Sous le bling-bling, les frasques des milliardaires et le glamour de la famille princière, Monaco cache une âme. Et même beaucoup : celles de ses habitants de souche, qui ont su préserver un certain art de vivre et le goût du beau. Plongée en six paliers.

Monaco, son rocher, sa famille princière, ses casinos, ses milliardaires, ses yachts et son circuit de formule 1… Peu de territoires dans le monde réunissent autant de clichés que cette micro principauté d’à peine 2 km2 nichée aux confins de la Côte d’Azur, à quelques virages serrés de la frontière italienne. Si vous y arrivez via l’aéroport de Nice (le plus proche), plongez-vous dans l’ambiance en empruntant l’hélico pour boucler vos derniers kilomètres : plusieurs compagnies assurent la rotation, départs toutes les demi-heures. La dépose au pied du rocher mythique vous taille le costume de circonstance, casual chic, pour toute la durée du séjour.

Et pourtant… Derrière la carte postale préférée des lecteurs de magazines people, se cache une réalité moins connue, moins tape-à-l’oeil mais ô combien plus authentique et attachante. Avec des personnages hauts en couleur, des monuments de toute beauté, des jardins luxuriants et une dolce vita qui méritent le détour, au moins pour quelques jours. C’est le Monaco des Monégasques, l’envers du décorum. On le découvre en six étapes avec l’aide d’un guide qui, à lui seul, vaut le déplacement.

1. RANDONNER AU CoeUR DE LA VILLE

Contrairement à ce que beaucoup pensent généralement, Monte-Carlo – ou Mont Charles en hommage à Charles III, le Grimaldi qui fut à l’origine du formidable essor de la principauté dès le milieu du XIXe siècle – n’est pas la capitale mais l’un des cinq quartiers de Monaco. Le plus central, qui concentre le célèbre casino et les somptueux palaces historiques comme l’Hôtel de Paris, l’Hermitage ou le Métropole.

Face au casino, les jardins des Boulingrins abritent une centaine d’essences tropicales, les Monégasques aiment s’y reposer sur un banc ou s’y promener avec leurs enfants. C’est à partir de ses fontaines que Jean-Marc Ferrié nous emmène à la découverte de  » sa  » ville, celle où ses grands-parents italiens ont immigré il y a plus d’un siècle, à l’instar d’une partie de la population locale. Cet  » enfant du pays  » (l’appellation est contrôlée), ancien sapeur-pompier retraité, a fondé l’association Au coeur de ma ville, qui propose des randonnées hors des sentiers battus (www.monaco-rando.com).

Du tracé du légendaire circuit de F1, avec ses virages en épingles à cheveux impressionnants, son tunnel creusé sous le gigantesque Fairmont Hotel, sa descente infernale des Spélugues ou sa rampe de l’avenue d’Ostende, on grimpe vers les hauteurs résidentielles du quartier Moneghetti où s’aventurent moins les visiteurs. Autour du boulevard de Belgique, se côtoient les styles architecturaux les plus hétéroclites, entre villas Belle Epoque, immeubles Art nouveau, Art déco ou fifties et tours ultramodernes, dont les duplex se louent 145 000 euros par mois aux stars du foot et du showbiz.

 » Chaque quartier, chaque lieu a son intimité et son histoire profonde « , évoque Jean-Marc Ferrié en conjuguant les anecdotes au passé et au présent. Au sommet, à flanc de falaise, le Jardin exotique et ses milliers de cactées offrent une vue dégagée sur toute la principauté – et surtout le quartier du Rocher et son palais princier. Soixante mètres plus bas, la grotte préhistorique de l’Observatoire dévoile d’originales concrétions calcaires. On achève la balade au milieu des oliviers pluricentenaires du parc Princesse Antoinette, qui accueille le très couru pique-nique annuel des Monégasques (de souche).

2. S’INITIER À LA BOULE SUR LE ROCHER

Il y a deux façons de grimper sur le Rocher qui abrite le coeur historique de la cité-Etat, sa cathédrale (où reposent les Grimaldi, dont Grâce et Rainier de Monaco) et le palais princier. Par la route qui serpente sous les remparts. Ou à pied, par la Rampe Major qui les traverse depuis le Moyen Age pour déboucher aux portes du palais. Le bus urbain nous dépose à l’entrée opposée pour découvrir une autre curiosité typique très appréciée des habitants : le Club Bouliste du Rocher, dont le resto, méconnu des touristes, propose l’un des meilleurs rapports qualité/prix de la ville, avec sa terrasse surplombant le Port Hercule et ses yachts rutilants. Tout en dégustant les spécialités locales au bord de la piste, on se passionne pour les parties de lyonnaise, cet ancêtre plus sportif de la pétanque dont les joueurs locaux dominent le championnat de France. Le prince régnant vient souvent s’y frotter…

 » A Rocca  » (le Rocher, dans le dialecte local), c’est le plus vieux quartier de la principauté ; ses venelles étroites convergent toutes vers la place du palais. Impossible de s’y perdre, même si l’on emprunte l’un de ces pittoresques passages voûtés creusés sous les maisons moyenâgeuses. Ici, même les commerces ont une âme. Et les curiosités pullulent, entre ce minuscule Musée du vieux Monaco et des traditions monégasques, l’atelier capharnaümesque du célèbre peintre et chapelier David Shilling, la bibliothèque irlandaise de la Fondation Princesse Grâce ou la promenade Sainte-Barbe, corniche surplombant la falaise garnie des appartements les plus huppés de la vieille ville. Où vivent certaines princesses…

3. GOÛTER LES SPÉCIALITÉS LOCALES AU MARCHÉ DE LA CONDAMINE

En quittant le Rocher par la Rampe Major, on débouche sur le quartier de la Condamine qui jouxte le port et l’esplanade des paddocks en période de Grand Prix. Ici, c’est au marché (couvert) que les Monégasques se donnent rendez-vous au quotidien. Nous y rencontrons Georges Marsan, le pharmacien du quartier et… maire de Monaco, puisque la principauté est aussi une cité de 40 000 habitants – dont 17 000 résidents et 23 000  » pendulaires « , comme on appelle ici les navetteurs. Sans oublier les 2 000 Belges qui forment la quatrième communauté en nombre.

Entièrement rénovée il y a deux ans, cette institution née en 1894 (la halle, grandiose, est d’époque) s’est réinventée sur le modèle des marchés populaires espagnols, avec ses comptoirs ouverts, ses produits frais à consommer sur place et ses espaces de dégustation. On y déjeune en taillant une bavette, on y trinque en soirée et on y découvre toutes ces spécialités locales dont raffolent les autochtones : barbajuans (raviolis frits farcis aux blettes), stockfish à base de morue séchée, pissaladière et fougasse monégasques, Pan de Natale (pain aux noix) ou pavés du Rocher à base de miel, d’orange et de pâte d’amandes… A l’intérieur, les commerçants sont choisis selon leur renommée pour la qualité et l’originalité de leurs produits. A l’extérieur, se tient tous les matins un marché traditionnel.  » Et tout cela n’est pas plus cher qu’ailleurs sur la Côte d’Azur, souligne le maire. En matière de prix, Monaco ne mérite pas sa mauvaise réputation.  »

4. SAVOURER UNE GASTRONOMIE DU TERROIR

La vraie gastronomie est cependant ailleurs. Marcel Ravin, chef exécutif du récent palace Monte Carlo Bay (connu pour son splendide jardin tropical en bord de mer) et virtuose du restaurant Blue Bay qui vient de décrocher sa première étoile, nous emmène découvrir son jardin secret. Au propre et au figuré, puisque le Jardin des Antipodes, audacieusement cultivé sur les hauteurs de la commune voisine de Menton par la Néo-zélandaise Alexandra Boyle, est aux cuisiniers ce que la caverne d’Ali Baba fut aux quarante voleurs : un potager aux trésors.

Le chef d’origine martiniquaise, qui officia longtemps au restaurant l’Epicerie du Méridien de Bruxelles, excelle à glisser des touches d’exotisme dans sa cuisine  » authentique et multiculturelle « , comme il la définit. Il déniche ici les herbes, les aromates, les plantes, fleurs, fruits et légumes qui font sa signature, certains cultivés exclusivement pour lui. Combinés aux produits du terroir sélectionnés chez ses fournisseurs, ils garantissent une explosion des sens. D’autres chefs entretiennent à Monaco leur propre potager. Au restaurant Elsa du Monte-Carlo Beach voisin, Paolo Sari est même le premier étoilé certifié 100 % bio. La principauté, c’est la piste aux étoiles : six restaurants s’y distinguent au Michelin…

5. S’IMMERGER EN APNÉE DANS LA RÉSERVE MARINE

Il n’y a que deux plages publiques à Monaco. L’une est dite  » secrète  » et accessible aux initiés, au pied du Rocher. L’autre est une longue bande de sable fin séparant de la mer le quartier bling-bling du Larvotto, celui des résidences de standing, des boîtes de nuit et des resorts 5-étoiles. C’est sur la plage du Larvotto que Pierre Frolla, quadruple champion du monde d’apnée et spécialiste mondialement connu de la plongée avec les requins, a installé son Ecole Bleue (www.ecolebleue-monaco.com).

Ses stages de plongée s’adressent à tous les amateurs, mais elle est surtout devenue une référence internationale pour l’initiation des enfants à la découverte, au respect et à la préservation des fonds marins. Sa localisation n’est donc pas due au hasard, outre les racines monégasques de son fondateur : elle fait face à la réserve sous-marine du Larvotto, sanctuaire où plus d’une centaine d’espèces de poissons, de mollusques, de crustacés, d’algues et d’éponges s’ébattent en toute quiétude, pour le plus grand plaisir des randonneurs aquatiques.

On peut y plonger sous le Rocher, au pied du très beau Musée océanographique fondé par le prince navigateur Albert Ier, trisaïeul d’Albert II (www.oceano.org). C’est là qu’a été immergée l’épave d’un remorqueur par 30 mètres de fond, pour créer un récif sous-marin artificiel. Nous l’avons atteinte en apnée, entraîné au fond par une  » gueuse  » en duo avec le champion, pour une initiation façon Grand Bleu. Mais on peut y descendre tranquillement en bouteilles, histoire de savourer plus longtemps.

6. DÉGUSTER LES PERLES DE MONTE-CARLO

Ce mollusque-là, on ne l’a longtemps trouvé à Monaco que dans les assiettes des grands restaurants. Depuis deux ans, il se développe aussi en mer grâce à deux biologistes passionnés, Frédéric Rouxeville et Brice Cachia, qui ont créé au pied du Rocher l’unique nurserie d’huîtres de toute la Méditerranée. La renommée de leurs Perles de Monte-Carlo a largement dépassé les frontières de la principauté et on vient de loin les déguster à la bonne franquette, sur deux tables hautes négligemment posées à l’extérieur de l’écloserie, tout au bout de la jetée du vieux port de Fontvieille réservé aux petits plaisanciers.

Elles goûtent la noisette et le corail d’oursin. Elevées sur place jusqu’à ce qu’elles atteignent 10 mm, ces huîtres grandissent ensuite en Bretagne avant de revenir pour l’affinage.  » Mais nous parviendrons bientôt à assurer ici la totalité du cycle « , glisse Fred Rouxeville, tout en grillant un homard d’un bon kilo pour nourrir ses clients. L’endroit est in mais pas smart… A l’image de beaucoup d’autres trésors cachés de ce petit bout de terre très très privilégié.

PAR PHILIPPE CAMILLARA

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