Méconnu du grand public, Neil Barrett est non seulement le directeur artistique de la marque Puma, mais aussi le créateur subtil de sa griffe éponyme. Portrait d’un Britannique comblé au talent prolifique.

Carnet d’adresses page 130.

Comment s’habille une personnalité sportive lorsqu’elle part quatre jours en voyage ? A-t-elle des envies d’élégance sophistiquée ou reste-t-elle, au contraire, murée dans son univers musclé ? A moins qu’elle n’hésite entre ces deux options vestimentaires et ne choisisse finalement un audacieux compromis tissé de décontraction chic et de silhouettes choc… A priori anecdotique, cette question textilo-existentielle est pourtant au c£ur du concept  » 96 Hours  » imaginé par la marque Puma et développé par son directeur artistique Neil Barrett. L’idée est séduisante puisqu’elle consiste à décliner une collection de vêtements autour d’un sport différent chaque saison dans le but d’habiller son plus noble représentant l’espace de 96 heures top chrono. Pour l’été 2005, les sports mécaniques ont été élus avec, à la clé, tout un vestiaire pour hommes et femmes conçu autour des courses automobiles. Blousons de pilote en cuir, pantalons garnis de fausses taches d’huile, chaussures d’inspiration formule 1… La gamme est cohérente et, aussi, moderne et pratique. Objectif avoué : séduire une clientèle non seulement urbaine mais surtout sensible aux clins d’£il sportifs.

Tapi dans l’ombre de cette bonne idée, Neil Barrett se défend d’avoir succombé, comme d’autres, à la tentation  » facile  » du sport.  » J’ai toujours aimé mixer le sport et le tailoring, confie ce Britannique de 40 ans à peine. Dès le début, j’ai senti qu’il était possible d’arriver à des choses très intéressantes en mélangeant ces deux univers a priori opposés.  »

Flash-back : Neil Barrett a déjà la mode dans le sang lorsqu’il voit le jour dans le Devon (Angleterre), en 1965. Son grand-père est tailleur spécialisé dans les costumes militaires et le jeune garçon grandit tout naturellement au milieu des bouts de tissus et des patrons. Gagné par le virus de la création textile, il entre à la célèbre Central Sint Martins School of Design de Londres au début des années 1980 pour étudier consciencieusement le stylisme.

Diplômé en 1986, il poursuit sur sa lancée et rejoint l’autre école de mode réputée de la capitale britannique, à savoir le Royal College of Art, où il se spécialise dans la création de mode masculine. C’est dans cet univers exclusivement dédié à l’homme qu’il fera d’ailleurs ses premiers pas professionnels avec panache.

Fort de ses deux diplômes prestigieux, Neil Barrett débute en effet sa carrière sur les chapeaux de roue en entrant directement chez Gucci où il signe, de 1989 à 1994, toute la ligne masculine de la griffe (juste avant l’ère Tom Ford). Son nom circule de plus en plus dans

les milieux branchés et son style particulier lui vaut d’être embauché par Prada en 1995 pour lancer le prêt-à-porter Homme. Mission réussie : en l’espace de trois ans seulement, le créateur gagne le c£ur des aficionados de la mode et installe surtout, et avec succès, la marque italienne parmi les labels les plus courus des podiums masculins. La voie royale semble toute tracée au sein de Prada, mais en bon créateur qui se respecte, Neil Barrett rêve de créer sa propre marque de vêtements, histoire d’exprimer, sans contrainte aucune, ce qu’il a au plus profond de lui. En 1999, le Britannique passe donc à l’attaque en lançant une griffe masculine à son nom et réédite l’exploit, un an plus tard, en complétant l’enseigne Neil Barrett d’une ligne Femme. Les réactions sont tellement favorables que la marque est invitée à rejoindre, dès 2002, le calendrier officiel des défilés de prêt-à-porter de Milan.

Déjà approché par Puma pour signer, cette année-là, une première collection de baskets baptisée  » Puma by Neil Barrett « , le créateur britannique passe à la vitesse supérieure en 2003 puisqu’il accepte la proposition de devenir le directeur artistique de la marque allemande, tout en poursuivant en parallèle le développement de sa propre griffe. Il mène alors une double carrière de front, sans en être perturbé pour autant.  » Que ce soit pour Puma ou pour ma propre ligne, il s’agit toujours de la même personne, constate Neil Barrett. En fait, j’ai toujours aimé insuffler du sport dans mes créations, mais je le fais de manière plus ou moins prononcée selon que je prenne tel ou tel angle d’attaque. C’est le dosage qui varie tout simplement.

Pour ma marque de vêtements, je vais mettre peut-être 70 % de tailoring et 30 % de sport, alors que pour Puma, le pourcentage sera inversé. Mais en définitive, cela reste toujours le même Neil Barrett. Je ne fais qu’interpréter les choses différemment.  »

Mais pourquoi diable cet apôtre du luxe et du raffinement s’est-il compromis un jour dans l’univers du sport grand public version Puma ?  » Je n’ai pas du tout le sentiment de m’être compromis de quelque façon que ce soit, enchaîne Neil Barrett. Encore une fois, le sport a toujours été présent dans mes créations, même lorsque j’étais étudiant à la Sint Martins. Le fait est que j’ai eu moins l’occasion de l’exploiter au cours de mes premières années passées chez Gucci et Prada, et que j’ai plutôt navigué à cette époque dans l’univers du luxe où je n’avais aucune limite de prix. L’opportunité de pouvoir travailler pour une marque de sport qui a un public beaucoup plus large et qui a, quant à elle, de réelles limites de prix est un vrai défi pour moi que je prends véritablement à c£ur. Et puis, j’estime qu’il est beaucoup plus intéressant d’apprendre quelque chose de nouveau, plutôt que de tourner constamment en rond dans le même univers.  »

Excepté cette contrainte logique du prix du vêtement, Neil Barrett avoue être totalement libre sur le plan créatif chez Puma. La marque allemande lui fait visiblement confiance et le mariage consommé en l’an 2003 semble être aujourd’hui idyllique. D’ailleurs, le créateur britannique est d’autant plus heureux qu’il s’exprime désormais de deux manières différentes sur le plan textile. Ainsi, si la collection de Puma évoque les sports automobiles pour l’été 2005, la même saison est abordée d’une tout autre façon dans la ligne étiquetée Neil Barrett.  » Ma propre collection reflète une espèce de croissance organique, explique le jeune quadragénaire. Pour l’été prochain, j’ai essayé d’imaginer les vêtements que j’aimerais porter à différents âges de la vie et il en résulte donc une garde-robe évolutive qui passe en revue les silhouettes portées à 20 ans, 40 ans, 60 ans ou encore 80 ans.  »

Une garde-robe résolument élégante et qui explique entre autres le fait que Neil Barrett dispose aujourd’hui de près 300 points de vente pour sa marque éponyme à travers le monde. Un succès qui n’est pas non plus étranger au soutien que lui ont donné, malgré eux, quelques stars du show-biz comme, par exemple, Brad Pitt qui a souvent porté cette marque raffinée lors d’événements mondains.  » C’est l’une de mes plus grandes satisfactions, enchaîne Neil Barrett : voir que mes vêtements sont portés par des gens que je respecte.  » Serait-ce donc là son seul moteur créatif ?  » Bien sûr que non, rétorque le designer. C’est d’abord la passion du vêtement qui me fait avancer. Pour moi, la mode est une façon incroyable et jouissive de vivre ma vie. C’est beaucoup plus qu’un simple travail : c’est une manière de m’exprimer mais qui aide aussi les gens à s’exprimer à leur tour. Car je reste persuadé que les vêtements peuvent aider les gens à se sentir mieux. Quand on porte ce qu’on aime, on se sent bien, on apprécie davantage la vie et on finit par faire rejaillir cela sur son entourage. Le travail du créateur de mode est donc beaucoup moins futile que ce qu’on ne laisse transparaître habituellement. La mode peut véritablement aider à donner de la confiance aux gens et, à terme, à améliorer leur vie. C’est une chose fabuleuse.  »

Alors, Neil Barrett, heureux ?  » Absolument, conclut le Britannique flegmatique. Je vis déjà mes rêves et je n’espère qu’une seule chose : consolider tout ce que je fais aujourd’hui pour que cela dure le plus longtemps possible.  » C’est tout le bien qu’on lui souhaite. Pour la beauté du sport. Et l’élégance féline.

Frédéric Brébant

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