Mobilier, linge de lit, vaisselle, électroménager, tapis, coussins et luminaires. Tout l’univers de la maison se met en scène en réduction pour le bonheur des kids et de leurs parents designaddict. Une tendance qui inspire avec brio

de plus en plus de créateurs.

Isabelle Willot

Ils portaient déjà des vêtements griffés. Des grenouillères Dior Baby. Des robes Chloé miniaturisées. Des modèles réduits de trench Burberry. Mais les kids d’aujourd’hui jouent aussi à la dînette, assis sur des chaises Panton. Font leurs premiers devoirs derrière un bureau signé Ora Ito. Avant d’écouter leur histoire du soir, lovés dans un rocking-chair d’Alexander Taylor, serrant dans leur bras un doudou  » monstrueux  » dessiné par Christian Lacroix. Des objets qui séduisent bel et bien leurs petits propriétaires. Mais qui ont été choisis par des parents désireux d’offrir à leurs petits des meubles et des jouets qui rencontrent avant tout leurs critères esthétiques d’adultes.

Depuis quelques années, l’industrie du design tente donc de répondre à la demande de ces trentenaires aisés qui, après avoir fait de l’aménagement de leur intérieur une priorité, refusent, lorsque bébé paraît, de se laisser envahir par le pitchpin, les oursons joufflus et les couleurs pastel.

 » De plus en plus de jeunes couples qui déposent chez nous leur liste de mariage s’intéressent très vite à ce que nous pouvons proposer ensuite pour leurs enfants, confirme-t-on chez Top Mouton, boutique d’objets et de meubles design, à Bruxelles. Bien souvent, le prix n’a pas d’importance. S’ils l’aiment, ils sont prêts à payer plus de 400 euros pour une chaise haute Nest de chez Mozzee, ou plus de 1 300 euros pour le petit éléphant Eames, réédité cette année par Vitra en série limitée.  »

S’ils ne savent pas toujours avec précision ce qu’ils cherchent, ces parents exigeants ont une idée précise de ce qu’ils ne veulent pas.  » Je n’ai pas du tout envie de meubles de nursery, insiste Nadine 36 ans, enceinte de son premier bambin. Pour qu’un meuble d’enfant entre chez moi, il faudra que son design plaise aux adultes. Je préfère adapter un produit, par exemple peindre dans une laque de couleur vive un lit que j’aurais acheté aux puces. Ou acheter un tableau d’art contemporain. Qui n’aura rien d’enfantin.  »

Véronique Cota est même allée plus loin, n’hésitant pas à ouvrir à Paris, début 2006, Balouga, le premier magasin entièrement dévolu au design pour enfant. Avec l’idée bien ancrée dans le business plan de départ d’éditer, à terme, sa propre collection de meubles, dessinés par de grands noms du secteur. Les premières pièces – deux bureaux signés Matali Crasset et Mamhoud Akram – seront présentées en primeur dans quelques jours au salon Maison & Objet, véritable baromètre du secteur de la décoration d’intérieur qui se déroule deux fois par an à Paris.  » Les enfants sont ce que nous avons de plus précieux, souligne cette maman de trois garçons. Les éduquer au beau fait partie de leur apprentissage de la vie, comme la lecture, l’activité physique et le respect des autres.  »

Si, par le passé, la tendance était plutôt à la miniaturisation de meubles existants, de plus en plus de marques développent aujourd’hui des objets spécifiquement conçus pour les plus jeunes. La ligne Me Too, lancée en 2004 par l’éditeur italien Magis, a vu ses ventes doubler l’an dernier. Et le chiot en plastique Puppy de Eero Aarnio comme la table à dessiner de Marcel Wanders sont très vite devenus des objets cultes, voués à être conservés précieusement pour la prochaine génération.  » Les enfants ont envie d’avoir leurs propres objets, leurs propres meubles qui correspondent à leur univers qui est différent de celui d’un adulte, précise Eugenio Perazza, fondateur de Magis, à l’initiative du développement de Me Too. Pas seulement par ses dimensions mais aussi par ses valeurs. Je ne voulais pas me contenter de produire des modèles réduits de la chaise Air de Jasper Morrison. J’ai cherché des designers capables de penser avec une âme d’enfant.  »

Désireuse de conquérir un secteur qu’elle avait abandonné dans les années 1990, la marque britannique Habitat vient aussi de relancer sa ligne Kids, n’hésitant pas à demander, pour l’occasion, à une brochette de people d’imaginer un objet pour sa nouvelle collection VIP for Kids, ( NDLR : indisponible en Belgique pour le moment).  » Nous voulions des gens que nous admirions mais qui fassent aussi rêver les enfants, justifie Kirsty Philp, chargée des relations publiques de la chaîne qui vient de demander au champion du monde de Formule 1 Damon Hill et au designer Ora Ito d’enrichir la première série d’objets signés Daniel Radcliffe, Kate Winslet ou Miss Piggy, envolés des rayons dès leur sortie.

Des objets que l’on garde

 » J’ai imaginé un bureau tout spécialement pour les designers, artistes et penseurs en herbe. Sa forme moulée est futuriste et harmonieuse. Il est rouge parce que les enfants adorent cette couleur « , explique Ora Ito, ce jeune créateur français qui a fait sa réputation en détournant les logos de grandes marques qui, loin de s’en offusquer, ont salué son culot et son esprit d’avant-garde.

 » Personnellement, j’aime le design pour enfants qui touche aussi les parents, poursuit Alexander Taylor, star montante du design britannique et père d’un petit garçon. Après tout, ils vont aussi devoir vivre avec cet objet, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas conçu intelligemment. On a l’air de dire que c’est une nouvelle tendance mais ce n’est pas vraiment le cas. Regardez les meubles et les jouets d’il y a quelques décennies, ils étaient déjà de très bonne qualité, construits pour durer et servir à plusieurs générations d’enfants. Il me semble important d’avoir cela en tête lorsque l’on crée un objet. C’est notre responsabilité de designer aujourd’hui de refuser de mettre toujours plus de produits bon marché et jetables sur le marché.  »

Est-ce à dire pour autant que les propriétaires de ces minimeubles haut de gamme sont à jamais à l’abri d’une faute de goût ?  » On ne peut pas les mettre sous cloche, reconnaît Sophie, maman de deux enfants de 7 et 4 ans. Les publicités, les dessins animés qu’ils regardent, l’opinion de leurs pairs aussi, va forger leur jugement. Ma fille Lilly ne jure que par le rose. Pour l’instant. Mais elle n’est pas entourée que de cela. Je vais refaire entièrement la chambre de mon fils Romain. Pas question de papier peint Spiderman. Nous allons opter pour des couleurs sobres : des dégradés de gris, du noir laqué. Deux fauteuils Sacco, en vinyle. Romain pourra se faire plaisir en choisissant des stickers.  » Un secteur de la décoration murale en plein expansion – on enlève plus facilement un autocollant qu’un papier peint – où de plus en plus de designers se lâchent avec bonheur.

Un monde d’enfants carrément hype

 » On constate aussi que la frontière entre le monde des adultes et celui des enfants a de plus en plus tendance à s’estomper, ajoute Ida Philips, directrice de l’agence gantoise Kids2, spécialisée dans le marketing pour enfants. Prenez un magasin qui se veut pointu, comme Collette à Paris. Ses mascottes sont les petits chiens noirs Caperino et Peperone que les enfants adorent aussi. Voyez aussi le succès d’un dessin animé comme Ratatouille, truffé de références que seuls les adultes comprennent. Sans parler de la vague Harry Potter. L’univers de l’enfance est devenu carrément hype ! Les adultes n’ont plus peur de montrer leur côté enfantin, au contraire, c’est même plutôt bien vu. A l’inverse, même les produits de consommation courante destinés aux plus jeunes sont devenus moins « enfantins ». Les petits aiment faire comme les adultes. Un enfant aujourd’hui préférera boire ou manger la même chose que ses parents si on lui laisse le choix.  » Citoyens eux aussi de ce Junior Land, adultes et enfants admis, les designers se laissent aller à des créations ludiques et poétiques qui éclaboussent de couleurs vives notre quotidien un peu trop oppressant.  » Tout cela nous pousse à l’optimisme « , conclut Ida Philips. Une tendance que l’on aura plaisir à voir durer.

Isabelle Willot

Carnet d’adresses en page 74.

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