Crise oblige, la générosité est plus que jamais tendance. Prenant exemple sur les people, les marques se mouillent pour la bonne cause. Et le font savoir. Un discours responsable à destination des nantis qui se veulent solidaires.

Il n’y avait que Karl Lagerfeld pour oser balancer un solide pavé consumériste dans la mare tristounette de la récession mondiale. L’homme au catogan n’a jamais caché son aversion pour  » les riches qui vivent en dessous de leurs moyens « . Son remède face à la crise qui plombe la croissance ? Forcer les pingres, par le biais d’une taxe shopping, à cesser de thésauriser pour acheter des produits de luxe et créer du même coup des emplois à la pelle. Un passage à la caisse qui titillera d’autant moins la (mauvaise) conscience du client potentiel s’il a la conviction que les produits qu’il s’apprête à acquérir portent le logo d’une marque  » socialement responsable « .

Depuis 2007, le groupe Edelman, leader mondial de la communication d’entreprise, étudie de près ce qui nous incite ou non à dépenser de l’argent. Si l’on en croit les derniers résultats de l’enquête Good Purpose (*), réalisée dans 13 pays – y compris émergents, comme l’Inde, le Brésil ou la Chine -, le nombre de consommateurs se disant prêts à promouvoir des marques notoirement engagées pour une bonne cause – l’environnement arrivant, sans surprise, en tête des préoccupations des interrogés -, serait en croissance constante pour atteindre 62 % en 2010. Plus de 65 % des sondés assurent avoir davantage confiance dans un label se présentant comme socialement et éthiquement responsable. À choisir entre deux produits de prix et de qualité similaires, l’engagement de la marque (42 %) passerait même avant le design et l’innovation (31 %). Près de deux tiers des répondants (64 %) affirment aussi que les entreprises ne devraient pas se contenter de donner de l’argent de temps à autre mais doivent intégrer une vraie dimension caritative à leur business plan. Si ces intentions généreuses sont parfois mises à mal par la crise qui force les moins nantis à opter pour le produit le moins cher, elles restent un moteur d’achat à ne pas négliger pour les grands noms du luxe à la clientèle foncièrement  » recession-proof « .

 » Le luxe est l’un des rares secteurs aujourd’hui à pouvoir se prévaloir d’une croissance à deux chiffres en 2011, rappelle Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCL. Comme ces entreprises génèrent des profits importants, on s’attend plus naturellement à ce qu’elles partagent. Elles sont aussi très visibles et ont tout intérêt à se montrer sous leur meilleur jour.  » La période des fêtes nous poussant encore davantage à tester l’élasticité de notre  » portefeuille humanitaire « , les bonnes actions commerciales ne cessent de se multiplier. Alors que Missoni lance une collection capsule de 12 vêtements et accessoires dans un imprimé rose et blanc vendus au profit de Orphan Aid Africa qui soutient avec ce projet des enfants sans famille au Ghana, Marni, en reproduisant sur des cabas et des tee-shirts des dessins d’enfants, entend venir en aide à des hôpitaux et des écoles dans le besoin.

UNE TRANSPARENCE DE RIGUEUR

Chez Roger Vivier, le sac Miss Viv’ est devenu le symbole du partage de bénéfices consenti par la maison au profit de la Fondation Carla Bruni-Sarkozy. En Belgique aussi, des acteurs locaux se font remarquer sur le terrain du charity business. Marc Filipson, le patron de Filigranes, à Bruxelles, organise depuis sept ans ses désormais célèbres soirées caritatives : 25 % des recettes de vente de livres et 100 % de celles du bar se retrouvent dans la caisse de l’une des sept associations locales soutenues par la plus grande librairie du pays. À Bruxelles, toujours, les champagnes Moët & Chandon ont installé jusqu’au 10 décembre un bar éphémère, à l’angle de la place Stéphanie et de l’avenue Louise. Pour chaque coupette savourée, c’est deux euros qui seront reversés à l’association Make-a-Wish qui se charge d’exaucer les v£ux des enfants malades.

Si le modèle classique de générosité conjointe –  » vous achetez, nous rétrocédons une partie de nos bénéfices  » – popularisé par les produits (RED)TM fait toujours recette, il inspire davantage confiance lorsque la marque vendeuse fait v£u de partage avec une fondation ou une ONG sur le long terme.  » Plus c’est transparent, plus c’est efficace d’un point de vue marketing « , poursuit Isabelle Schuiling. En s’engageant d’emblée sur un montant minimum, les griffes promettent d’y aller de leur poche, que le consommateur les suive ou non, prenant même le risque d’avoir à faire face à un flop commercial si ce qu’elles lancent pour l’occasion ne rencontre pas le succès escompté. Ainsi, Spa qui vient de démarrer une campagne de télévision sur son action en faveur de l’Unicef  » donnera « , comme les deux dernières années, l’équivalent de 20 millions de litres d’eau potable à l’organisation internationale, peu importe si ses packs solidaires se vendent bien. Si 15 cents seront reversés sur chaque vente d’une boîte bleue collector estampillée  » We care & connect « , Nivea prévoit quoi qu’il advienne d’offrir un demi-million d’euros à Plan International pour des écoles guatémaltèques. Même ligne de conduite chez Lancôme qui versera au minimum 150 000 euros à l’association fondée par Kate Winslet ( lire notre interview exclusive en pages 24 à 28) en faveur des enfants autistes, que les rouges à lèvres, poudre et vernis de la collection Golden Hat Foundation s’arrachent ou non comme des petits pains.  » Kate Winslet, notre ambassadrice depuis quatre ans déjà, représente de la façon la plus généreuse et la plus responsable qu’il soit la féminité Lancôme, commente Youcef Nabi, président de la marque à la rose. C’était donc évident pour notre maison, dont les valeurs d’altruisme sont essentielles, d’accompagner et de soutenir Kate et la Golden Hat Foundation.  »

LA GÉNÉROSITÉ, UN MÉTIER

Le bon vouloir – ou l’arbitraire – du grand patron a cédé la place à des fondations d’entreprise qui favorisent les collaborations à long terme. Le don s’institutionnalise, justifiant presque l’activité économique du groupe. Ainsi, le lancement d’une ligne de vêtements de luxe pour enfants signée Gucci s’accompagne d’un versement d’un million d’euros sur le compte de l’Unicef.  » Tout d’un coup, on n’est plus seulement dans l’échange commercial, mais dans le partage de valeurs, analyse Philippe Massart, professeur de communication à l’ULB. Le client donne du sens à ses achats, l’entreprise soigne son image. Mais cela n’empêche pas la sincérité. En bout de course, il y a bel et bien de l’argent donné. Ce que l’on appelait autrefois la charité s’est professionnalisé. Gérer la générosité de son entreprise est devenu un vrai métier. « 

Désormais, loin d’ignorer ce que donne la main droite, la gauche recompte les deniers. Et rédige le communiqué de presse qui accompagnera le chèque. Depuis que le défunt Steve Jobs plus discret que Bill Gates ou Mark Zuckerberg sur ses libéralités s’est vu taxer de pingrerie par la presse américaine, la discrétion n’a plus bonne presse.  » Pour les gens très riches ou les entreprises qui font de gros profits, il est devenu inévitable de communiquer sur ses largesses « , souligne Philippe Massart.

Chez les people aussi – qui de plus en plus souvent possèdent des lignes de vêtements ou des parfums à leur nom, des hôtels et des restaurants -, il ne suffit plus de mettre un sac aux enchères ou de prêter sa voix à un documentaire écolo. Comme Isabelle Marant, Gaspard Yurkievich, Manish Arora ou Maxime Simoens, le couturier bruxellois Edouard Vermeulen et une vingtaine de créateurs ont sorti leur boule à épingles et leurs plus beaux patrons pour tailler un costard à l’ours Duffy, nouvelle vedette des studios Disney. Ces peluches relookées que l’on pourra voir jusqu’au 8 janvier prochain dans le Disney Village de Marne-la-Vallée seront ensuite offertes aux petits patients de l’Hôpital des Enfants Reine Fabiola, à Bruxelles. Loin de se contenter d’un aller-retour médiatisé à Haïti pour réveiller les consciences, Sean Penn décide ni plus ni moins de s’y installer. Pas de gala bling-bling non plus pour Natalia Vodianova qui préfère mouiller son tee-shirt en courant un demi-marathon – avec dans sa foulée les employés les plus sportifs de la maison Guerlain – afin de récolter des fonds pour l’association Naked Heart qui construit des plaines de jeux en Russie. Plus près de chez nous, à Bande, l’artiste et designer Arne Quinze ( lire notre reportage en pages 37 à 40), marteau et scie à la main, s’est investi pour construire avec les gamins de l’antenne locale de SOS Villages d’Enfants une cabane en bois à faire des jaloux. Un projet de proximité qui bénéficie du soutien financier de Louis Vuitton.

 » Notre but avec ces actions, ce n’est pas de réaliser un coup de pub, mais de faire quelque chose pour la société, se défend Nicolas Barré, directeur Benelux du malletier français. Si des maisons comme la nôtre ne sont pas capables d’agir de manière désintéressée, qui peut le faire, alors ? Par ailleurs, ce type d’opération est très motivant pour nos équipes en interne, car cela nous sort de notre quotidien luxueux pour nous permettre de nous impliquer dans la vie des gens.  » Un discours altruiste qui séduit tout particulièrement la  » génération G  » -avec un G comme Générosité -, non pas caractérisée par une année de naissance mais abreuvée par une certaine idée de l’échange et du partage valorisée par le Web où l’on semble donner – des biens, du temps, des infos, du savoir – sans compter.

DONNER UN SENS À SES DÉPENSES

 » Pour ces individus, il est particulièrement important de contribuer du mieux que l’on peut au bien commun, admet Isabelle Schuiling. Au sein de la société pour laquelle on travaille mais aussi en faisant ses achats. On cherche à partager dès que c’est possible.  » Parce qu’ils ne croient plus vraiment que seul l’argent les aidera à trouver le bonheur, ils ont besoin aussi de donner du sens à la manière dont ils vont le dépenser.  » Qu’il s’agisse pour les uns de se donner bonne conscience et les autres de faire de l’image, au final, des montants souvent importants sont récoltés, conclut Isabelle Schuiling. Et vont servir à aider des gens dans le besoin.  » En attendant l’éventuel avènement d’un impôt shopping sur la fortune, difficile de ne pas souhaiter que cela dure.

(*) Citizens Engage ! Edelman Good Purpose® Study 2010.

PAR ISABELLE WILLOT

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