Que faire d’une caisse à vin vide ? La recycler, comme Jasper Morrison, en table de chevet. Ou mieux encore, éditer son clone parfait. Le packaging, sous toutes ses formes et dans toutes ses matières inspire de plus en plus de designers aujourd’hui. Grand déballage.

L’ idée s’est imposée à lui, comme ça, d’un coup, lorsqu’il a reçu, un matin, un paquet par la poste. Une fois débarrassée de son contenu et posée sur son bureau, la boîte en carton lui a  » souri « .  » Je n’ai pas pu résister à ce sourire, confie David Hofmann,  » créatif  » dans une grande agence de pub allemande. Alors, j’ai attrapé mes marqueurs et j’ai commencé à gribouiller.  » C’était il y a trois ans. Depuis, d’autres contenants ont inspiré David, qui a décidé de mettre les photos de ses créations en ligne (1) et d’inviter les autres à faire comme lui.  » Les règles du jeu sont simples, rappelle-t-il. Il suffit de réarranger une boîte pour en tirer une figure ou un objet. Tirer le plus du moins. Aiguiser notre pouvoir d’observation, en nous aidant à découvrir des ressemblances entre formes géométriques et formes naturelles.  » Les jours d’affluence, son site voit défiler plus de 4 000 visiteurs, les plus paresseux se contentant de décorer virtuellement, à l’aide du logiciel de dessin incorporé, des squelettes de boîtes mis à leur disposition.

Pour anecdotique qu’elle soit, l’histoire de cette passion sympathique pour les boîtes en carton de toutes formes et de tous usages est loin d’être isolée. Ainsi, l’artiste Rachel Whiteread a combiné entre eux 14 000 moulages d’intérieurs de boîtes pour composer Embankment, une sculpture monumentale qui a eu les honneurs de la New Tate, à Londres, jusqu’au 1er mai dernier. Et l’on ne compte plus les designers qui se laissent aussi inspirer par le packaging au sens large. La démarche, ici, n’est pas tant de recycler les produits d’emballage que de créer de nouveaux objets en utilisant des matériaux comme le carton, le bois blanc ou le polystyrène, longtemps labellisés bas de gamme. Les créateurs s’inspirent aussi des formes de ces produits par nature fonctionnels et éphémères pour les transposer dans un tout autre univers. Preuve que le look pharmaceutique a de plus en plus la cote, la marque de cosmétique Aveda a développé un packaging minimaliste (les produits sont emballés dans du carton brut), jusque dans le design du rouge à lèvres rechargeable : à l’inverse de la plupart des autres acteurs du luxe, Aveda n’a pas misé sur l’or ou l’agent pour séduire mais sur l’alu recyclé et les fibres de lin naturelles.

 » Le packaging aujourd’hui représente un marché gigantesque qui fait le grand écart entre l’emballage fonctionnel et réglementé d’un médicament par exemple, et celui, luxueux et glamour, d’un parfum de grande marque, souligne Elric Petit, membre du collectif belgo-suisse Big-Game qui a présenté au dernier Salon international du meuble de Milan, une collection de six objets inspirés des emballages intitulée  » Pack, Sweet Pack « . Le développement du commerce en ligne rend le rôle du packaging rationnel et protecteur primordial, car il faut que l’objet arrive entier jusqu’à vous. Les matériaux utilisés dans ce secteur ont évolué énormément ces dernières années. Ils ne sont pas chers et offrent des possibilités d’exploitation innombrables.  » Le quatuor s’est donc joué de ces matières, mais il s’est aussi approprié des formes et des concepts propres à l’univers de l’emballage industriel pour les confronter à celui de la maison.

Un vase pas si fragile que ça

 » Pour nous, ces produits sont d’autant plus beaux qu’ils ne découlent pas d’une recherche esthétique « , poursuit Elric Petit. Par nature, ils ont même souvent plusieurs fonctions, qui dépassent celle de l’emballage protecteur.  » Un carton, par exemple, sert souvent de siège de fortune ou, une fois ouvert, de protection pour le sol, détaille le designer belge. En partant de là, nous avons imaginé un tapis, qui a la forme d’un carton déployé, mais qui est réalisé en laine tuftée à la main.  » Baptisé Flatpack, il sera d’ailleurs édité par la célèbre galerie Kréo, à Paris. Dans le même esprit, le tabouret Box qui ressemble à s’y méprendre à l’un de ces poufs de fortune sur lesquels on s’assied lors des déménagements, est le fruit du détournement des techniques de pliage du carton adaptées à de la tôle d’aluminium. Quant au fauteuil Tetra, il est le cousin géant de ces  » berlingots  » alimentaires autrefois rempli de jus d’orange. Pour la lampe Styrène et le vase Fragile, les membres de Big-Game ont exploité les possibilités techniques de ce que l’on appelle communément la Frigolit.  » On pense souvent au polystyrène expansé (PSE) comme isolant contre les chocs, ajoute encore Elric Petit. Il remplit ici le rôle de ce qu’il protège d’ordinaire, et dans le cas du vase, il casse son image d’objet fragile par excellence.  »

D’autres aussi se sont laissé séduire par ce polymère facile à découper et à mettre en forme. Frederik van Heereveld a imaginé un étonnant fauteuil de longueur modulable. Pour les frères Ronan et Erwan Bouroullec, le PSE s’était déjà changé en cloison séparatrice alvéolée comme du nid d’abeilles (Clouds) ou en maison éphémère.  » C’est sa facilité d’utilisation qui le rend si inspirant, note Erwan Bouroullec. Je pense que les designers sont frustrés quand ils regardent les graphistes qui ont à leur disposition des outils qui permettent de tout faire : ils choisissent les couleurs, les papiers, et depuis l’ordinateur, cela passe directement à la production et ceci quasiment sans intermédiaire. Avec le polystyrène, on arrive à dessiner dans l’espace comme un graphiste peut le faire en deux dimensions sur une page.  »

Difficile aussi lorsqu’on regarde le squelette du fauteuil Facett de ne pas penser à celui d’une boîte en carton qui prendra forme par pliage. Quand au matériau cartonné lui-même, c’est lui qui constitue l’ossature des grands Rocs, dévoilés à Milan en avril dernier.  » D’ailleurs, c’est une usine de fabrication de boîte de chaussures qui a réalisé les cartons pour nous « , précise Erwan Bouroullec. Ici, tout se clipse et s’emboîte comme dans l’étagère Play du jeune designer français Antoine Phelouzat. A partir d’une combinaison de trois pièces élémentaires moulées dans du polypropylène expansé, tout bricoleur – même du dimanche – pourra construire un meuble de rangement selon son inspiration personnelle.

Des cubes, toujours, dans la mouvance  » degré zéro  » de l’ornement, ont inspiré Richard Shed pour son étagère Mr Moon et Maartje Steenkamp qui a imaginé Child Child Chair, une amusante table de jeu pour deux enfants d’âges différents. Quant à Jasper Morrison, il offre une nouvelle vie à la traditionnelle caisse de vin en bois brut en le transformant en un petit meuble multifonctionnel.  » Un jour, par nécessité et sans vraiment y prêter attention, j’ai commencé à utiliser une de ces caisses comme table de chevet, raconte-t-il. Sa hauteur et la largeur de la planche du dessus étaient idéales pour y déposer quelques objets. Comme le couvercle avait disparu, l’intérieur s’est vite transformé en petite bibliothèque. Je m’en suis servi comme ça, pendant trois ans, et peu à peu, j’ai réalisé que cette caisse remplissait le rôle de table de chevet mieux que n’importe quel autre objet.  »

Un cocon sensuel en carton

Séduit par la fonctionnalité et l’absence de prétention de ce meuble improvisé, Jasper Morrison, bien décidé à faire profiter le reste du monde de sa trouvaille, a donc créé The Crate, soit une copie de la boîte, clone fidèle de celle d’origine, fissure à l’arrière comprise !

Comme le suggère David Hofmann sur son site ludique, suffirait-il d’aiguiser son sens de l’observation pour découvrir les pouvoirs cachés des petites choses du quotidien ? Deux jeunes créateurs finlandais, Martti Kalliala et Esa Ruskeepaa, grands gagnants en septembre dernier du prix du design décerné lors de la Design Week d’Helsinki, ont en tout cas réussi à transformer une tonne de feuilles de carton en un cocon sensuel aux propriétés acoustiques étonnantes. Le thème du concours étant la musique, le duo a choisi de transformer 720 morceaux de carton de 7 mm d’épaisseur en un ministudio musical mobile de 2,5 m3.  » Très vite, nous savions que nous voulions créer une sorte de cave primitive à l’intérieur d’un bloc, expliquent-ils. Nous avons choisi le carton à cause de son faible coût et de son extraordinaire esthétique.  » Jasper Morrison, qui faisait partie du jury, s’est même dit  » impressionné par la transformation d’un matériau aussi humble que du carton en quelque chose d’aussi sublime « . L’espace intérieur, aux formes arrondies, possède des fauteuils intégrés et accueille baffles et lecteur de CD dans ses murs. Modelé dans de la terre glaise, le volume, baptisé Mafoombey, a ensuite été modélisé sur ordinateur pour permettre à la coupeuse automatique de carton, d’ordinaire utilisée pour découper des formes destinées au packaging, de déterminer avec précision la forme exacte de chaque couche et d’ensuite découper les courbes intérieures avec précision. Il ne restait plus, ensuite, qu’à empiler les feuilles les unes sur les autres. Et de se nicher dans l’une des alcôves, pour écouter de la musique douce. A la manière d’un objet précieux, protégé par son packaging.

(1) Internet : www.neu-e.de

Isabelle Willot

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