Millésime 2022
Malgré un contexte bousculé, le plat pays qui est le nôtre a encore atteint des sommets cette année. Mode, culture, gastronomie… ces six Belges se sont illustrés, chacun dans son secteur, aussi bien chez nous qu’à l’international, faisant de 2022 un grand cru.
Si chez nos voisins flamands, les BV’s, ou Bekende Vlamingen, sont célébrés comme des stars à part entière, de l’autre côté de la frontière linguistique, on a tendance à être moins effusifs envers celles et ceux qui ont réussi dans leurs disciplines respectives. Et pourtant, de Bruxelles au Hainaut en passant par Liège, on a aussi largement de quoi être fiers en francophonie. Après tout, une création signée de la jeune céramiste arlonaise Naomi Gilon n’a-t-elle pas foulé le tapis rouge des Oscars? Et les Ardentes, dans leur nouvelle incarnation pensée par Gaëtan Servais, cofondateur liégeois du festival, ne sont-elles pas devenues un rendez-vous international? Ajoutez à cela le parcours exemplaire de la Bruxelloise Samira Cherfaoui dans la dernière saison de MasterChef, diffusée sur France 2, ou le Goncourt de la nouvelle obtenu par Antoine Wauters et il serait tentant de nous accuser de succomber à la tendance regrettable à n’honorer nos compatriotes que quand ils ont fait leurs preuves à l’étranger. C’est sans compter sur le joli cheminement de la styliste Odile Jacobs, qui a vu ses créations portées par la reine Mathilde à plusieurs occasions quelques années seulement après le lancement de son label éponyme. Tandis que l’architecte Bas Smets reste résolument implanté à Bruxelles, même si son travail séduit de plus en plus hors des frontières. Réunies le temps d’une journée dans le cadre festif de la Brasserie Surréaliste (*), à Bruxelles, ces personnalités ont rappelé que le rapport particulier du sud du pays à la célébrité avait du bon aussi. Chaleureux, accessibles, souriants, nos invités d’un jour ont fait honneur à notre réputation conviviale et surtout pas prétentieuse. Tout en rappelant au passage que le succès a plusieurs visages, et qu’il est finalement tout à fait possible de briller sans être aveuglant pour autant.
(*) Remerciements à la Brasserie Surréaliste pour le décor. brasseriesurrealiste.com
Odile Jacobs, styliste, a habillé la reine Mathilde lors des célébrations du 21 juillet mais aussi à l’occasion d’une visite officielle au Congo
Quel effet cela fait-il de voir ses créations portées par la reine des Belges?
Quand sa secrétaire a pris contact avec moi, je ne m’y attendais pas du tout. J’étais en train de bosser, et j’ai d’abord cru que c’était une blague, puis je me suis dit qu’il fallait que je reste calme. Par contre, quand j’ai raccroché, même si je ne réalisais toujours pas, j’étais surexcitée. Je lui ai proposé un projet de tenue, qu’il a fallu adapter aux exigences du protocole, mais elle s’est prêtée au jeu et elle a été particulièrement enthousiasmée par les tissus que je lui ai soumis. C’était un moment très fort pour moi, parce qu’en Afrique, on me dit que je ne suis pas vraiment noire, et en Belgique, que je ne suis pas blanche, et là, mes deux identités se rencontraient. 2022 n’a pas été une année simple, j’ai traversé une crise personnelle, mais j’ai su la transformer en opportunité et j’aborde la fin d’année confiante dans ce que la prochaine me réserve.
C’est votre bonne résolution pour 2023?
Je ne suis pas du genre à prendre des bonnes résolutions: j’avance au feeling et je suis le mouvement, sans attentes. J’ai toujours eu tendance à me laisser porter, parce que dès l’instant où je m’impose un cadre, cela bride ma créativité. Cette année, je ferai tout de même une entorse à la règle, en prenant la résolution de me concentrer sur le positif et de ne laisser aucune place dans ma vie à ce qui me tire vers le bas.
Un sentiment qui colle bien avec celui des fêtes…
Pour moi, on devrait retrouver la magie de Noël chaque jour, et pas seulement en décembre. Il faut célébrer la joie au quotidien, d’ailleurs, même si cette année, mes enfants ne passeront pas le réveillon avec moi, je refuse de me laisser abattre et je me verrais bien faire une retraite en solo, pour laisser tout le négatif derrière moi. Et au Nouvel An, organiser un petit voyage avec mes enfants pour m’immerger avec eux dans la joie d’une autre ville. May et Simon me portent: je les aime plus que tout et je suis impatiente de me construire une belle et nouvelle vie à leurs côtés.
Gaëtan Servais, CEO du groupe Noshaq et cofondateur du festival Les Ardentes, a signé un retour en fanfare de l’événement à l’été 2022
Comment s’est passé ce retour après deux ans d’absence, dans un nouveau lieu qui plus est?
Je rêvais d’un festival à Liège depuis 1990 déjà, et dès 2012, cinq ans après le lancement des Ardentes, j’ai dit à Fabrice Lamproye, avec qui je les ai créées, qu’il fallait un festival «Champions League» en Wallonie. La Belgique compte énormément de beaux festivals, mais jusqu’ici, tous les rendez-vous d’envergure internationale étaient en Flandre. En faisant le pari de centrer les Ardentes sur les musiques urbaines, on a démontré que la Wallonie pouvait aussi attirer un public venu du monde entier. Grâce à l’ampleur prise par l’événement, 2022 aura été une année peut-être encore plus marquante que celle de la création du festival en 2006 car on a relevé le défi de le mettre sur la carte mondiale.
C’est une forme de consécration pour vous?
On s’est tous pris une claque, parce qu’on ne s’attendait pas à ça. Cette édition a été très difficile à organiser, entre la sortie du Covid, le secteur de la production musicale à la ramasse et les défis de ce nouveau lieu à investir. Mais on s’est retrouvés face à un public très jeune et multiculturel à l’énergie contagieuse: même les journalistes flamands présents sur place ont reconnu qu’on ne retrouvait pas une ambiance pareille dans le nord du pays. Dans l’inconscient collectif, les fans de musique urbaine sont un public difficile, un peu ghetto, mais dans les faits, c’est tout le contraire, ils sont non seulement hyper civiques mais aussi très investis dans les concerts qu’ils vont voir. Davantage que le nombre de festivaliers présents, le plus impressionnant pour moi a été de voir les personnes qu’on a réussi à fédérer. On a mis sur pied un événement culturel pour un public qui n’existe pas ailleurs.
Les fêtes seront une jolie occasion de célébrer ce succès?
Je ne suis pas fan de l’hiver, je n’aime pas qu’il fasse noir quand j’arrive au bureau et quand je le quitte, et pour moi, les fêtes sont une éclaircie dans la grisaille. Noël et Nouvel An sont à mes yeux un moment joyeux et festif de rassemblement, bien nécessaire à mon équilibre mental en cette période. Par contre, je n’aime pas tant l’injonction à se faire des cadeaux à Noël, j’adore gâter mes proches, mais pas quand je me sens obligé de le faire. Du coup, je dirais que je préfère plutôt le Nouvel An, d’autant que cette fois, je le célébrerai sous le soleil des Canaries, dans la famille de ma compagne.
Samira Cherfaoui, cheffe, finaliste de la dernière saison de MasterChef
Vous avez dû abandonner l’émission juste avant l’enregistrement de la finale. Pas de regrets?
Aucun! Bien sûr, j’ai eu un petit goût d’inachevé en réalisant que je n’allais pas pouvoir participer à la finale, mais c’était pour une excellente raison puisque c’était pour donner naissance à mon fils. Ma fille aînée a bientôt 15 ans, et ce deuxième enfant, cela faisait dix ans que je l’attendais, donc c’est une joie d’avoir pu l’accueillir dans la famille. D’autant qu’il est arrivé dans un contexte bouleversé, puisque j’ai appris que j’étais enceinte de lui le jour où on disait au revoir à mon père, qui est décédé à l’automne 2021. Mon fils porte son nom, Ahmed.
Qu’aurait pensé votre père de votre parcours dans l’émission?
Mes parents ont toujours été les premiers à me soutenir. Malheureusement, mon père n’a pas vu l’émission, mais il savait que j’avais été choisie pour participer à l’aventure et il a d’ailleurs regardé plein de concours culinaires avec moi pour me préparer au tournage. Ma mère est une excellente cuisinière, c’est d’elle que je tiens cette passion, mais elle prépare des plats plus conviviaux, moins axés sur la présentation. Mon père aimait bien la taquiner avec ça quand ils venaient manger chez moi en lui demandant pourquoi elle ne faisait pas d’aussi belles assiettes que moi.
Pour vous, quel est le plat festif par excellence?
Sans hésiter, mon carré d’agneau en croûte de pistaches. Que ce soit mes sœurs ou mon mari, tout le monde attend avec impatience que je le prépare lors des fêtes de famille. Je mixe les saveurs du tagine au jus de l’agneau, j’aime beaucoup la cuisine fusion et ce plat s’y prête à merveille. Côté sucré, pour moi, les fêtes sont indissociables de la traditionnelle assiette de Saint-Nicolas. Quand on était petites, on était pressées de la recevoir, encore plus que nos cadeaux, et même adultes, on en parle encore avec émotion avec mes sœurs. Enfants, on avait un certain quota de sucreries permises à la maison, mais là, on pouvait s’en donner à cœur joie. Malheureusement, je n’ai pas réussi à transmettre la magie de cette fameuse assiette à ma fille, mais pour moi, même trente ans plus tard, elle reste intacte. Je ne sais pas encore ce qu’il y aura à mon menu de fêtes cette année, mais je sais déjà qu’on sera une vingtaine à table le soir du 31 décembre. J’ai la chance que mon mari adore cuisiner aussi et je le fais volontiers: pour moi, la présentation compte autant que le contenu des assiettes et c’est un plaisir de dresser une table de fêtes.
Bas Smets, architecte-paysagiste, fait pousser une multitude de projets, entre mémorial Covid à Bruxelles et abords verdis de Notre-Dame de Paris
Comment avez-vous réagi en apprenant que c’était votre projet qui avait été choisi pour réaménager les abords de Notre-Dame?
Ma première réaction a été de répéter «Mais non!», parce que j’étais convaincu que je ne l’emporterais pas. Pas parce que je doutais du projet soumis, pensé pour être le meilleur possible, sans compromis, mais bien parce que tous les autres finalistes avaient la nationalité française. Pour moi, c’était évident que le jury allait être un peu chauvin, mais ils m’ont prouvé que j’avais tort. Rien que de repenser à l’annonce de notre victoire, j’en ai les larmes aux yeux. Notre-Dame est le berceau de Paris, un lieu à la symbolique extraordinaire. Quand on appris que c’était notre projet qui l’avait emporté, on a fêté ça avec quelques collaborateurs dans un restaurant en bord de Seine, avec vue sur la cathédrale évidemment, où on a fait sauter les bouchons de champagne jusqu’aux petites heures. Après l’annonce officielle, on a pris le bateau-mouche avec toute l’équipe, venue de Bruxelles pour l’occasion, et quand on est passés devant Notre-Dame, le guide a annoncé que les lauréats du concours étaient présents à bord, et tous les passagers ont applaudi. C’était extrêmement émouvant pour nous.
Plus qu’un moment marquant de 2022, ne serait-ce pas carrément l’apothéose de votre carrière?
Je ne le vois pas comme ça. Cela a quelque chose de si définitif d’envisager les choses ainsi: je préfère le considérer comme une consécration du travail accompli depuis quinze ans. Mais aussi comme une confirmation que ma manière de concevoir les espaces publics, en prenant en compte leur résilience climatique, fait sens à notre époque. J’ai l’espoir fou que dans un futur proche, nous pourrons transformer chaque ville en un microclimat grâce auquel, mis bout à bout, on obtiendra un effet planétaire. C’est d’ailleurs ce que j’enseignerai dès l’année prochaine à Harvard, alors même que je n’ai jamais terminé mon doctorat: si on m’avait dit au début de ma carrière que j’en serais là aujourd’hui, j’aurais traité mon interlocuteur de fou!
Le meilleur reste donc à venir en 2023?
Je n’ai pas l’habitude de prendre des bonnes résolutions au début de l’année. Je considère sincèrement que chaque jour est un nouveau départ. Cela dit, je préfère le Nouvel An à la Noël, car cela me rappelle que la planète vient d’accomplir un tour autour du soleil. J’aime bien cette notion cosmique. Pour moi, la période des fêtes marque chaque année la fin d’un cycle. On traverse un moment sans lumière ensemble pour en sortir avec plus d’énergie. C’est avant tout une période d’introspection et de contemplation.
Naomi Gilon, céramiste, a inspiré l’une des tenues les plus remarquées lors de la dernière cérémonie des Oscars
Diriez-vous que 2022 a été votre année?
J’espère que ce ne sera pas la seule année où je vivrai tant de choses palpitantes au niveau professionnel, mais oui, on peut dire que la chance m’a souri. Surtout que j’ai découvert en même temps que tout le monde que Julia Fox portait une robe inspirée d’une de mes créations aux Oscars. J’avais été en contact avec l’équipe de Han Kjøbenhavn au moment du lancement de ma collection 2022: ils m’avaient dit beaucoup aimer mon sac en céramique orné d’une main, et je leur avais envoyé des prototypes en argile, qu’ils ont ensuite remoulé. J’adore les surprises, donc quand j’ai reçu tous les messages de mes proches s’enthousiasmant de voir une de mes créations aux Oscars, j’étais ravie.
Professionnellement, qu’est-ce que ça a changé pour vous?
Je n’aime pas trop parler de popularité, mais c’est clair que ça m’a propulsée dans une autre sphère. Ma cote a explosé d’un coup et ça m’a permis d’entrer en contact avec plein d’autres personnes, que ce soit dans le milieu de la mode ou celui de l’art. J’aime jouer sur les deux pôles plutôt que de m’enfermer dans une catégorie définie. Je suis d’ailleurs en contact avec un artisan belge qui a une fonderie à Tubize, et avec lequel je m’apprête à lancer une série de sacs en métal. Au printemps dernier, j’ai enfin pu démissionner de mon job alimentaire de vendeuse, et depuis, je savoure l’opportunité de pouvoir me consacrer entièrement à la création. Après une expo solo à Milan, je vais exposer à New York en 2023. Rien que d’y penser, j’ai des frissons.
Cela vous laisse-t-il tout de même un peu de temps pour préparer les fêtes?
J’ai plutôt du mal à verbaliser mon ressenti ou l’importance que mes proches ont pour moi, alors les cadeaux sont ma manière de leur exprimer mes sentiments. J’ai toujours tous les présents que je veux offrir des mois avant la Noël, j’adore faire plaisir aux personnes qui me sont chères et leur dire à travers mes cadeaux à quel point je les aime. Par contre, autant je raffolais du sapin quand j’étais petite, autant je n’en installe pas chez moi: ça me rend trop triste de voir les cadavres de conifère partout dans les rues en janvier. Je me contente d’enrouler une guirlande autour d’une plante en pot qui reste toute l’année chez moi, on dirait une sorte de sapin tropical, c’est très festif aussi.
Antoine Wauters, écrivain et poète, a vu son dernier roman récompensé du Prix du Livre Inter, tandis que son Musée des contradictions, lui, a décroché le Goncourt de la nouvelle
Recevoir deux des récompenses les plus prestigieuses dans le milieu littéraire français, qu’est-ce que ça change?
Forcément, on se demande un peu ce qui vient après. D’ailleurs, j’ai obtenu les deux prix coup sur coup et mon agent m’a recommandé d’attendre avant de publier mon prochain livre, qui est déjà prêt, pour laisser une respiration au public. Ceci étant, je suis déterminé à continuer à faire mon travail comme avant, c’est-à-dire en écrivant des textes qui me semblent justes et en accord avec ce que je suis. Mais en m’autorisant aussi à savourer le fait que mes textes ont désormais une vie en dehors du territoire francophone, Mahmoud ou la montée des eaux ayant été traduit dans douze pays. Recevoir le Goncourt était incroyablement émouvant, parce que l’écriture est une activité très difficile, solitaire, qui demande des sacrifices permanents. Soudain, ce prix était comme l’aboutissement de toutes ces années passées à construire quelque chose qui soit recevable tant pour le public que pour le jury de prix littéraires.
Si vous deviez décerner un prix, ce serait à qui?
Ma compagne, Hélène Lhoest, qui vient de terminer son premier scénario de BD, que je trouve incroyable. Elle a travaillé pendant dix ans dans le cinéma, sur les plateaux de Patrice Leconte ou de Leos Carax, et elle a mélangé cette expérience aux univers de l’écriture et de la mode pour rédiger quelque chose de vraiment beau.
La lecture, c’est un cadeau pour vous?
J’aime offrir des livres à mes proches, parce qu’au pire, ils n’accrochent pas, mais dans le meilleur des cas, l’histoire va les accompagner très longtemps. C’est un peu comme quand un ballon d’hélium échappe aux mains d’un enfant et se retrouve 200 kilomètres plus loin: on ne sait jamais où le roman va se retrouver. Un livre est un objet matériel qui implique aussi la transmission de toute une part d’invisible: c’est comme si on offrait un monde qui ne pourra jamais être reproduit à l’identique, parce que chaque lecteur va avoir sa propre expérience de l’histoire. C’est un cadeau unique, même si, cet hiver, j’ai déjà acheté un bouquin en trois exemplaires, La Scierie, parce que je viens de le finir et je l’ai adoré. Les fêtes sont une période paradoxale pour moi, parce qu’elles ont quelque chose de très nostalgique, et en même temps, je refuse de me laisser bouffer par les ombres: je suis quelqu’un pour qui la recherche de la joie est très importante.
Coiffure et maquillage: Marlien Echelpoels pour M.A.C et Bumble & bumble — Assistante coiffure et maquillage: Mary Corbeel pour Sisley — Assistante stylisme: Delphine Dumoulin — Voir aussi notre carnet d’adresses.
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