Récemment oscarisée pour Still Alice, Julianne Moore campe une universitaire austère dont le mariage part en vrille dans Maggie’s Plan, comédie romantique poivrée de Rebecca Miller.

Le froid a pratiquement eu raison de sa voix, envolée quelque part entre New York, Londres et Berlin, mais pas de son enthousiasme : Julianne Moore est de passage à la Berlinale pour y parler de Maggie’s Plan, le nouveau film de son amie Rebecca Miller et, bien que grippée, elle enchaîne les interviews avec un aplomb que désapprouverait le corps médical. Y ajoutant qui plus est la manière : détendue et souriante.

L’actrice n’est, à l’évidence, pas blasée pour un sou. On le serait pourtant à moins. En quelque vingt-cinq ans de carrière, la rousse flamboyante s’est hissée au firmament. Julianne Moore a ainsi travaillé avec les plus grands, de Robert Altman à David Cronenberg, en passant par Louis Malle, Paul Thomas Anderson, Gus Van Sant, Todd Haynes ou les frères Coen ; réussi l’improbable synthèse entre cinémas indépendant et hollywoodien, au point de pouvoir passer sans douleur de The Kids Are All Right à The Hunger Games ; couronné le tout d’une kyrielle de prix, jusqu’à l’Oscar de la meilleure actrice, enfin décroché il y a douze mois pour sa bouleversante composition dans Still Alice, de Richard Glatzer et Wash Westmoreland, dix-sept ans après sa première nomination, pour le Boogie Nights de Paul Thomas Anderson. Tout vient à point à qui sait attendre, prétend la sagesse populaire. Celle qui est aussi l’égérie de L’Oréal Paris compte manifestement parmi ses qualités de savoir laisser le temps au temps, elle dont la carrière n’a vraiment décollé qu’à la trentaine bien entamée. Et dont le succès présent résonne comme un pied-de-nez adressé au jeunisme conquérant…

LES RELATIONS MODERNES

Consacrant ses retrouvailles avec Rebecca Miller, avec qui elle tournait en 2009 The Private Lives of Pippa Lee, Maggie’s Plan s’inscrit dans la tradition féconde des comédies romantiques new-yorkaises à l’esprit aiguisé. Julianne Moore y incarne Georgette Harding, une brillante universitaire d’origine danoise surtout absorbée par son travail et sa personne. Une femme dont le mariage boiteux implose lorsque John (Ethan Hawke), son mari et père de leurs deux enfants, par ailleurs anthropologue et aspirant écrivain, fait la rencontre de Maggie (Greta Gerwig), pétulante jeune femme au pas cependant mal assuré pour qui il va bientôt la délaisser. Le premier d’une série de rebondissements à haute teneur loufoque.  » A la découverte de cette histoire, j’ai été frappée par la relation entre ces deux femmes, et par le fait qu’il ne s’agisse pas d’adversaires, explique la comédienne. Quand Maggie finit par rencontrer Georgette, la première réflexion qui lui vient à l’esprit, c’est de se dire qu’elle l’aime bien, et combien elle la trouve intéressante. Et Georgette se montre accueillante à son égard, parce que ses enfants l’apprécient et qu’elle s’est bien occupée d’eux. C’est une évolution que j’observe assez souvent. Les familles sont plus complexes que par le passé, et les gens font des efforts pour que tout le monde s’entende. Cela donnait un ancrage intéressant et résolument moderne au film.  »

Et de fait, Maggie’s Plan prend joliment la mesure fluctuante de relations, conjugales et autres, pour esquisser en creux la difficulté qu’il y a à les installer dans la durée, confronté à la multiplication des possibles. Vaste sujet, abordé avec cette légèreté qui fait le charme des comédies sophistiquées. Et sur lequel Julianne Moore, engagée dans une relation au long cours avec le réalisateur Bart Freundlich, si elle a bien sa petite idée, n’entend pas trop s’avancer :  » Pourquoi un mariage est-il une chose compliquée ? Fameuse question, à laquelle je ne saurais pas apporter de réponse. Le mariage est un lien qui se vit un jour à la fois, et où il faut être indulgent l’un envers l’autre, compatir, être impliqué. C’est difficile, mais du travail, non. Cela doit rester du plaisir. Si c’est tellement difficile, mieux vaut s’en aller, non ? Certaines relations fonctionnent, d’autres pas, cela requiert des efforts, mais certainement pas du travail – ce serait tellement malheureux.  »

Que le film adopte un point de vue féminin sur ce sujet n’était évidemment pas pour lui déplaire. Non, pour autant, qu’elle verse dans le militantisme cintré.  » Maggie’s Plan aurait certainement été différent réalisé par un homme, et cela me convient. Les histoires, qu’il s’agisse d’un film ou d’un livre, reflètent la vision de leur auteur, masculin ou féminin. Et dans le cas présent, on a affaire à une perspective délibérément féminine parce que le film a été écrit et réalisé par une femme. Le seul moyen d’améliorer la diversité au cinéma, c’est de donner la parole aux auteures. On ne peut imposer arbitrairement à quelqu’un d’écrire plus sur les femmes, tout le monde écrit en fonction de sa propre expérience, et c’est d’ailleurs fort bien.  » Un voeu pieux, dans une industrie dirigée à une écrasante majorité par des hommes ?  » C’est bien cela qu’il convient de changer « , précise-t-elle, avant de s’attarder sur l’expérience de la Norvège, à la pointe du combat pour l’égalité entre les sexes, où, à titre d’exemple, un quota pour la représentation des femmes dans les conseils d’administration a été instauré dès 2003.  » Toutefois, plus encore que d’imposer des quotas, il faut revoir l’éducation. On peut commencer par des quotas, après quoi il faut modifier le système de l’intérieur. C’est comme introduire une langue dans une culture quand les enfants sont petits. On ne peut pas dire à tout le monde : maintenant que tu as 18 ans, tu es apte à parler une autre langue, cela ne va pas marcher. En revanche, si l’on change le système pour se mettre à enseigner cette langue dès l’âge de 4 ans…  »

EN DANGLISH DANS LE TEXTE

Puisque l’on parle de langue, l’anglais pratiqué par Julianne Moore dans Maggie’s Plan est façonné dans un accent danois à couper au couteau. L’effet est proprement hilarant, mais peut aussi avoir des conséquences inattendues. L’actrice raconte ainsi que, lors de la soirée suivant la première du film à Berlin, de nombreux spectateurs allemands lui ont avoué la comprendre plus facilement ainsi qu’au naturel, son débit emprunté apparaissant plus accessible que celui, volontiers désinvolte, d’Ethan Hawke et Greta Gerwig. S’exprimer en  » danglish  » dans le texte, elle en a eu l’idée alors qu’elle discutait du rôle avec Rebecca Miller.  » Sa mère était autrichienne et la mienne écossaise. La notion d’une personne qui apparaisse comme légèrement différente et quelque peu exotique là où elle vit nous était donc familière. La façon dont Georgette s’exprime est le reflet de sa différence culturelle. Pour peaufiner son accent, j’ai travaillé avec un coach, passé du temps avec des amies danoises et écouté des enregistrements… « Quant à sa garde-robe, elle contribue, sous un chignon haut perché, à souligner la sophistication du personnage, sinon son excentricité.  » On croise beaucoup de femmes comme elle à New York, et j’adore la façon dont elle s’habille, reflet d’une personnalité artistique, intellectuelle et européenne, avec les chandails duveteux créés par Ryan Roche et ce genre de choses… Je voulais aussi qu’elle soit lunatique, en raison du côté imprévisible et déstabilisant que cela peut avoir pour les autres. « 

La combinaison est, en tout état de cause, probante. Elle vient étoffer le profil austère de l’intellectuelle dont l’autorité dissimule un esprit plus acide qu’il n’y paraît de prime abord – épouse délaissée, certes, mais pas sans ressources pour autant, le film trouvant là un ressort poivré du meilleur effet, pour s’ériger aussi en peinture en coin des affres de l’intelligentsia new-yorkaise. La dynamique du récit vaut par ailleurs à Julianne Moore de s’aventurer du côté de la comédie, un registre qu’elle n’a finalement guère exploité tout au long de son imposant parcours – avec quelques exceptions notables, comme The Big Lebowski, ou, plus récemment, Crazy, Stupid, Love -, et pour lequel elle fait preuve, pour le coup, d’évidentes dispositions. Constat qui a le don de l’enchanter :  » Tourner une comédie est fort agréable mais aussi très difficile, parce qu’on doit trouver la note juste, sans être jamais certaine d’être amusante. On peut parfois croire être outrancièrement drôle sans que personne ne partage ce sentiment… « En quoi on peut la rassurer, puisqu’elle ajoute au sens du timing et de la réplique assassine un aplomb qui achève de rendre sa Georgette inoubliable par-delà la tentation du cabotinage. C’est ainsi non sans arguments que Rachael Horovitz, la productrice du film, avance que  » la comédie est l’arme secrète de Julianne Moore « .

A croire d’ailleurs qu’elle y prend goût, puisque à côté du Wonderstruck de Todd Haynes, le réalisateur qui lui avait peut-être offert son plus beau rôle dans Loin du paradis, elle est annoncée dans Suburbicon, réalisé par George Clooney sur un scénario des frères Coen, mais encore dans Kingsman 2, la suite de la comédie d’espionnage de Matthew Vaughn. Non, pourtant, qu’elle soit du genre à tirer des plans sur la comète. Woody Allen (dont elle confesse adorer le Annie Hall, » la meilleure comédie romantique de tous les temps « ) a dit un jour, dans l’un de ces aphorismes dont il a le secret :  » If you want to make God laugh, tell him your plans  » (NDLR : si vous voulez faire rire Dieu, expliquez-lui vos plans). Julianne Moore s’en garde soigneusement, qui confie :  » J’ai une notion de direction, mais je ne pense pas avoir jamais eu de plan. Enfant, je déménageais si souvent(NDLR : en fonction des affectations de son père militaire) que je ne savais pas où j’allais bien pouvoir me retrouver. Quand on me disait : « A l’été prochain », je ne pouvais que répondre « je ne sais pas ». J’ai toujours été étonnée par les gens qui arrivaient à planifier. Je structure ma vie pour les semaines qui suivent, j’organise mes rendez-vous au yoga, ou mes lunchs, mais si quelqu’un me parle d’un événement se produisant en août, je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où je serai. Je ne prévois que sur le court terme, bien consciente aussi que, quoi que l’on pense, l’imprévu est toujours au rendez-vous…  » Constat posé avec un humour dont elle ne se départit guère, même lorsqu’elle évoque les paparazzis qui, ayant surgi intempestivement sur le tournage, la traquent aussi inlassablement à New York.  » Il y en a pour ainsi dire partout. L’autre jour, je me rendais au yoga, il faisait très froid, mes cheveux étaient recouverts par un chapeau, j’avais des lunettes, et voilà qu’un paparazzi fait irruption pour prendre une photo. Et moi de lui dire : « Comment pouvez-vous seulement être sûr que c’est moi ? »  » Et de prendre congé sur un rire communicatif…

Maggie’s Plan de Rebecca Miller, sortie ce 27 avril.

PAR JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

 » JE NE PRÉVOIS QUE SUR LE COURT TERME, BIEN CONSCIENTE QUE L’IMPRÉVU EST TOUJOURS AU RENDEZ-VOUS.  »

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