Un demi-siècle que ce bout d’étoffe a opéré une révolution dans nos dressings. Symbole de liberté et d’émancipation de la femme, il revient régulièrement sur le devant des podiums. Comme chez Saint Laurent, Louis Vuitton ou Gucci, cette saison.

Mieux vaudrait qu’il ne fasse pas trop froid cet hiver, si l’on se fie à la longueur des jupes proposées par plusieurs griffes de luxe. C’est qu’à en croire ces dernières, l’ourlet se porte court, ces temps-ci. Ainsi, pour sa première collection prêt-à-porter chez Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière imagine de petites jupes trapèze coupées dans de magnifiques cuirs zippés. Un look directement inspiré des années 60, revu ici de manière ultracontemporaine. Même esprit Swinging London repéré chez Gucci, avec des lignes en A toutes en nuances pastel, ou chez Saint Laurent, avec des minis à paillettes ou à imprimé animalier. Valentino leur donne un air pop, tandis que Miu Miu, la ligne jeune de Miuccia Prada, place ce minuscule morceau de tissu sous influence sportswear. Autant de belles dédicaces à la minijupe, modèle star des sixties.  » Cette décennie est connue pour être une période dynamique et optimiste, détaille le sociologue de la mode Frédéric Monneyron, auteur de La Frivolité Essentielle (Puf) et du récent roman Dossier Diplomatique (éditions Michel De Maule). Elle fascine donc particulièrement les créateurs, qui souhaitent faire renaître ce sentiment positif en revisitant la mode de cette époque.  »

Pour emblématique qu’elle soit, difficile de savoir exactement quand est apparue la fameuse jupette.  » Deux créateurs en ont revendiqué la paternité, à savoir la Britannique Mary Quant et le Français André Courrèges, précise Frédéric Monneyron. Mais certains ont tranché, en disant que la rue l’avait inventée avant eux.  » Si l’on se réfère aux livres d’histoire, la première citée, audacieuse styliste installée à Londres, décide en 1961 de raccourcir les jupes, pour les vendre dans sa boutique Bazaar, sur King’s Road. Les Anglaises en raffolent, à tel point que cinq ans plus tard, cette création permet de rapporter six millions de livres à la Grande-Bretagne, tandis que des mannequins comme Twiggy ou Raquel Welch s’en font les étendards, ne cessant d’exhiber leurs jambes au gré des pages des magazines…

La tendance traverse la Manche en 1964, pour séduire les Frenchies et les chanteuses de la génération yé-yé. Elle s’adresse principalement aux jeunes filles qui ne veulent pas ressembler à leur mère. Un vêtement générationnel par excellence, qui choque les bien-pensants. On la retrouve sur les podiums des défilés dès 1965, lorsque Courrèges conçoit une collection avant-gardiste, où foisonnent bottes plates et modèles coupés court, coordonnés avec vestes et manteaux.  » Nous sommes encore loin de la véritable mini, concède cependant le sociologue. L’ourlet s’arrêtait à peine dix centimètres au-dessus du genou.  » Il n’empêche, ces tenues révolutionnent la mode. Comme le dit l’historienne Christine Bard dans son ouvrage Ce que soulève la jupe, ce bout d’étoffe marque une réelle rupture, car  » depuis le Moyen Age, il a toujours été plus facile de montrer sa poitrine que ses jambes « .

Pour rappel, c’est seulement lors de la Première Guerre mondiale que les chevilles commencent à se dévoiler légèrement, pour permettre aux femmes de rejoindre plus facilement les abris anti-aériens ou de travailler aux chaînes de fabrication de munitions. Ensuite, durant les années 20, quelques effrontées garçonnes osent montrer leurs genoux en dansant le charleston. De quoi d’ailleurs donner l’idée à quelques analystes américains de créer l’Hemline index (index de l’ourlet), estimant qu’à mesure que ce dernier remonte, la cotation des actions en Bourse se porte de mieux en mieux. Enfin, quelques années plus tard, les rationnements et pénuries causés par le deuxième conflit mondial obligeront bien des demoiselles à revêtir des robes étroites et courtes, qui frôlent le milieu de la jambe.

FEMME LIBÉRÉE

Avec les sixties, on assiste à l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la permissivité sexuelle, boostée par l’arrivée de la pilule contraceptive. Calquée dans un premier temps sur le look gentillet des écolières, la minijupe va dès lors vite évoluer.  » Elle devient le symbole de ce nouvel état d’esprit, résume Frédéric Monneyron. Structurellement, cette pièce possède quelque chose d’érotique. Elle attire le regard de l’homme vers le sexe de la femme.  »

Contrairement au pantalon, envisagé comme fermé et protecteur, la jupe est par définition un vêtement ouvert. Longtemps, elle ne s’est d’ailleurs pas embarrassée de sous-vêtements, mais seulement de jupons superposés.  » Dans ce jeu du (dé)voilement, il est intéressant de constater que l’avènement de la mini se fait parallèlement à celui du collant, au détriment du porte-jarretelles « , analyse Véronique Pouillard, historienne de la mode et professeur à l’université d’Oslo. Ou comment donner à la gent féminine le sentiment d’être protégée des désirs masculins…  » Dans les années 60, la femme entend s’habiller comme elle le souhaite « , poursuit l’experte. Elle peut contester l’ordre établi, que ce soit en portant une minijupe ou un pantalon, jusqu’alors largement réservé aux hommes. Mais ce choix ne se révèle pas sans contrainte.  » Il apporte même une vulnérabilité aux Twiggy en puissance, puisque ces dernières doivent pouvoir sentir quand elles peuvent mettre l’un ou l’autre vêtement, selon le contexte. Il s’agit de ne pas se tromper.  »

Au fil des décennies, ce modèle ne quittera plus les dressings, variant de quelques centimètres au gré des modes, étant de temps à autre écarté au profit du short – même longueur, mais l’habit est considéré comme fermé -, se déclinant sous différentes formes – fente, jeux de transparence…  » Depuis cette période, la minijupe n’a pas connu d’éclipse, confirme Frédéric Monneyron. Elle partage juste le marché avec d’autres longueurs.  »

REVUE ET CORRIGÉE

Pour cet automne-hiver 14-15, la voici qui revient pleinement sur le devant de la scène :  » Les récents défilés s’inspirent largement de la ligne A, de l’ambiance Baby Doll et des références à Courrèges, constate Elena Van Ginderdeuren, consultante en tendances, styliste accessoiriste et conseil en image. Mais on note un changement au niveau des matériaux, qui sont plus actuels. Par ailleurs, à y regarder de plus près, les créateurs présentent une silhouette plus recherchée, que ce soit au niveau de la construction ou des finitions. Elle est architecturée chez Anthony Vaccarello, asymétrique chez Dior, vaporeuse chez Giambattista Valli, lamée chez Saint Laurent, bi-matière chez Louis Vuitton, frangée chez Lanvin…  »

Reste à voir si cette vague descendra dans la rue. L’époque a en effet changé, même si certaines revendications restent (malheureusement) d’actualité. Et Véronique Pouillard de citer en exemples les femmes politiciennes ou les jeunes filles de quartiers sensibles qui osent peu s’habiller court, de peur des critiques sexistes.  » Depuis cinquante ans, elles sont tiraillées entre l’amour de la mode et de l’esthétisme, l’envie de séduire ou d’être libres de leurs pulsions. Et, d’autre part, le poids de la contrainte sociale, avec le regard d’autrui qui les transforme en proie.  » Car c’est un fait, ce look est encore difficile à adopter, tant il confond féminité et apparence sexy.  » Trop souvent, les victimes de propos dégradants se voient reprocher leur manière de s’habiller, qui inciterait un comportement déplacé. Chacun devrait bénéficier du droit à s’habiller comme il le souhaite, sans que ce soit perverti par quelque violence que ce soit ! « , conclut l’historienne belge en poste à Oslo. Histoire que la minijupe soit enfin un vêtement comme les autres…

PAR CATHERINE PLEECK

 » Structurellement, cette pièce possède quelque chose d’érotique. Elle attire le regard de l’homme vers le sexe de la femme.  »

 » Chacun devrait bénéficier du droit à s’habiller comme il le souhaite.  »

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