Avec ses yeux de chat et sa crinière de lionne, Nathalie Rheims ne passe sûrement pas inaperçue. Vêtue comme une cavalière, la romancière semble s’être évadée d’un tableau impérial. C’est dans la Ville lumière que nous avons rencontré – dans un palpitant Face to Face – cette femme singulière, profonde, émouvante et éblouissante.

Paris, xiiie arrondissement. A quelques pas de l’imposante église de la Madeleine, se situe l’hôtel Bedford. Plutôt discret, il arbore un cachet authentique et cosy. Ici, tout le monde connaît Nathalie Rheims et son  » habituel chocolat chaud « . Très distinguée, elle fait son entrée dans un long manteau noir, qui lui confère un air énigmatique. Impossible de ne pas se retourner sur cette femme qui cultive pourtant le goût du mystère. Sa chevelure est comme un halo de lumière, qui attire d’emblée le regard. Il en va de même de ses boucles d’oreille perlées, qui encadrent son ravissant visage. D’un naturel plutôt timide, elle a une voix de miel. Cigarette aux lèvres, elle s’installe dans un coin canapé, qui se prête parfaitement aux confidences. Vêtue d’un pull noir et d’un pantalon crème, chaussée de bottes noires, elle se dévoile peu à peu. Fille de l’écrivain et de l’académicien Maurice Rheims, et s£ur de la photographe Bettina, Nathalie a trouvé sa voie en littérature. Très intimistes, ses premiers livres révélaient des plaies, difficiles à cicatriser. Peut-être est-ce parce que la mort a souvent rôdé dans ses parages, qu’elle ajoute une touche de mysticisme à certaines de ses histoires. Dans son dernier roman (*), elle se glisse dans la peau d’une jeune archéologue, confrontée aux confins des croyances bibliques et kabbalistiques. Même si Nathalie ressemble plutôt à une fée celtique, la potion magique de cette douce nostalgique se compose d’un mélange de gravité et de gaieté.

Weekend Le Vif/L’Express : Cet hôtel est-il votre QG ?

Nathalie Rheims : Et oui, je suis une habituée. Situé en face de chez moi et des éditions Léo Scheer, il est géographiquement pratique. Etant une grande timide, je manque de goût pour l’aventure. Je suis très attachée aux mêmes lieux et gens. Ici, le personnel est gentil et les patrons sont des collectionneurs d’art.

Y venez-vous aussi au petit déjeuner ?

Je ne prends jamais de petit déjeuner. La seule chose que j’avale est un chocolat chaud ( rires). Comme je suis du matin, je me lève très tôt pour écrire. La clarté de mes idées et le calme ambiant contribuent à mon bien-être. Je prends un déjeuner léger, vers 13 heures, et savoure mon seul vrai repas de la journée le soir.

Pourquoi vous priver ?

Parce que je suis une  » gourmande contrariée « . J’ai chassé le sucre de ma vie car je l’aimais trop ! Même si je ne suis pas ascétique, je fais très attention à ne pas me laisser aller. J’ai tout éliminé, sauf le chocolat chaud et le thé.

Que feriez-vous si, comme Maya, l’héroïne de votre dernier roman, vous appreniez qu’il ne vous restait que douze jours à vivre ?

Je mangerais plein de gâteaux et plus précisément des monts-blancs. Cette madeleine de Proust de mon enfance est au sommet des calories : crème de marrons, meringue et crème fouettée ! Sinon, j’en profiterais pour faire l’amour toute la journée ( rires).

Que vous ont appris les hommes que vous avez aimés ?

Je tiens à préciser qu’il n’y en a que trois : l’auteur-compositeur Frédéric Botton ( il fait d’ailleurs son entrée pour saluer ces dames), l’omniprésent Léo Scheer et le réalisateur Claude Berry. Ils font réellement partie de ma vie. Telle une grande famille recomposée, nous partons tous ensemble en vacances. Quand on a aimé quelqu’un, on l’aime encore, même si ce n’est plus physique, mais amical. Chacun de ces hommes m’a donné confiance en moi. Tant qu’on donne le meilleur de soi, l’histoire peut continuer. Tout comme le travail, les rapports humains exigent une certaine rigueur. En prenant le temps de se voir, on évite de se disperser. De nature très fidèle, je n’ai pas tellement d’amis.

Etes-vous une séductrice ?

Absolument pas ( elle éclate de rire) ! Il est très difficile de me mettre la main dessus. Dans mes liens avec les hommes – même si je suis complètement femme – il ne s’agit pas d’un rapport de séduction.

Comment vous décririez-vous ?

C’est difficile… Pour être honnête, je vis bien avec moi-même, mais je ne me décrirais pas en termes de beauté. Ce qui compte, c’est que je plaise aux hommes que j’aime. Bien que n’ayant pas de problème d’image, j’avoue avoir fait un petit effort ce matin. Je n’allais quand même pas débarquer en chemise de nuit ( rires) !

Vos cheveux vous rendent si singulière…

Ils confèrent, en effet, une marque identitaire très forte. Dans cette société de l’image, on aime pointer ce genre de signe distinctif du doigt. Mais ça m’ennuie de devoir me justifier là-dessus, quand je n’ai que quatre minutes pour parler de mon livre. Je n’ai pas toujours eu autant de cheveux, alors aujourd’hui ils correspondent à quelque chose de profond, qui est accrochée à moi. C’est pourquoi j’y tiens beaucoup. Ce n’est pas pour rien qu’on cache les cheveux des femmes. Quel atout de séduction extraordinaire ! Pour moi, c’est comme une arme que je mets en avant. Bouclés à la racine, ils sont si indomptables que je dois les coiffer. C’est si intime de lâcher ses cheveux… c’est comme se lâcher.

Qui est chargé de ce trésor ?

Anne Petit, que j’ai rencontrée en 1986 à Deauville. Depuis, elle est l’une de mes meilleures amies. Confier ses cheveux à quelqu’un revient à lui abandonner sa tête. Pas étonnant que les coiffeurs soient les confidents des femmes.

Quel rapport entretenez-vous avec la mode ?

Je l’aime à la folie ! Outre les magazines, que je dévore, ça m’amuse d’observer les gens dans la rue. Au côté mondain, je préfère toutefois les collections. Mes favoris sont Isabel Marant et Marni. Comme toutes les filles, j’adore m’habiller, mais j’ai surtout un faible pour les chaussures et les sacs.

Vous semblez aussi friande de bijoux.

Je collectionne depuis tous temps les boucles d’oreille. A côté des perles, pour lesquelles j’éprouve une véritable passion, j’ai une boîte pleine de bijoux de fantaisie. Mon père m’a offert tant de bijoux, qu’on me surnommait  » sa poule « .

Votre s£ur – la talentueuse photographe Bettina Rheims – a-t-elle influencé votre vision de la mode ?

Bettina m’a littéralement montré le chemin. C’est elle qui m’a initiée aux créateurs et aux styles vestimentaires. Comme nous avons huit ans d’écart, nous n’étions pas vraiment complices. Pour elle, je n’étais qu’une enfant qui aimait la regarder s’habiller. Aujourd’hui, j’admire son courage et sa force. Contrairement à moi, qui suis très timide, Bettina peut demander à Madonna de se mettre à quatre pattes ! Face à ce côté masculin et autoritaire, ses modèles sont pétrifiés. Même si je respecte énormément son travail, son image des femmes, comme objet sexuel, est à l’opposée de la mienne.

Quel regard portez-vous sur les femmes contemporaines ?

Je les aime : elles sont fantastiques ! Bien que n’ayant jamais été proche des mouvements libérateurs féministes, je voue une admiration sans borne à Simone Veil, Marie Curie ou Marguerite Duras. La femme est arrivée à prendre sa place dans la société au prix de beaucoup d’efforts. Aucun métier ne lui résiste. Comme elle a dû se battre plus fort que les hommes, elle y met plus de ferveur. Si, demain, on élisait une présidente de la République, ça prouverait qu’on peut être à la fois femme, épouse et mère. C’est d’ailleurs ma mère, qui m’a appris à aimer les femmes et à les considérer comme des complices solidaires.

Quelle petite fille étiez-vous ?

J’étais une enfant si sage que ma mère s’en inquiétait. Cette attitude était liée à ma maladie ( NDLR : une maladie osseuse l’a immobilisée de 9 à 13 ans). Pour combler ma passivité, mon père m’a initiée à la lecture des grands auteurs. Quand on côtoie la douleur, on se construit forcément autrement. De par cette vie entre parenthèse, je me sentais différente. J’ai toujours eu l’impression d’être une vieille enfant. Je le suis restée, si ce n’est qu’à 46 ans, je rejoins enfin mon âge mental. Cela ne m’empêche pas de cultiver une part d’enfance et d’émerveillement. Petite, j’avais plus de plaisir à fréquenter les amis de mon père que mes copains de classe. J’aimais écouter leur sagesse et leur expérience de vie. Ma passion pour les personnes âgées vient du constat que ceux qui ont vécu sont plus intéressants que ceux qui ont toute l’existence devant eux. Leur regard sur les choses et leurs histoires nourrissent mon goût pour la nostalgie.

De quoi êtes-vous nostalgique ?

Malgré tous les souvenirs, je ne regarde jamais en arrière. Profondément rêveuse, je suis plutôt de nature rieuse, mais je garde néanmoins un fond de nostalgie. Je suis attachée aux lieux de mon enfance, parce qu’ils évoquent ceux qui ne sont plus là ( larmes aux yeux). Privée de sensation d’éternité, j’ai une conscience irrémédiable de ma disparition proche. Je n’ai pas peur de la mort car je me dis qu’elle me rapprochera de ceux que j’ai perdus. Seules la dégradation et la solitude m’effrayent dans la vieillesse. La vie est si courte, elle est entre nos mains. C’est à nous de faire ce à quoi on aimerait qu’elle ressemble.

Au départ, vous vous dirigiez plutôt vers l’art dramatique.

Entrer au Conservatoire national de Paris correspondait à mon envie de revivre les pièces de théâtre de mon enfance. Pendant ma maladie, mon père m’a initiée à Molière, Musset ou Racine. J’en ai conservé une extraordinaire passion pour la langue. Le théâtre sert de vecteur et d’instrument pour dire le texte. Alors que l’acteur est dépendant d’une troupe, l’écrivain s’exprime dans l’exercice de sa solitude. La lecture des classiques m’a beaucoup servie dans l’écriture. Elle m’aide à comprendre la musicalité et la sensation des phrases.

Sommes-nous les héritiers du passé ?

Nous sommes plutôt les héritiers d’une mémoire. Notre rôle consiste à porter celle des autres et à la faire exister de façon plus juste, afin de coller au plus près de ce qu’ils voulaient véhiculer. Ceux qui ont partagé la vie de gens célèbres ne cessent de déballer leurs quatre vérités. Les choses de l’intime doivent rester secrètes ! Bien que je mette des parts de moi dans mes livres, il ne s’agit pas d’autofiction. Je préfère le  » Nous  » au  » Moi, je « . Ainsi, l’introspection, le paranormal, la religion ou les rapports avec mon père sont dissimulés par la fiction.

Est-ce difficile pour un auteur d’être la fille de Maurice Rheims ?

Au contraire ! J’ai horreur des plaintes des  » enfants de « , qui envahissent la littérature de façon indécente. Une fois mis sur terre, c’est à nous de tracer notre chemin. Dans un métier aussi encombré que celui des lettres, je suis une privilégiée. Quand j’ai envoyé mon premier manuscrit, les portes se sont ouvertes bien plus facilement que si j’avais été une anonyme. Grâce à mon père, je possédais déjà les clés et les codes de cet univers particulier. C’est lui qui m’a donné le goût du travail, de l’effort et de la discipline. Il se levait tous les matins, à 6 heures, pour écrire et ne se laissait jamais aller. Fils de général, il était à la fois très dur et merveilleux.

Est-il vrai que peu après sa mort, vous avez rêvé qu’il venait vous demander d’être curieuse ?

Oui, c’est même ce rêve qui m’a inspiré  » Le Rêve de balthus « .

Alors, de quoi êtes-vous curieuse ?

De tout ( elle éclate de rire) ! C’est mon principal défaut. Je veux tout savoir des gens qui m’entourent, alors que je sais que c’est impossible. La capacité d’aimer et d’être aimé en retour m’intrigue beaucoup. Je suis aussi fascinée par la résilience ( NDLR : la théorie développée par le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik) ; cette capacité à se relever, se reconstruire et avancer. Comment est-ce possible ? Il y a un côté survivant en chacun de nous…

L’écriture vous a-t-elle aidé à survivre ?

Oui, elle a beaucoup contribué à ma résilience. Il faut faire des choses pour soi, mais si elles peuvent trouver un écho auprès des autres, c’est encore mieux. Le courrier de mes lecteurs porte souvent sur l’absence, la mort et la disparition d’un amour. Je conseille toujours aux gens de coucher leurs émotions sur papier. Quand on livre ses chagrins ou ses joies au papier, ils prennent corps différemment. C’est comme une expulsion, une soupape, qui fait du bien. L’écriture fait monter mes larmes et me procure une plus grande liberté que mon travail de productrice.

Pourquoi vous est-elle si vitale ?

Elle l’est devenue après la parution de mon premier livre,  » L’Un pour l’autre « , qui évoque la disparition de mon frère ( NDLR : décédé d’un cancer à 33 ans). Depuis lors, l’écriture est une arme contre la solitude. Grâce à cette compagne de route, les absents prennent des couleurs présentes. Même s’il existe des gens précoces en la matière, l’écriture nécessite une force extraordinaire. En cette époque de jeunisme, c’est l’un des seuls métiers où l’on peut être âgé. Moi, j’avais besoin de maturité, avant de prendre la plume, à 39 ans, dans des cahiers d’écoliers. Ça a donné un sens à ma vie. J’ai longtemps voyagé avec un sac très lourd. Depuis que je l’ai posé, je me sens plus légère, car je vis désormais en accord avec moi-même. Ce qui m’étonne, c’est d’arriver à aller jusqu’au bout. Quand je relis mes livres, je me dis que je dois être un peu cinglée.

Cinglée ?

J’aime bien l’idée que je suis une  » cinglée rigolote « . De par l’écriture, j’évolue dans un univers borderline, qui explore les excès chez l’être humain. Excepté la cigarette, je n’ai jamais touché à une drogue car j’ai un tempérament  » risqué « . Dans mes rapports amoureux, je tends rapidement à me  » défoncer « . En écrivant, je peux justement fouiller ce côté extrême. Si je devais me définir, je dirais que je suis une  » spéléologue de l’âme humaine « . Dans la peau de mes héros, je vis d’autres vies, qui me permettent d’explorer des paysages, des zones inconnues et des rapports humains. Quand je finis d’écrire un livre, j’éprouve toujours un coup de blues… Je préfère la brûlure à la tiédeur.

Vous semblez aussi privilégier l’irrationalité. Sommes-nous entourés de choses qui nous dépassent ?

J’adore cultiver une immense part d’irrationnel dans la littérature. Même les sentiments de mes personnages sont toujours extrêmes. Dans la vie, j’y crois un peu moins, car je suis très attachée au hasard. La magie de l’existence n’est-elle pas l’irrationalité même ? Je suis tellement fataliste… La meilleure façon de lutter contre les névroses et les n£uds cérébraux est d’accepter la fatalité. Ni victime ni passive, j’aime accompagner le mouvement des gens et des choses, parce que j’ai besoin de leur énergie pour exister.

Quel est le Graal de votre bonheur ?

L’écriture et la santé des gens qui m’entourent, car j’ai perdu ceux que j’aimais quand j’étais très jeune. Le monde et la société sont si durs, que j’essaie de donner un maximum de positivisme aux choses de la vie. J’appelle cela de la douceur : c’est mon mot préféré dans la langue française.

(*)  » Le Cercle de Megiddo « , par Nathalie Rheims, Léo Scheer, 308 pages.

Kerenn Elkaïm

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