire fructifier mes vingt-deux années de mode et d’héritage pour les développer à travers le monde. J’ai envie d’apporter ce goût du vêtement à un public plus large. Et je pense franchement que c’est le moment idéal. Car, depuis peu, les gens ont la possibilité de s’offrir des produits de qualité à un prix démocratique. Selon moi, des magasins comme Zara et Habitat ont réellement apporté un sens du goût à un public qui était moins réceptif auparavant. Terence Conran est un révolutionnaire ! Il a changé le monde ! Donc, aujourd’hui, on a toute une série de personnes qui ont des goûts sophistiqués sans avoir nécessairement beaucoup d’argent. Je trouve cela très excitant et c’est la raison pour laquelle j’ai envie de m’adresser désormais à ce public-là en développant une nouvelle ligne de vêtements beaucoup plus accessible.

J’ai toujours porté les deux casquettes. Et je les porterai toujours. Si je fais une superbe silhouette dans un défilé mais que personne ne la porte en rue, cela ne m’intéresse pas. Parce que la mode prend vie quand elle est justement portée par ceux qui l’achètent. Je ne suis pas un artiste peintre !

A vos yeux, la mode doit donc être portable…

C’est impératif ! Pour moi, la première règle du design est le confort. Le confort avant tout ! Peu importe la beauté d’un vêtement, si on n’est pas à l’aise dedans, il ne sert à rien. Ou alors, c’est du théâtre et ça, c’est autre chose…

Que pensez-vous alors de cette réflexion de Vivienne Westwood qui affirme que l’élégance doit être théâtrale ?

Je ne suis pas d’accord ! Jacky Kennedy en jeans et en tee-shirt était incroyablement élégante. D’ailleurs, je pense que l’élégance n’est pas une question de vêtement. C’est d’abord une question de personnalité.

Dans cette analyse de la mode, quel regard portez-vous sur le travail des créateurs belges ?

Je les aime beaucoup. D’ailleurs, je porte souvent du Martin Margiela. Beaucoup de personnes pensent que les créateurs belges ne sont que des artistes d’avant-garde un peu fous. Moi, je pense justement le contraire : la majorité d’entre eux sont finalement très classiques, mais les gens ne le réalisent pas. Moi, j’aime les créateurs qui ont un point de vue et qui n’y dérogent pas. Et la plupart des designers belges sont comme cela. J’aime leur intelligence.

La légende dit que vous êtes tombé dans la mode à l’âge de 5 ans en dessinant la robe du second mariage de votre mère…

(Rires) J’ai plutôt fait la sélection finale ! J’avais effectivement 5 ans lorsque ma mère s’est remariée. A l’époque, elle a essayé une vingtaine de robes devant moi, mais je n’arrêtais pas de dire :  » Non, pas celle-là, pas celle-là, pas celle-là…  » Ensuite, j’ai dessiné sommairement la robe de mariée idéale et ma mère s’est mis en tête de la dénicher ! Finalement, ce qui est intéressant dans cette anecdote, c’est que ma mère m’ait fait confiance…

Mais votre passion pour la mode était-elle innée ou l’avez-vous découverte progressivement ?

Honnêtement, lorsque j’étais tout petit, je pense que ce n’était pas la mode qui m’intéressait mais plutôt le dessin. Je pouvais m’installer à une table et dessiner pendant des heures. J’avais aussi cette envie de vouloir refaire les choses. Je redessinais tout ce que je voyais : les maisons, l’architecture des lieux, les meubles, les vêtements, les chaussures… Et puis, en grandissant, j’ai commencé à aimer le théâtre et le cinéma. J’ai pris des cours de comédie très jeune, mais vers 12 ans, j’ai commencé à réaliser l’importance des vêtements et leur influence sur les gens. J’étais vraiment torturé et je n’arrivais pas à faire un choix entre la mode et des études d’art dramatique. Heureusement, vers 14 ans, je me suis rendu compte que je ne serais jamais un grand chanteur ni un grand danseur ! Et comme à New York un mauvais comédien devient rapidement serveur de restaurant, j’ai réalisé que j’avais plutôt intérêt à m’exprimer dans la mode (sourire) ! Cela dit, j’adorais aussi l’architecture, mais le problème est qu’il faut être terriblement patient pour être architecte. Or, j’ai besoin que les choses aillent vite. La mode l’a donc emporté, même s’il y a beaucoup de points communs entre ces deux mondes : la mode comme l’architecture doit être esthétique et fonctionnelle. On vit dedans…

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous donne envie de créer ?

Deux choses. Il y a d’abord la curiosité. Je suis toujours curieux de voir comment on peut améliorer le quotidien. Je regarde constamment ce qui se passe autour de moi et je me demande comment je pourrais faire mieux. Même un simple tee-shirt blanc et un jeans : je m’interroge toujours sur la meilleure façon de les améliorer. C’est ce qui me fait avancer. Et puis, j’ai toujours aimé jouer avec le yin et le yang. Car les femmes sont remplies de contradictions. Elles veulent être puissantes mais sexy ; femmes d’affaires, mais glamour. Et moi, c’est ce que j’essaie de faire dans la mode : mélanger le luxe et la simplicité, le confort et la féminité, un peu de Savile Row et un peu de jeans, un peu de caviar et un peu de hamburger… J’aime combiner les extrêmes !

Ce sens du paradoxe se retrouve-t-il dans le parfum Michael Kors que vous vous apprêtez à introduire sur le marché européen ?

Tout à fait ! C’est un parfum que l’on peut porter aussi bien avec une robe du soir qu’avec un jeans. Il a ce côté glamour pratique. Il colle à merveille à l’esprit de mes vêtements (NDLR : le parfum Michael Kors sera disponible en Belgique dès le 15 mars prochain).

Quelle est votre plus grande fierté après cette vingtaine d’années passées dans la mode ?

Le fait que j’y sois toujours ! L’autre jour, quelqu’un avait organisé, aux Etats-Unis, une séance photo avec les créateurs confirmés et la jeune garde montante. J’ai subitement réalisé que je faisais partie de l’establishment ! Pourtant, je me sens toujours comme un gamin. J’ai encore tellement de choses à accomplir ! Honnêtement, je pense avoir fait preuve de ténacité tout au long de ces années. J’ai été très loyal envers mes clients et ils ont été loyaux envers moi. Aujourd’hui, je suis toujours dans le jeu et je me réjouis de mener à bien de nouveaux projets. Mais j’ajouterais aussi que je me remets constamment en cause. Dans ce métier, c’est la seule façon de rester dans le coup.

Aujourd’hui, pensez-vous avoir trouvé un sens à la vie ?

Selon moi, cela consiste à trouver l’équilibre. Je pense que tout ce que nous faisons dans la vie tourne autour de l’équilibre. Un équilibre entre le travail et le plaisir, entre les amis et la famille, entre le sérieux et la frivolité… L’équilibre n’est jamais facile à atteindre, mais si chacun pouvait au moins essayer d’y arriver, je pense que nous vivrions déjà dans un monde meilleur.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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