Barbara Witkowska Journaliste

Envie de sortir des sentiers battus et d’essayer une fragrance élitiste et confidentielle ? Voici quelques  » bijoux  » olfactifs, récents ou réédités, et tous accompagnés d’une belle histoire.

Carnet d’adresses en page 97.

Commençons ce tour d’horizon par une création… historique. L’Eau de Parfum George Sand, composée pour célébrer le bicentenaire de la naissance de l’écrivain (1804), interprète les passions olfactives d’Aurore Dupin, dite George Sand. Elle écrit aussi le premier chapitre d’une série intitulée  » Les Parfums historiques « , dont l’initiative revient à Jean-Paul Millet Lage, le nouveau patron (et aussi créateur) de Maître Parfumeur et Gantier, parfumerie artisanale parisienne, conçue comme un salon à parfums du xviiie siècle. C’est Nicolas de Berry qui a imaginé le jus. Le parfumeur s’est d’abord plongé dans la correspondance de la romancière et a lu tous ses écrits. Elle y évoque, notamment, les plantes parfumées de son jardin, la rose, le jasmin et le tilleul,  » qui lui importent plus que la littérature « . Il y a aussi cette lettre adressée à Alfred de Musset, rentré à Paris en la laissant à Venise, où elle demande de lui envoyer, de toute urgence, de l’essence de patchouli. Elle en raffole. Le patchouli sera, tout au long de sa vie, son  » odeur  » fétiche. Sa sensualité évoque pour elle l’Orient, dont elle initie la mode, avec Gustave Flaubert et le peintre Eugène Delacroix. Armé de ces indications, Nicolas de Berry a imaginé une fragrance qui aurait sans doute beaucoup plu à George Sand : une composition orientale où les bouffées généreuses de patchouli sont attisées par quelques accents de citron et de bergamote et exaltées par l’opulence de la rose et de l’ambre. Pleine de caractère et un brin provocante, cette création reste néanmoins infiniment romantique.

En février 2005, un autre personnage historique, dont l’identité demeure encore top secret (on sait seulement qu’il s’agit d’un  » personnage français, royal et féminin « ) nous dévoilera sa fragrance préférée. La série des  » Parfums historiques  » est l’une des facettes de la nouvelle orientation de Maître Parfumeur et Gantier. L’autre, et non la moindre, est la remise au goût du jour des gants parfumés. Leur tradition remonte au xvie siècle. A l’époque, une femme élégante dans le vrai sens du terme, n’aurait pas osé sortir dans le monde, sans avoir parfumé ses accessoires et, notamment, ses gants. Les voici donc de retour. Ils sont déclinés en plusieurs coloris, beige, noir, rouge, ainsi qu’un modèle très original quadricolore (orange, vert, jaune et noir), et taillés dans des matières les plus nobles comme l’agneau, le pécari et le cerf. Le soir, on enfilera, plutôt, des gants en satin doublés de soie. Les hommes ne sont pas oubliés. Pour eux, les modèles en cerf ou en pécari conjuguent le noir, le marron et le kaki. Pour les accompagner, on reçoit un petit coussin parfumé à placer à l’intérieur. Pour les dames, il est parfumé à l’iris, très populaire au xviiie siècle. Pour les messieurs, il sent l’incontournable et élégant vétiver.

Jean-Paul Millet Lage est aussi un compositeur de parfums de talent. A la demande de la Fédération des maîtres tailleurs, il vient de créer L’Eau du Tailleur. La Fédération regroupe 75 artisans qui travaillent toujours dans les règles de l’art d’antan pour réaliser un vêtement sur mesure unique : plusieurs essayages, costume coupé et cousu à la main, adaptation aux  » mensurations évolutives « , suite aux quelques excès gastronomiques… La fragrance ? Elle est raffinée, cousue sur mesure et un brin classique. Les premières envolées d’agrumes sont relayées par la sensualité du cyprès et du cèdre. En c£ur, quelques pétales de jasmin apportent une subtile facette féminine. Le sillage, surprenant et inédit, associe le basilic, la figue et la rhubarbe. Le résultat, discret, masculin et séduisant, épouse parfaitement les laines les plus fines. Le flacon, très simple, ose pourtant des clins d’£il sympathiques. Le bouchon en bois fait figure d’une bobine de fil, tandis qu’une aiguille dorée se balade nonchalamment sur le flacon.

Les Cologne à l’européenne

C’est l’histoire d’un jeune homme qui se plonge, un soir d’hiver, dans les lettres de sa grand-mère. Un chapitre retient son attention, celui où la dame vante à une amie les mérites de l’Institut Très Bien, à Lyon, dans les années 1930. Les soins de beauté y sont excellents, mais, surtout, on y fait fabriquer la délicieuse Eau de Cologne dite  » à la Russe « , d’après une formule datant de 1906. Passionné de parfums, le jeune homme y flaire une idée intéressante. Il fait renaître la marque Institut Très Bien de ses cendres et réussit à retrouver la formule de Cologne à la Russe. Modernisée par Pierre Bourdon, cette Cologne  » mixte « , fine, élégante et affirmée, réunit douze essences naturelles comme le citron d’hiver, le cédrat, la bergamote, la fleur d’oranger, la verveine. Superbement équilibrées, elles cohabitent harmonieusement et démocratiquement sans qu’aucune d’entre elles domine. Son succès incite le jeune homme à poursuivre l’aventure. La deuxième création puise, elle, son inspiration dans les paysages transalpins, ensoleillés et lumineux. Dans Cologne à l’Italienne, les agrumes de Sicile et de Calabre jouent de véritables vedettes. Puis elles accueillent les vibrations d’orange bigarade, de petit grain et de maté. Dans le fond, très subtil, on décèle quelques notes ambrées et irisées. Le tout baigne dans un nuage d’eau de fleur d’oranger, incontournable dans une recette de Cologne d’autrefois. Et de trois… Après la Russie et l’Italie, voici la Cologne à la Française. Exquise et délicate, conçue à l’image de la grande parfumerie française, elle place au premier plan le magnolia de Chine. Cette fleur blanche et précieuse est amoureusement enlacée de notes pétillantes d’agrumes et d’accords aromatiques. Un voile de benjoin et d’iris enveloppe l’ensemble avec beaucoup de sensualité.

Le retour de Bandit

Ses parents souhaitaient qu’il embrasse une carrière dans la finance en Suisse, son pays natal. Or Robert Piguet ne s’intéressait qu’à la mode et voulait habiller les femmes les plus élégantes. Alors, il a pris le train et a débarqué à Paris. Au début, il a assisté Paul Poiret, l’un des grands couturiers du début du xxe siècle. Puis il a ouvert un salon très chic au Rond- Point des Champs-Elysées. Les femmes du monde y passaient toute une journée pour choisir des tailleurs stricts en flanelle grise ou des robes du soir aux couleurs flamboyantes. Tout en parlant littérature, théâtre et art avec des habitués du salon et amis de Piguet : Jean Marais, Jean Cocteau ou Colette. Elégant et plutôt classique dans la mode, Piguet montrait beaucoup plus d’audace dans ses parfums. Fracas, Futur et, surtout, Bandit, étaient conçus pour refléter  » l’horreur des lieux communs, le sens inné de la séduction et le luxe absolu « . Robert Piguet présente Bandit lors d’un défilé en 1944 où les mannequins masqués brandissent des jouets en forme de revolvers et couteaux pour évoquer le mauvais garçon, le bandit ! Créé par Germaine Cellier, Bandit fut le premier chypre pour femme. La fragrance, puissante et épicée, presque amère, est une confrontation du cuir et des bois avec le jasmin et l’£illet. Le final, plus paisible se joue sur un lit sensuel de vétiver, patchouli et musc. Après une longue éclipse, ce jus singulier et ambigu revient en France, plus triomphant que jamais.

Quelques légendes italiennes

Jadis, au sein de la chartreuse Saint-Jacques, à Capri, la vie était très créative. En 1380, les moines y composèrent, entre deux prières et avec les plus belles fleurs de l’île, une fragrance subtile qu’ils dédièrent à la souveraine Jeanne d’Anjou. En 1948, le prieur de la chartreuse a retrouvé la formule de l’antique parfum. Avec l’autorisation du pape, il a demandé à un chimiste piémontais de la reproduire. A cet effet, le scientifique a créé Carthusia, le plus petit laboratoire de parfums du monde ! Il existe toujours. La fragrance originelle, Fiori di Capri, s’est étoffée, au fil de l’histoire, de trois nouvelles senteurs. Dans Mediterraneo se déploient triomphalement les notes vives des feuilles de citronnier et les accords aromatiques du thé vert. Ligea est une composition intrigante où les effluves charnels et voluptueux d’opoponax contrastent avec la fraîcheur du fruit de grenadier. Io Capri réunit l’arôme gourmand de figues sauvages et l’odeur pétillante des feuilles de thé. Les quatre parfums sont peaufinés à l’ancienne : la production est entièrement artisanale, les matières premières sont d’une excellente qualité et chaque flacon est rempli, puis emballé, à la main. Lorenzo Villoresi est un personnage fascinant, on dirait un philosophe de la Renaissance florentine. Chercheur en religions antiques et voyageur infatigable, il se passionne, aussi, pour les parfums mythiques des civilisations d’autrefois. Séduits par ses compétences, Giorgio Armani, mais aussi les maisons Fendi et Trussardi, lui ont demandé de composer une ligne de parfums d’ambiance. Lorenzo Villoresi s’est pris au jeu. Dans son petit laboratoire, quelque part sous les toits de la vieille Florence, il a concocté des bougies parfumées, des encens et des pots-pourris à consonance mystique. Les parfums ont suivi. Il y a une sublime Acqua di Colonia, rafraîchissante et dynamique. Et puis, ces fragrances rarissimes et richissimes qui nous transportent dans les plis les plus profonds du mystérieux Orient. Dans Piper Negrum brûlent des poivres corsés et des épices africaines envoûtantes. Sandalo puise son charme dans la tradition indienne : une composition précieuse autour de santal de Mysore, d’opoponax et de mousse de chêne. Avec Yerbamate, on a l’impression de se rouler sur le tapis moelleux de la steppe asiatique, en humant le parfum de l’herbe, du foin odorant et de fleurs champêtres. Le tout nappé de quelques épices douces. Toutes ses merveilles olfactives ont pour écrin de lourds flacons hexagonaux en verre dépoli. Les éditions de luxe s’habillent de cristal bleu nuit, au bouchon et à l’étiquette en argent. A Naples, Maurizio Marinella continue avec succès l’affaire de son grand-père Eugenio, connu comme  » le roi de la cravate napolitaine « . Aristocrates, hommes politiques et hommes d’affaires (on cite, notamment, les noms de Bill Clinton, Albert de Monaco, Helmut Kohl et Jacques Chirac, notamment) poussent régulièrement la porte de la minuscule boutique de 20 m2 pour choisir les plus belles cravates, réalisés à la main et sur mesure. Le célèbre cravatier s’est taillé aussi une belle réputation avec ses trois fragrances. L’Eau de Toilette masculine a une architecture chic et sobre avec des notes de noix de muscade, de vétiver, de santal, de cèdre et de basilic. Plus viril, le  » 287  » surprend par un cocktail incisif de cuir, de bois et de tabac. Le parfum féminin Seta est intime et caressant comme l’ambiance d’un boudoir. Les envolées poudrées et capiteuses du départ cèdent la place, petit à petit, à des accords frais et floraux de muguet et de violette. Quand, enfin, le bois de cèdre et le musc blond entrent en scène, le sillage se développe tout en suavité et en douceur.

Des promenades vertes

De l’art du jardin à l’art du parfum il n’y a qu’un pas… Poète, jardinier, amoureux de la nature et de son potager, Louis Albert de Broglie crée, en 1995, Le Prince Jardinier. Cet univers élégant et haut de gamme propose toute une panoplie d’outils de jardin façonnés à la main, ainsi qu’une collection de vêtements en fibres naturelles, aussi pratiques que chics. Puis s’y est ajoutée une ligne de senteurs inspirées par la nature et ses souvenirs d’enfance. De l’Eau du Prince Jardinier à Ciel Mon Jardin !, en passant par Labyrinthe Libertin, Bouton de Rose, Citrus Allegro ou Arboretum, les six fragrances racontent une foule d’émotions parfumées, ressenties au fil des balades dans des paysages différents. Empreintes de poésie et de saveurs rares, elles ont été composées avec délicatesse et raffinement et suivent en tout point l’esprit de la maison. En Grande-Bretagne, la noble maison Penhaligon’s est riche d’une collection de vingt et un parfums. Chacun raconte une histoire, liée à l’Angleterre, à ses superbes jardins, à la famille royale… Racquets Formula est né en 1989. C’est l’ambiance Wimbledon avec des tenues blanches impeccables sur gazon fraîchement coupé, côté court, et des chapeaux altiers et costumes trois-pièces, côté tribune. Energique et tonique au départ grâce à son cocktail d’agrumes, la fragrance évolue petit à petit vers une ambiance plus  » cosy  » et intime avec un fond de cèdre, de mousse de chêne, d’encens et d’ambre gris. Le flacon, minimaliste, n’a pas changé depuis la reine Victoria. So chic, so british !

Barbara Witkowska

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