Elles ont fêté leur noces d’argent, sont passées à l’or, y ont ajouté des diamants et aiment toujours autant la poésie. Wouters & Hendrix ou Karen & Katrin, à la vie, à la mort.

Elles prêtent à confusion et ça les amuse follement. Wouters & Hendrix, et vice versa, Karen & Katrin, et inversement. Vingt-sept ans que ça dure. Car depuis 1985, elles parlent la même langue et créent à quatre mains des bijoux tout à la fois poétiques, surréalistes et romantiques. Dans leur atelier anversois, autour d’une théière rouge à pois blanc, elles se souviennent qu’elles ont aimé les gros bijoux, le cuivre, l’étain, l’infiniment grand et puis elles ont découvert l’argent, l’or, les diamants et l’infiniment petit. Au cou de Karen, la blonde, une fine chaîne avec un minuscule diamant, au doigt, une bague de mariage façonnée par son mari sculpteur, l’exact contraire de Katrin, la brune, qui ne s’interdit rien, des bagues XXL en  » cotte de mailles  » et les pattes d’une corneille pendant à ses lobes. Ce n’est pas un hasard si elles se sont choisi en guise de logo deux Vénus hottentote miniatures et magnifiques. Bienvenue dans leur intimité.

HEILIG GRAF

Fin des années 60, mais à quelques années d’intervalle, dans la même école à Turnhout baptisée Heilig Graf, le Saint-Sépulcre, on a connu moins mortifère. Katrin, 6 ans. Karen, 10 ans, en uniforme – jupe plissée grise, pull bleu marine avec écusson, faux col Claudine blanc. Une enfance  » douce et protégée « , elles se croisent sans se (re)connaître, pas encore, il faudra attendre l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, section bijouterie. Même longueur d’onde, même envie de créer des bijoux qui auraient quelque chose à voir avec la mode, à l’époque, l’idée est plutôt révolutionnaire. C’est Katrin qui propose à Karen de travailler en tandem, pourquoi, quelle question, elles se regardent, ça fuse,  » parce que notre travail ne se ressemblait pas du tout « . Et Katrin cisèle,  » J’aimais son style qui était déjà très conceptuel. Et sa philosophie, son regard sur les bijoux.  » Karen ajoute :  » Je trouvais son travail très expressif, très personnel. J’aimais son lien avec la mode.  » Puis Katrin, à moins que ce ne soit Karen :  » C’est toujours plus chouette de créer ensemble… « 

GRANDE COMMUNION

Il y a vingt-sept ans donc, elles lancent Wouters & Hendrix. Elles en aiment l’esperluette, l’idée très british d’une marque de fabrique à double nom. Pour savoir qui aurait les honneurs de siéger devant, elles jouent à pile ou face. Ça les amuse que l’on ne sache pas très bien qui est qui –  » nous sommes connues comme les Dupond et Dupont de la bijouterie « , pour la version française, pour la flamande, Jansen en Janssen et pour l’anglaise, Thomson and Thompson. Alors, pour leur 20 ans et pour rire, elles s’offriront un carton d’invitation avec perruque rousse flamboyante et tee-shirt sur lequel on peut deviner leur prénom, un  » ..ren  » et un  » .at…  » caché par la masse des cheveux. Brouiller les pistes, quelle joie. Comme dans leurs bijoux : finalement, qui fait quoi ? Elles-mêmes seraient bien incapables de le dire, peu importe, seule compte leur belle et grande communion.

BOUTIQUE-SOUVENIRS

Une armoire trône dans le coin droit de leur grand atelier- grenier. Ici, l’on brassait l’Elixir d’Anvers. Elles ont flashé sur le bâtiment, l’ont acheté parce qu’elles en aimaient les fenêtres, ont fait de grands travaux, béton au sol, pierres nues et charpente en bois puis ont laissé leur univers prendre possession des lieux. Là donc, dans cette armoire à souvenirs, on trouve pêle-mêle des vieux brols ramenés de leur descente aux puces, du kitsch, adoré, une collection d’oiseaux en bois qu’elles trouvent  » différents  » et qu’elles utiliseront bien un jour, mais sans savoir déjà ni pourquoi ni comment, une boîte avec des fleurs, une assiette en porcelaine – l’inspiration de cet été 2012 -, un chapeau de mamy, un vase rouge, une tête de poisson-scie séchée, une vierge avec manteau bleu  » Onze-Lieve-Vrouw « , une photo de bunker, le dôme de la cathédrale de Cologne, une bondieuserie de Lourdes, pas mal de poussière. Autant d’idées pour un monde imaginaire qui se transformera en vitrines et en petit théâtre pour leurs boutiques d’Anvers et de Bruxelles.

MARIE D’ANNIELL

Elles aiment les histoires. Au début, elles s’en racontent pour débuter une collection. Telle celle de cette femme qui les suit comme leur ombre et hante encore leur univers, Marie d’Anniell, inventée de toutes pièces, pas si sûr. Il était une fois une jeune femme qui vivait à New York au siècle dernier, dans son sac, les choses de la vie, la sienne, un bouton de sa robe de mariée, une petite croix en or, un coquillage blanc… Elles avaient rassemblé ses souvenirs, les avaient même collectionnés, avaient cheminé avec elle, lui avaient imaginé un monde et s’en étaient inspirées pour créer des bijoux qui porteraient son nom, c’était en 1994, c’était extrême, elles le reconnaissent, peut-être avaient-elles besoin de cette Marie-là pour mieux incarner leurs désirs, affiner leurs envies, passer à l’argent. Elles assument leur romantisme, oui, elles sont sentimentales. Elles savent mieux que personne qu’un bijou n’est jamais anodin. Ni pour celle qui le porte. Ni pour elles. Depuis, même si elles n’ont plus besoin de se raconter des histoires pour débuter une collection, le fantôme de Marie flotte toujours quelque part dans leur atelier. Est-ce Karen ou Katrin qui a soufflé  » J’aime Marie d’Anniell ? « 

PHOTO DE FAMILLE

Karen et Katrin ont trois enfants chacune, aiment cuisiner, la vie à la mode méditerranéenne, parlent de concert – parfois même elles n’ont plus besoin de se parler – et forment une équipe de femmes surtout, ce n’est pas un accident, photographiées chaque année, façon photo de famille, n’ayons pas peur des mots, avec les mouflets qui montent en graine à chaque version et qui sert de carte de v£ux à Noël et Nouvel-An. Elles ont fêté les 25 ans de Wouters & Hendrix en 2009, sont passées à l’or en 2007 sans abandonner l’argent pour autant, se sont installées dans leur quartier général en 1992, ont collaboré avec Delvaux, Cachemire Coton Soie, Les Petits Riens, Paul Smith, tout comme elles l’avaient fait dans le passé pour les Six d’Anvers qui étaient leurs aînés à l’Académie, Ann Demeulemeester, Walter Van Beirendonck, Dirk Van Saene et Dries Van Noten.

L’ÂGE D’OR

De la poésie, de l’humour, du surréalisme, jusque dans leurs boutiques, visez cette table de Meret Oppenheim (1939) et ses élégantes pattes d’autruche. De la tendresse aussi, beaucoup, qu’il ne faut jamais garder par-devers soi. Et tout cela qui se concentre dans leurs bijoux raffinés. Depuis qu’elles ont osé travailler l’or, parce qu’elles avaient envie de très belles pierres et qu’il leur fallait un matériau à la hauteur, Karen Wouters et Katrin Hendrix peuvent prétendre à l’intemporel. Ajoutez-y des diamants, et la boucle est bouclée. Pourtant, elles n’y avaient guère songé,  » ce n’était pas vraiment notre penchant « , mais elles ont retourné leur veste, question d’âge, de métier et d’ancrage à Anvers. N’allez surtout pas imaginer qu’elles sont devenues graves. Avec elles, Marcel Broodthaers n’est jamais loin.

Carnet d’adresses en page 92.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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