Il y a parfois un fossé entre la maternité rêvée et la réalité. Psychologue clinicienne et psychanalyste, Sophie Marinopoulos nous met en garde contre les leurres, les désirs de perfection et les obsessions illimitées de la société.

Qu’est-ce qui pousse les gens à avoir des enfants aujourd’hui ?

Dans cette société narcissique, le désir d’enfant est lié aux attentes personnelles et groupales. La complétude du statut d’adulte va de pair avec le fait de devenir parent. On est également dans l’obsession de la reproduction et le maintien de l’espèce humaine. Nous sommes les bâtisseurs de notre lignée et de notre pérennité. Pour aller au bout de ce défi, certains sont prêts à tout pour avoir des enfants. C’est pourquoi nous devons parfois leur dire stop.

 » Avoir  » un enfant, est-ce une désignation possessive ?

Le sentiment d’appartenance est en jeu. L’enfant n’est pourtant ni un objet ni un prolongement de soi, mais une personne à part entière. Certains parents ont de telles attentes envers ce soi-disant double d’eux-mêmes, que dès qu’il s’en éloigne, ils subissent une atteinte narcissique. Cela peut induire des relations figées, où chacun est mis en danger.

Pourquoi le refus de maternité est-il si mal perçu ?

C’est totalement tabou ! On part du principe que l’épanouissement de la femme doit passer par la maternité. La femme enceinte est regardée avec admiration car elle offre un bébé à la société. Celle qui ne le fait pas est une traîtresse. Cet idéal questionne la liberté de la femme, sa place dans la famille et la société, et les rapports hommes/femmes. Au regard du quotidien, on a encore besoin du féminisme ! Le désir d’enfant comprend une dimension créative de soi-même, mais on peut aussi engendrer d’autres formes de  » bébé « . A travers son travail, Coco Chanel a engendré des tas de  » filles « , à qui elle a transmis son look.

La mère demeure toutefois sur un piédestal.

On refuse de renoncer à cette maman mythique, qui nous a portés et qui fait que nous sommes là. Cet idéal collectif peut entraver le développement de la femme. La féminité étant synonyme de maternité, il ne peut y avoir la moindre fêlure. Ainsi, on n’admet pas que l’instinct maternel n’existe pas. Empathiques, certaines mères comprennent d’emblée les besoins du bébé pour avancer avec lui dans la vie. D’autres ont besoin de plus de temps car elles sont trop centrées sur elles-mêmes, leurs angoisses ou la complexité de cette relation.

Malgré le culte maternel, la société n’aide pas les femmes qui sont tiraillées entre boulot et bébé.

La société est très paradoxale. Elle nous encourage à faire des enfants, mais, après, elle faillit à ses devoirs minimums. Dévalorisées, les mères au foyer se sentent inutiles. Celles qui retravaillent cherchent l’équilibre enfants/boulot. J’y vois une façon de nous faire payer notre liberté acquise… Le choix professionnel étant prioritaire, les femmes ont des enfants de plus en plus tard. Il en résulte des petits surinvestis, chez qui on observe des troubles inédits de langage, d’ego et d’autonomie psychique.

Sommes-nous de plus en plus exigeants envers les mères, qui doivent être aimantes, psychologues, pédagogues ?

Ces diktats sont d’autant plus présents que l’idéal ne peut jamais se tromper. Les femmes se mitraillent elles-mêmes car elles sont porteuses de ce diktat. Appréhendant le rejet, elles veulent être reconnues pour leur rôle de mère. L’enfant leur renvoie une image narcissique par rapport aux attentes sociales. Calquer une image idéale sur lui, revient à confirmer la mère dans son statut parfait. Mais il est impossible d’être uniquement l’enfant du désir parental. Aliénés, certains ont du mal à se développer. On peut être une personne différente, tout en étant relié à ses parents !

Comment être mère en restant femme ?

Seules quelques voix s’élèvent (par exemple la romancière Eliette Abécassis) pour dénoncer ces diktats et affirmer qu’être mère ne rime pas avec 100 % de bonheur. Bon nombre de mères s’enferment dans leur rôle au détriment de la femme. C’est là qu’intervient le conjoint, qui doit s’interposer entre maman et bébé. En détournant la mère de son désir excessif pour l’enfant.

D’après vous,  » le père enceint existe « . Que se produit-il en lui ?

En consultation, nous sommes témoins de ces pères qui se pèsent et abordent leurs  » bobos « , pour qu’on se penche sur leur corps. Ils ont besoin d’attirer l’attention sur eux. L’homme étant pudique, sa  » grossesse  » l’est aussi. Cette métamorphose mentale est ressentie dans sa chair. La paternité est très psychique, car elle doit passer par la mère pour rencontrer l’enfant en devenir. Aussi doivent-ils partager la construction de l’enfant imagé.

L’échographie permet-elle de mieux concrétiser l’enfant ?

Pour le père, elle est fondamentale car elle concrétise sa pensée. La mère est plus dans l’éprouvé. Son corps lui donne tant d’éléments, qu’elle est nourrie d’images qu’elle se fabrique dans sa tête. L’échographie peut créer un décalage entre l’image virtuelle et la réalité. Les mots des professionnels et le travail imaginaire sont essentiels. Ils peuvent influencer le lien mère/enfant, surtout lorsque le bébé n’est pas  » parfait « . Aujourd’hui, il y a une telle prise en charge physiologique, qu’on néglige l’état psychologique des mères. Or, la grossesse se déroule dans le corps ET le psychisme ! Nul ne veut voir la souffrance des futures mères. Pour construire le lien, affectif et transgénérationnel, elles doivent réaliser qu’elles attendent un enfant, dont elles sont responsables.

 » La maternité est fondée sur ce que nous sommes.  » Pourquoi est-elle influencée par les femmes de la famille ?

On devient mère avec toutes celles qui nous ont précédées. C’est cet héritage personnel et culturel qui nous rend mère. Une femme est composée de multiples femmes. Comme elle les porte en elle, elles ont un rôle influent qui s’inscrit dans l’organe psychique. L’important n’est pas de savoir comment était sa mère, mais comment on l’a ressentie avec sa sensibilité.

Que signifie finalement être parent ?

Etre parent, ça comprend s’engager, transmettre, tenir debout, imposer des limites et dire non. Il ne s’agit pas seulement d’une belle aventure, mais d’une expérience, traversée de houles, de tempêtes et de moments complexes. C’est une histoire à vie. Le processus de parentalité n’est jamais achevé ! Des adaptations sont nécessaires tout au long de l’existence car tout comme l’enfant, le parent évolue et grandit.

Face à la philosophie de  » l’enfant à tout prix « , faut-il imposer une éthique de parentalité ?

En cette ère folle, où l’on tente de maîtriser la jeunesse et la mise en route de la vie, on n’aspire plus qu’à l’immortalité. Dignes de la science-fiction, ces  » bricolages  » – qui donnent lieu à des bébés, conçus hors sexe, hors corps et hors vie (par exemple le sperme d’un défunt) – sont très inquiétants. A quoi tient la construction familiale, qu’est-ce qui est porteur d’humanité ? Une  » éthique du ventre  » s’impose ! Or dans cette société, qui ne supporte pas la frustration, le refus est vécu comme un drame. Il faut pourtant imposer des limites dans les relations humaines, sinon il sera impossible de vivre ensemble.

9 mois et cetera, par Sophie Marinopoulos & Israël Nisand, Fayard, 273 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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