Jean-Baptiste Mondino crée des images charnelles et ludiques qui parcourent la modernité avec un décalage permanent. Son nouveau livre  » Two Much  » regorge d’idées d’une photographie jamais clichée. Entre mode, rock et vaches folles.

 » Two Much « , 312 pages, est paru chez Schirmer/Mosel.

Dans une gestuelle héritée des icônes de la religion catholique, l’enfant du rock Mondino û 54 ans û s’est fait connaître internationalement, dès les années 1980, pour ses photos et ses clips osés de Madonna. La vidéo très sexuelle de la chanteuse pour  » Justify My Love « , c’est lui, la merveille filmée du  » Osez Joséphine  » de Bashung, c’est encore du Mondino. Tout comme Vanessa Paradis noyée de lamé ou Prince offert en fleur géante. Soit une manière sensuelle de regarder les corps et d’y ajouter une ironie qui détourne la star en prêt-à-étonner. Prénom biblique, nationalité française, famille italienne, éducation dans une banlieue prolétaire de Paris (Aubervilliers), Jean-Baptiste Mondino est un adulte qui écoute les enfants. Les siens, surtout. Dans  » Two Much « , il pousse encore un peu plus le fun et la beauté dans leurs retranchements ultimes. Quelques stars û Madonna, Tom Waits, Gwyneth Paltrow, Courtney Love û sont détournées de leur chemin vers les étoiles. Et le livre est rempli de mannequins anonymes, qui, après leur Mondinotisation, ne le seront plus vraiment…

Weekend Le Vif/L’Express : Excepté vos autoportraits, on voit peu de photos de vous. Pourquoi ?

Jean-Baptiste Mondino : Parce que j’ai été bien éduqué ! Les gens sont mal polis, imbus d’eux-mêmes. Bien qu’étant déjà de la génération qui a vécu le truc warholien comme quoi tout le monde peut être connu, j’ai aussi le désir de ne pas être placardé partout !

Mais votre fille û Mao, 12 ans û est en couverture de  » Two Much  » !

Et mon fils Félix est à l’intérieur en Buffalo ! Je ne fais pas de photos de famille… Pour mon fils, c’était pour une série de mode. La photo de Mao, c’était pour un hôtel à Londres ouvert par Philippe Starck. Pour enlever le côté lustré de l’endroit, on a pris ma fille et des petits copains et copines qui font une succession de grimaces.

Une photo de vous gamin clôt  » Two Much « .

Ma mère a gardé mes photos d’école et d’enfant de ch£ur.

Quel genre d’enfant de ch£ur étiez-vous donc ?

Un enfant de ch£ur qui ne comprenait pas très bien. En même temps, cela a été ma première formation : les icônes, le Christ, un mélange incongru d’images terriblement sexuelles et mystiques d’un homme sur une croix, écartelé. Un joli corps, des femmes prostrées avec des cuisses épaisses, des guerriers avec des muscles saillants, des lumières divines, des plis. Par après, j’ai retrouvé cela dans la gestuelle rock’n’roll : Jim Morrison les bras écartés, les lèvres charnues de Mick Jagger, les poses d’Iggy Pop. Je suis allé jusqu’à la mode qui a été la continuation de tout cela.

Dans le livre, il y a un  » remix  » du corps de Gwyneth Paltrow : c’est son visage sur un autre corps plus massif…

Ce sont des photos liées à un film ( » Shallow Hal « ) où elle est très grosse. Je trouvais intéressant de la faire un peu plus Botero. J’avais casté une fille ronde qui était sur le plateau en même temps que Paltrow : elle prenait les mêmes poses dans la même lumière. Et c’est là que j’ai eu une révélation en faisant le stylisme : je me suis aperçu de la pauvreté de la mode pour les femmes rondes, il n’y a que des trucs nunuches. L’évolution du raffinement, du bon goût, n’est pas tourné vers elles. Quand on voyait Paltrow et l’autre à côté d’elle, celle qui a l’air d’avoir un problème, c’est la maigre… Curieux comme cette notion est subjective. On est juste à la limite de l’ingratitude, cette fille avec ses cuisses, elle est appétissante.

En regardant les autoportraits dans  » Two Much « , le ludique est partout.

Peut-être parce que mes enfants sont ma principale source d’inspiration. Avant la lecture, le cinéma, les expos, la musique. Les gens les plus frais et les plus pointus que je connaisse, ce sont mes enfants parce qu’ils portent la vraie modernité de demain. A longueur de journée, j’ai à faire à des gens qui pensent être dans la modernité, mais qui sont dans une modernité friable, du moment, qui ne va pas très loin. Mes enfants sont ludiques, très rapides, je leur pique plein d’idées finalement…

Autant les idées ne le sont pas, autant le dessin des photos se rapproche de la représentation classique, de la peinture.

En fin de compte, mon inspiration est très peu photographique : même maintenant, je ne suis pas un passionné de la photo. J’ai été davantage marqué par la peinture des églises et puis après, par la représentation des groupes dans la musique. Dans les années 1960-1970, l’art existait, mais, en aucun cas, je ne pensais qu’il m’était destiné. Rien dans le quotidien ne me reliait à lui. Et puis, Warhol a fait la pochette du Velvet Underground, ainsi il venait déjà sur mon terrain, ensuite il a fait Presley avec un couteau à la main û tiré d’un western û et a lancé le magazine  » Interview « . Warhol prenait des icônes, jouait avec les polaroïds, faisait des posters û j’en avais un de lui à la maison û ainsi, il était dans la multiplication, dans la modernité de mon temps. Le petit miracle de mon époque a été le 45 tours qui offrait la possibilité de multiplier les petits miracles musicaux et de le donner à tous.

Vous avez toujours fait la jonction entre la mode et l’énergie plus populaire de la musique !

Normalement, la mode devrait toucher tout le monde. On vend des parfums, des vêtements, des chaussures : regardez la place de la mode dans la société. Très peu de comportements ont été donnés par le cinéma, par exemple ! Hormis la mode, je ne connais aucun domaine autant tourné vers la femme, même s’il peut être un peu limité, que les gens s’en servent mal, qu’il y a de la prétention, des abus.

Quelle est la réaction de vos enfants par rapport aux images plus sexuées, plus sexuelles de votre travail ?

Quand il y a de l’humour, c’est bon ! Il y a certaines photos que je m’interdis de faire en tant que père : si je fais un travail, en aucun cas il ne doit pas ne pas être montré à mes enfants !

On reconnaît les  » physiques Mondino  » dans le choix des mannequins : androgynie, bouche charnue ou alors physiques très musculeux.

Oui, c’est entre Elvis Presley, la statue de La Liberté et Marlon Brando. J’ai l’impression que le fondement de ce qui m’a marqué, c’est dans les dix premières années de ma vie. Il y a eu le Christ, Charles Bronson, les Stones, puis après, quelques petites choses se sont greffées. De  » L’Arrangement  » de Kazan au  » Théorème  » de Pasolini, Fassbinder, beaucoup d’auteurs homosexuels. L’esthétisme, la poésie homos ont été très nourrissants…

Alors que vous êtes hétéro…

Oui, complètement hétéro, complètement italien et complètement vieux (sourire).

Dans  » Two Much « , l’une des plus belles photos est celle de Tom Waits avec une guirlande électrique autour du cou !

C’est mon assistant qui a eu l’idée de ramasser la guirlande qui était par terre. On le lui a mise autour du cou et voilà. C’est une photo jubilatoire qui lui va bien parce que Tom Waits est quelqu’un qui fait du merveilleux avec trois balles. C’est Noël !

D’où vient l’inspiration de vos photos qui est souvent en contre-pied, parfois à contresens ?

L’inspiration vient de la vie, de la télé, dans la rue, je feuillette très peu de bouquins. Je préfère magnifier des choses simples : il y a des vaches folles, donc je fais des vaches avec des chapeaux, c’est aussi con que cela.

Pourquoi ne jamais faire de reportages ? Vos seules photos du genre sont des clichés de Michel Rocard pour  » Libération « , il y a quelques années !

On a chacun une prédestination à quelque chose, on ne peut pas être tout. Je suis une sorte de photographe-illustrateur. Comme Goude, qui a été parmi les premiers à me marquer, parce qu’il était entre le dessin et la photo ! Mon parcours photographique n’a pas été révélé par des  » photographes classiques  » comme Avedon. J’ai plutôt été inspiré par les premières photos de Guy Bourdin, les couleurs très séparées, l’open-flash et tout ça. Le côté photo rutilante. Bourdin n’est pas non plus un photographe naturel : c’est quelqu’un qui voulait être peintre, comme Man Ray ! Un illustrateur ou un peintre mis dans la matière photographique, c’est davantage moi.

Quel sentiment éprouve-t-on à fréquenter au jour le jour des prototypes de beauté, des mannequins d’un mètre quatre-vingt-cinq et…

Et de rentrer chez moi et voir ma femme de 40 ans dans mon lit, c’est ça (sourire) ? Je suis le premier à dire que c’est très étrange de passer son temps à photographier des filles, comme celle d’hier, une jeune Estonienne sublime de 16 ans, mais moi, depuis que je suis petit, j’aime les femmes mûres. Je suis plutôt gérontologue.

Gérontophile !

Oui, mais on ne sait pas à quel âge on commence à être gérontophile ( rires), c’est quoi l’âge ? C’est très subjectif. Aujourd’hui, on a l’impression que dans la mode ou le cinéma, au-delà des 30 ans…

Mondino, qu’est-ce que vous achetez ?

Des disques, de la DHEA, du Magnet B, du Magnet B6.

De la DHEA, déjà ?

Ben oui, cela commence à 40 ans normalement ! C’est là où je dépense : dans les pilules. C’est pas pour vivre vieux, même si j’aimerais vivre encore pour accompagner les gens que j’aime bien. J’ai décidé qu’après 50 ans, ce n’était que du bonus, que du rab !

Vous avez photographié Courtney Love à plusieurs reprises : une des photos la présente couchée sur une table, dans un calme inhabituel !

Elle est dans une position de f£tus, j’ai gardé toutes les marques sur ses genoux… J’étais resté en arrêt devant une photo dans  » Libé  » sur un spectacle de Pina Bausch où des femmes étaient sur des tables. Je trouvais ça beau, sensible. A la session avec Courtney, je me suis fait livrer une table et pendant quelques secondes, elle s’y est assoupie. Elle est incroyable parce qu’elle est profondément honnête, c’est ce qui me plaît dans les femmes fortes que j’ai pu côtoyer dans mon travail. Elles m’ont aidé à mieux comprendre les femmes, donc à mieux comprendre la mienne, parce que l’intérêt, c’est de ne pas faire de bêtise avec la sienne. Pour nous les hommes, la femme est quand même l’être, l’alien, le plus incroyable sur la planète. On n’en voit pas la fin, c’est comme un abîme, c’est tellement complexe, différent, cela bouge tout le temps. Nous on est linéaires, elles peuvent un peu se reposer sur nous, même si ça les agace, parce qu’elles sont dans un chaos permanent, avec leurs règles, leur vieillissement. Les femmes sont fondamentalement dans une schizophrénie, ce sont des matrices. Regardez la puissance de mutation de Madonna ou d’une Björk qui va vous montrer des zones très obscures, étranges, irréelles. Courtney Love est la seule Keith Richard de la planète. Autour d’elle, ils tombent comme des mouches mais elle, elle tient. Elle va vous aimer d’un amour fou pendant dix minutes, puis elle va devenir folle, puis elle va se mettre à pleurer, puis elle va avoir de la compassion. En l’espace d’une demi-heure, tout cela passe alors que vous, vous n’avez qu’une émotion à montrer.

Vous travaillez avec Madonna depuis 1985-1986. Quelles impressions tirez-vous de cette expérience ?

J’ai eu la chance de pouvoir suivre l’itinéraire d’une femme, tout ce qu’elle a pu effeuiller de la musique pop, couche par couche. Le succès de Madonna vient du fait qu’elle a mis le doigt d’une manière populaire sur des choses très personnelles : elle nous fait participer un peu à son questionnement. Moi qui ne veux plus faire de clips, quand elle m’appelle, ce n’est pas pour redorer mon blason û parce qu’avec elle, la route est belle û mais quand elle m’appelle, je n’ai pas le droit de dire non !

Pourquoi ne plus faire de clips ? Parce que je ne regarde plus les clips alors que j’achète toujours autant de musique. Le clip prend énormément de temps et aujourd’hui, la musique parle de moins en moins par l’iconique. Je reçois pas mal de projets mais cela ne me parle pas : pour moi, le clip n’est plus nécessaire. On dépense plus d’argent dans le clip que dans le disque. Les clips, c’est lourd.

Et le cinéma ?

Je n’ai pas de capacité sur le long terme, c’est comme la course, j’ai fait du marathon, je ne ferais pas du cent mètres ! C’est pas ma distance le cinéma. Moi, je baisse les bras très vite… Chaque fois que je fais un travail, une chose m’intéresse, c’est de le faire, mais de me dire  » ce soir, je retrouve ma vie ! ».

Dans  » Two Much « , il y a aussi une image à double exposition (superposée) de Placebo !

J’aime beaucoup cette image qui traduit bien le titre de l’album  » Sleeping With the Ghosts « . Brian Molko (le chanteur) me disait :  » C’est le souvenir de tous ces corps qu’on a touché ou des choses qu’on a pu avoir.  » Il me donnait son interprétation. Le  » Ghost  » c’est ça, pas du tout une pensée gore. J’ai pensé faire cette double exposition : un garçon avec une fille dans les bras, ensuite elle s’en va. Je ne savais pas très bien ce que cela allait donner mais le résultat est au-delà de mes espérances. Je pensais bien avoir quelque chose qui allait fonctionner mais dans cette photo, il y a quelque chose de fort sur le désir. Un corps que tu n’arrives pas à attraper… On dirait même du Bacon par moment ! Cela m’a complètement dépassé.

Etes-vous fier d’une photo en particulier ?

Je suis plus fier de mon attitude que de mon travail. Le mot  » fierté  » ne peut pas aller à mon travail. Simplement, je trouve qu’ avec l’historique qu’on a derrière nous, la connaissance qu’on a, les maîtres qui ont été les nôtres, la multitude, c’est la moindre des choses qu’on se plaque sur des gens et que cela devienne créatif.

Mais vos photos sont très identifiables !

Oui, j’ai des limites et une manière de faire, mais la patte ou le style ne sont pas forcément  » créateurs « . Peellaert, Goude, Warhol sont des créateurs, moi, je suis un publicitaire ! Je ne le dis pas pour botter en touche mais il y a des lettres de noblesse à l’être. On peut être aussi un bon exécutant comme un mec qui fait du bon pain. Je n’ai pas la torture du créateur, je dors bien le soir ! Je ne suis pas profondément un artiste, les artistes sont un peu rongés, ils ont une mission. Moi, je suis là pour servir. Mais ce n’est pas parce qu’on n’est pas créateur, qu’on est vide ! Il faut laisser un peu son côté divin au mot  » créateur « . Mais il faut aussi être respectueux avec d’autres fonctions tout aussi nécessaires : je ne crée pas, j’accompagne. Par contre, quand je fais des enfants, je suis un créateur !

Propos recueillis par

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