Dorabella, il l’imagine pulpeuse, voluptueuse, librement sensuelle. Pour elle, il a prévu des tons chair, rosés, nacrés, puis, plus tard, pour mieux la faire rayonner, de l’écarlate. Fiordiligi, il la pressent plus discrète, évanescente, spirituelle. Elle portera du taffetas et de la faille jade délavé, puis du bleu nattier. Le vieux play-boy désabusé Alfonso s’affichera, lui, dans un exquis bleu noir… Pour les six personnages en quête d’amour réunis par Mozart et Da Ponte dans l’éblouissant Così fan tutte à l’affiche à la Monnaie, Christian Lacroix a déployé toute sa palette de couleurs, traversant les miroirs, explorant le passé pour le mêler étroitement au contemporain. Aux vêtements très xviiie siècle des deux fougueux fiancés, Ferrando et Guglielmo, il a ajouté des capuches streetwear. L’originalité dans le respect, la fantaisie dans l’harmonie. Une maestria qui unit le divin compositeur et le talentueux styliste. Le raffinement sous l’apparente légèreté.

Merci à la Monnaie de nous avoir ouvert tout grand ses portes pour cet événement musical exceptionnel, acceptant de lever le voile, en avant-première pour Weekend, sur une production magique aux multiples constellations. Et qui demande, certes, d’avoir des oreilles et des yeux, mais aussi du c£ur. Dans le droit fil d’une politique menée depuis plusieurs années avec brio par une équipe qui a su, faute de moyens substantiels, relever tous les défis. Place donc tout naturellement en ce début 2006, à la grâce mozartienne et au chassé-croisé amoureux, à la fois délicat et cruel du Così, qui se glisse entre opera seria et opera buffa, pour une intrigue inspirée par la prétendue inconstance des femmes. Quand le comique vire au grave… pour mieux céder la place, in fine, à un bonheur fragile et insouciant. L’ombre et la lumière. Un pessimisme optimiste qui habite également Christian Lacroix. La création comme réponse au spleen, à la mélancolie, aux mauvais jours, à l’horizon qui semble bouché, il connaît, comme il nous l’a expliqué dans une très longue interview mezza voce accordée dans les coulisses même du grand théâtre bruxellois (lire pages 10 à 14), caressant sans cesse les étoffes, tout en supervisant d’un £il attentif les essayages. Une rencontre riche, où il est question de loyauté, de droiture, d’un certain courage citoyen, d’un vrai humanisme. Et puis, surtout, un plaidoyer magnifique pour l’élégance MALGRÉ TOUT. Une valeur éternelle déployée sur tous les tons et dans les déclinaisons musicales les plus audacieuses par le génial Amadeus. Quand la connaissance des hommes rejoint la maîtrise subtile de l’art. Mozartissimo !

Christine Laurent

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