L’homme fait le grand écart entre Londres, où il a trois restaurants à son actif, et Paris, où il vient d’ouvrir une deuxième enseigne. Récit du succès de Mourad Mazouz, alias Momo, algéro-parigot, chantre de la cuisine du Maghreb et ami des beautiful people.

Ce n’est pas le genre d’homme à qui l’on donne du « monsieur ». Affaire d’allure? Question de tempérament? Histoire de parcours? Allez savoir! Et pourtant cet homme-là aurait toutes les raisons d’exhiber ses quartiers de réussite. Mourad Mazouz, alias Momo, est devenu, en trois petits lustres, un vrai golden boy du food business. Passé directement de la « bistrotte » de quartier à la belle affaire sonnante et trébuchante, sise entre Londres et Paris. Il avait déjà trois restaurants à son actif avant d’ouvrir, il y a quelques jours, à Paris, un bar-lounge et, en décembre dernier, le Sketch, l’adresse la plus trendy de la saison dans la capitale britannique.

Un espace à rallonge au coeur de ce West End glamour et usé, jusqu’ici perforé par les usines du « prêt-à-mâcher », les pubs arthritiques et les attrape-pigeons. Plus qu’un restaurant, l’affaire a été voulue pour croiser les expériences (les audaces?) dans un même lieu: des mensurations à faire pâlir n’importe quel gymnase de l’ex-Union soviétique (2 500 mètres carrés), un casting de designers à affoler le musée des Arts déco (Ron Arad, Jorgensen, Marc Newson, Vincent Le Roy), des largesses de table, deux bars, une librairie, une boîte électro, une galerie d’art vidéo… Et puis quoi encore? Pierre Gagnaire, triple macaroné Michelin, orchestre l’ensemble des assiettes. Et il y en a! En long, en large, dans les traverses: un restaurant, une brasserie de 150 couverts, un salon de thé… Et derrière tout cela, donc, un homme que personne n’appelle « monsieur ». Pas plus Madonna que ses 250 employés.

Il y a quarante ans, l’état civil l’a fait Mourad Mazouz du côté d’Alger. La vie, les rencontres et le hasard l’ont rebaptisé « Momo » pour les stars, les intimes et les autres. Voilà tout le personnage. Entier et ambigu, complexe sans être compliqué. Fils d’un couple franco-berbère, né en octobre 1962 dans une Algérie ouvrant tout juste ses paupières sur l’indépendance. Jusqu’à l’adolescence, il grandit avec son père, entre le lycée Descartes, à Paris, et le soleil de Kabylie. A 15 ans, retour dans le giron maternel, en France, à Ivry, avec une maman qui savait mal et un beau-père qui ne savait rien. C’est parti pour les années d’apprentissage. Petits boulots, petits salaires, galères ordinaires, des heures de fête, des kilomètres de nuit. Et un soir, la rencontre avec un certain Smaïn. Autre beur, même moeurs, ils deviennent amis. L’amitié, puis un coup de foudre qui l’entraîne vers New York. Rupture, tour du monde, escale à Los Angeles, retour à Paname, retrouvailles avec Smaïn, désormais vedette. Le scénario de répétera – Momo a un coeur bien plus gros que les chambres de bonne de cette époque – qui le ramènera encore à Smaïn. Les deux s’associent pour reprendre Le Bascou, troquet de peu en lisière du Marais, élu « Bistrot de l’année 1988 ».

Deux années plus tard et quelques centaines de mètres plus loin, il lance Le 404, rue des Gravilliers. Un « nord’af » qui fait dans le couscous familial et la banquette branchée. Le cocktail est explosif, Mourad vient de faire passer Paname de la bonne à la mode graine. Et Momo retombe amoureux. Allers-retours entre Paris et Londres. Une capitale « swingin » mais sans raï et sans couscous. Mr Momo et Dr Mourad ont alors une idée. Exporter le 404 « across the Channel ». Le lieu: à deux pas d’Oxford Circus. L’enseigne: Momo. Le programme: briouats, pois chiches, thé à la menthe, tapis orientaux, moucharabieh, sonorités raï, déco de bric et de babouche, service en roue libre et relationnel finaud. Pour le lancement, on invite les amis, qui invitent leurs amis. Rieuses et libertaires, exotico-frenchy, les manières délurées de ce bistrot orientalo-glamour font un tabac et trouvent bientôt un écho dans la « privilégiature » show-biz. Un soir, Madonna a décidé d’y organiser une nocturne pour Naomi Campbell et Stella McCartney. Etincelle pour un feu d’artifice. Et voilà que Cruise, Kidmann, Connery, Jagger s’affalent sur les coussins du 25-27 Heddon Street. Le Tout-Londres et l’internationale show-biz viennent se convertir à la semoule branchouille.

La suite? Une seconde adresse londonienne, un livre de recettes traduit en cinq langues, des CD, un label world music, quelques breloques (Best Bar Award, Cookery & Travel Price, fooding d’honneur 2000), des tentations éconduites (une fortune du pétrodollar lui aurait proposé la création d’une chaîne au Moyen-Orient) et l’envie d’aller voir plus loin et plus grand s’il y est: une nouvelle aventure en forme de Sketch. Marchera, marchera pas? Mourad Mazouz verra bien… En attendant, il ose. Comme il y a quinze ans au Bascou. Et Momo, dans tout cela? Star ou pas star? Mégalo flambeur ou vrai sincère? Patron au grand coeur ou pote intransigeant? Disons tout cela à la fois. Métis, mosaïque, curieux de tout, l’homme, qui prend du plaisir sachant très bien que c’est le meilleur moyen d’en donner, crée des lieux qui lui ressemblent, vibrants, ouverts, culottés comme la vie, où l’on n’a même pas besoin de dire « monsieur » aux clients. Des lieux au coeur de Paris comme l’Andy Walhoo, bar-lounge à kemia que Momo vient d’ouvrir entre le centre Pompidou et « son » 404. Andy Walhoo? En arabe: « Je n’ai rien! ».

Emmanuelle Rubin, Photos: Richard Pak [{ssquf}], Carnet d’adresses en page …,

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