Les homos et la mode : c’est une histoire d’amour rarement explorée et longtemps taboue. Elle est enfin dévoilée dans une passionnante rétrospective.

Un pantalon-jupe Homme de Jean Paul Gaultier, le célèbre smoking d’Yves Saint Laurent, un total look cuir des années 90… Ce sont quelques-unes des pièces – une centaine au total – qui rythment A Queer History of Fashion : From the Closet to the Catwalk, la dernière expo du Fashion Institute of Technology de New York. L’ambition de cette rétrospective ? Mesurer, à travers l’Histoire, combien les gays ont été influencés par la mode. Et réciproquement.  » Les homos se sont toujours singularisés par leur style vestimentaire, affirme Fred Dennis, commissaire de l’expo. L’excentricité et la flamboyance ont été à l’ordre du jour bien avant la première Gay Pride.  » Déjà, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, des tavernes accueillent illégalement les mollies, précurseurs des drag-queens. C’est à la même période qu’apparaissent des modistes mâles, vite traités de  » sodomites efféminés « . Les moeurs corsetées de l’époque interdisent aux hommes de vivre leur orientation sexuelle ? Peu importe, ils la sublimeront. Les couturiers sont nombreux à camoufler leur homosexualité et ne la révéleront qu’à la naissance du mouvement militant, en 1969. C’est le début d’un âge d’or de la créativité – avec Halston, Yves Saint Laurent ou Gianni Versace -, trop vite interrompu par le sida, qui touche le monde de la mode et impose un style austère. Jusqu’à ce que l’arrivée des trithérapies, en 1998, donne aux gays l’envie d’oser. Ce n’est pas un hasard si la métrosexualité devient alors à la mode : la population hétérosexuelle a enfin accepté le style de vie et l’esthétique queer…

 » Regardez-les. Des imbéciles habillées par des folles vivant leurs fantaisies !  » Ainsi s’exprimait Coco Chanel, dans les années 50, en parlant des Parisiennes vêtues de robes Balenciaga et Christian Dior. Les femmes seraient-elles victimes des couturiers homosexuels cherchant à les caricaturer par le vêtement ?  » Il n’y a pas plus grand cliché sur les créateurs gays que celui qui affirme qu’ils sont profondément misogynes, dit Fred Dennis. Au contraire, ils sont enclins à l’idéalisation et à l’hypersexualisation de la femme, ce qui explique les soutiens-gorge en forme de cônes de Jean Paul Gaultier ou les robes gainées d’Azzedine Alaïa présentés dans l’expo.  » Pour Jean-Jacques Picart, consultant mode et luxe :  » C’est parce que les couturiers gays habillent leur femme idéale, faite de toutes celles qu’ils ont aimées, qu’ils possèdent cette créativité exacerbée.  »

Cette inventivité est aussi à chercher du côté de la culture queer, qui, depuis les années 70, s’est infiltrée dans la mode grand public. Corsets, cuir façon bondage, kitsch et paillettes… ces termes du vocabulaire fashion trouvent leurs origines dans les communautés homos de Greenwich Village, à New York, et de Soho, à Londres.

ESTHÉTIQUE ET POLITIQUE

Les hipsters arborant une barbe de trois jours et les hétéros qui s’arrachent les tee-shirts Dolce & Gabbana ignorent souvent que le modèle d’hypermasculinité prôné par ces créateurs naît dans les salles de gym gays des années 80. Il s’agit d’une réponse aux ravages du sida et aux attaques contre les homosexuels. A l’opposé, l’androgynie séduit, déjà à la fin des sixties, les musiciens Jim Morrison, David Bowie… Trois décennies plus tard, un Hedi Slimane âgé de 32 ans, captivé par le rock, présente sa première collection pour Dior Homme avec succès. L’androgynie devient une façon d’affirmer la masculinité. Simultanément, l’ambigu Andrej Pejic et le mannequin transgenre Lea T deviennent des stars des podiums. Choix esthétique ou politique ? Dans le débat français sur le mariage pour tous, certains créateurs prennent position. Comme l’Américain Thom Browne, qui a clos en juin dernier son show en célébrant une fausse union entre mannequins habillés en soldats. Tandis que manifestait à l’extérieur un groupe  » anti-mariage pour tous « . En vain : leurs cris furent étouffés par All You Need Is Love des Beatles.

A Queer History of Fashion : From the Closet to the Catwalk, au Fashion Institute of Technology, à New York. www.fitnyc.edu Jusqu’au 4 janvier prochain.

PAR MARTA REPRESA

 » L’androgynie devient une façon d’affirmer la masculinité.  »

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