Elle a su préserver avec talent les joyaux de son patrimoine, ses quartiers historiques et ses écrins verts… Pour le premier Samedi Vif de l’été 2004, cap sur Nivelles. Au programme, ce 3 juillet, une belle balade à travers une cité accueillante et pleine de charme, douée pour tous les plaisirs de la vie.

Le chef-d’£uvre de Nivelles n’est pas long à chercher. Il se découvre sans détours, en arrivant à la Grand-Place. Cernée par un chapelet de façades uniformes en briques, la collégiale Sainte-Gertrude tend son imposante et majestueuse silhouette vers le ciel et nous transporte immédiatement dans l’histoire… Pépin de Landen, ancêtre de Charlemagne, s’installe ici en famille, vers 650. Son épouse fonde une abbaye et sa fille Gertrude en devient la première abbesse. Le charisme de la religieuse attire rapidement de nombreuses femmes issues de la noblesse. Les chanoinesses ne prononcent pas de v£ux et peuvent se marier. Elles prient et elles travaillent, tout en conciliant le renoncement avec un certain bien-être et le confort. L’abbaye, nichée à côté d’une petite église en bois, se développe rapidement. Les chanoinesses vont vers le monde, le monde vient à elles. La population se rapproche pour emménager dans des maisons accolées à l’église. Dans cette période de famines et de maladies, on trouve au c£ur de cette cité prospère nourriture en abondance, sécurité et protection.

Les Carolingiens (751-987) rendent hommage à Gertrude, arrière-grand-tante de Charlemagne : l’abbaye devient impériale. Les chanoinesses dirigent la ville avec tant de brio qu’elles peuvent se parer du titre de princesses du Saint Empire romain. Nivelles rayonne comme  » la cité de femmes « . Vers l’an 1000, l’église en bois est ravagée par un incendie. On en érige une nouvelle, en pierre cette fois-ci, car la ville est riche et souhaite montrer son aisance. Construite dans le style roman-rhénan, elle est l’une des plus belles églises de la région. L’évêque de Liège Wazon la consacre en 1046 en présence d’Henri III, empereur d’Occident. Dirigée par un collège de chanoinesses, elle prend le titre de collégiale. La Révolution française sonne le glas de  » la cité de femmes « . Et la Seconde Guerre mondiale, elle, achève l’£uvre de la destruction…

Guerre et paix

Le 14 mai 1940, l’histoire de Nivelles bascule. Les bombes lâchées par l’aviation allemande pulvérisent entièrement le centre-ville. Environ 350 maisons particulières et 8 bâtiments publics sont en ruine. Miraculeusement, les murs de la collégiale sont restés debout, mais le toit et la tour se sont effondrés, provoquant un gigantesque incendie. Les habitants s’attendaient à ce bombardement et en prévision du désastre, les trésors de l’art sacré avaient été mis à l’abri dans des cachettes à l’intérieur de l’église. Las ! Les flammes ont provoqué une telle chaleur que tous les reliquaires ont fondu. De la somptueuse châsse de sainte Gertrude ne reste qu’un magma informe. Ce chef-d’£uvre d’orfèvrerie gothique avait été conçu à la fin du xiiie siècle par Colars de Douai et Jacquemon de Nivelles. Les orfèvres avaient sculpté, en argent et en émail, une cathédrale gothique en miniature. Tout y était : les portails, les tours, les pignons, les statues et les bas-reliefs. Il faudra attendre quarante ans, pour que la collégiale recouvre son trésor. Le sculpteur Félix Roulin a réalisé une nouvelle châsse en acier inoxydable soudé et poli. Les décorations, en argent massif et en bronze, représentent des motifs floraux, des éléments d’architecture, des fragments de personnages, la vierge Marie, sainte Gertrude et Jésus. Sur les panneaux, l’artiste a intégré tous les émaux, très abîmés, provenant de l’ancienne châsse ainsi que des reproductions d’objets quotidiens et d’outils : une clé anglaise, un robinet, un cadenas, une cisaille, etc. Un choix qui peut paraître a priori incongru, mais qui symbolise bien la fonction de la châsse. Sainte Gertrude est ainsi notre contemporaine, et l’on peut communiquer avec elle à travers les objets de notre temps.

La collégiale a bel et bien retrouvé son faste d’antan. Les travaux de reconstruction ont démarré dans les années 1940 et ont été achevés en 1984. La tour domine à nouveau. Suite à un référendum, organisé en 1972, la majorité des habitants se sont prononcés en faveur d’une tour romane, la préférant à une tour gothique avec flèche. Le jacquemart Jean de Nivelles, miraculeusement épargné par l’incendie, se dresse, comme par le passé, à son sommet. A l’intérieur de la collégiale, l’authenticité romane a été respectée. Le dépouillement y règne. Les dimensions exceptionnelles de l’église (102 mètres de longueur, 44 mètres de largeur et une hauteur sous plafond de 20 mètres) soulignent cette rigueur et cette sobriété, mais de grandes fenêtres percées dans le haut des murs font entrer la clarté à flots. L’ambiance est ainsi chaleureuse et lumineuse. On y admire deux chaires de vérité, miraculeusement préservées de l’incendie. Elles sont l’£uvre de Laurent Delvaux, célébrité locale et… internationale. Le sculpteur a participé, notamment, à l’érection des tombeaux dans la cathédrale de Westminster. Dans la chaire en chêne et marbre blanc, Delvaux a illustré la rencontre de la Samaritaine avec le Christ autour du puits de Jacob. Selon la légende, la fille de l’artiste a servi de modèle pour le visage de la Samaritaine. La chaire en chêne, elle, figure Elie dans le désert. On n’oublie pas de faire un tour au sous-sol, situé sous la nef de la collégiale. Les fouilles effectuées lors de la reconstruction ont permis de mettre au jour, puis de mettre en scène, les vestiges des cinq églises qui ont précédé la collégiale actuelle.

Sur les traces du passé

En quittant la collégiale, on se dirige vers le quartier Saint-Jacques, bordé par de ravissantes façades en briques patinées. Par chance, les maisons ont échappé aux appétits des promoteurs immobiliers. Soigneusement liftées et rafraîchies, elles exhibent avec fierté leurs charmes du passé. Le nom du quartier remonte à la grande époque des pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle. Nivelles est une étape importante de deux chemins de Compostelle. Des milliers de pèlerins y font halte. Ils ont à leur disposition auberges, brasseries et même un hôpital. Un peu comme les touristes d’aujourd’hui, ils sont la source de grandes richesses pour la ville. L’âge d’or des pèlerinages s’achève à la fin du xvie siècle. Les maisons anciennes ne résistent pas non plus à l’épreuve du temps et seront remplacées par des constructions neuves aux xviiie et xixe siècles, celles que l’on voit encore aujourd’hui. Au n° 4 de la rue des Juifs, l’élégante maison, protégée par des volets en bois, est attribuée à la famille Plon, célèbres éditeurs parisiens, originaires de Nivelles. Certains historiens supputent, en revanche, que la maison des Plon se trouverait exactement en face.

Au terme d’une agréable promenade à travers la vieille ville, on arrive devant le Musée d’archéologie, d’art et d’histoire. L’imposante demeure, recouverte d’un manteau de vigne vierge, ne manque pas d’allure. Elle a été construite au xviiie siècle, à l’emplacement de l’église paroissiale Saint-André, par les Trinitaires du Prieuré d’Orival, ordre dont la mission consistait à racheter les prisonniers chrétiens aux Infidèles. En 1763, les Trinitaires s’y sont installés, avec l’autorisation de l’impératrice Marie-Thérèse, pour se protéger de pillards. Vingt ans plus tard, Joseph II a supprimé l’ordre, et les Trinitaires furent chassés. Pour la jolie demeure a commencé une histoire bien mouvementée. Revendue à un particulier, puis devenue domaine public, elle a abrité, successivement, les bureaux des chemins de fer, le mont-de-piété, la caisse d’épargne, trois auberges et, enfin, deux orphelinats. Elle a fermé définitivement ses portes en 1953. A l’initiative de René Lesuisse, professeur de l’histoire de l’art et président de la Société d’Archéologie de Nivelles, le bâtiment est transformé en musée et abrite tous les trésors de la ville, rassemblés, achetés ou trouvés par la Société d’Archéologie ou encore provenant de la collégiale. Les richesses sont telles que le musée commence à se sentir à l’étroit. En attendant des extensions, les responsables se sont arrêtés au xviiie siècle. Au rez-de-chaussée, on remarque de grandes toiles de Frédéric Dumesnil, offertes par les chanoinesses à la collégiale qui, dans le passé, décoraient les nefs latérales, ainsi que des armoiries des familles donatrices. Ce fut, en effet, un grand honneur pour les chanoinesses d’offrir des £uvres d’art et de souligner, ainsi, la richesse et le prestige du Chapitre de Nivelles. D’autres chefs-d’£uvre ? Une magnifique statue de saint Jacques de Compostelle le Majeur en chêne et des statues en calcaire de style gothique de quatre apôtres, saint Paul, saint Jean, saint André et saint Pierre. A l’étage est présentée une belle collection d’instruments de musique, des armes anciennes et une foule d’objets provenant des fouilles.

Pour se détendre…

On poursuit la balade dans les rues pittoresques, on s’arrête devant des façades coquettes, on admire l’église des Récollets et sa silhouette gothique sobre et élancée, on jette un coup d’£il sur son voisin, le couvent des franciscains, accueillant aujourd’hui l’Office de tourisme. Le parc de la Dodaine est tout proche. A l’heure des loisirs, tous les Nivellois se donnent ici rendez-vous. Il y a une salle omnisports, une piscine presque olympique (il lui manque 2 mètres), un mini-golf, un terrain de tennis et, surtout, ce magnifique parc, havre de paix et de sérénité. Il a été créé vers 1830. A la fin d’une grande famine, le bourgmestre de l’époque a mobilisé tous les chômeurs. Ils ont aménagé ainsi deux espaces verts magnifiques, l’un de style anglais, l’autre de style français. Admirablement entretenu, ouvert au public sans interruption, le parc attire foule. Les jeunes font du jogging, les amoureux recherchent des coins paisibles, les solitaires bouquinent, les amis des animaux nourrissent des oies et les retraités s’adonnent à la pêche.

On termine notre visite dans cette cité accueillante et attachante par une note gourmande : la fameuse tarte al d’jote. Cette spécialité a même sa confrérie, créée en 1980 par Pierre Vanderborght. Les origines de la recette remontent au xiiie siècle. On a retrouvé les écrits d’une chanoinesse, datant de 1218, où elle détermine avec précision le volume, le poids et la contenance de la tarte. Dans la composition ancestrale, on trouvait du fromage de petit lait de Nivelles, graissé et fermenté. Progressivement, on y a incorporé des légumes : de l’oignon, du persil et des bettes (ou d’jotes, en patois nivellois). On y a ajouté aussi des £ufs et du beurre. La tarte tient donc bien au corps. La confrérie a remis aussi à l’ordre du jour la Katamaï. Cette grande fête se déroule le 4 mai, en souvenir de la date anniversaire de la consécration de l’abbaye où les chanoinesses distribuaient des friandises aux nécessiteux. Enfin, la confrérie attribue aussi, chaque année, des labels de qualité. Pour apprécier amplement cette fameuse spécialité locale, il est conseillé de consulter la liste, disponible à l’Office de tourisme.

Barbara Witkowska

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