Quel est le sens profond de Noël ? Privilégiant les retrouvailles familiales, que symbolise vraiment cette fête ? Donner, recevoir, partager… Autant de rituels qui ont une fonction bien particulière. Les explications du psy.

La magie de Noël rime avec ribambelles d’enfants, regards pétillants et cadeaux surprenants. Elle est aussi l’occasion de se retrouver en famille. Transmis de génération en génération, les mythes et les rituels familiaux nous structurent parce qu’ils sont une façon de célébrer une appartenance et des valeurs communes. Psychiatre, psychanalyste, thérapeute de couple et de famille, Robert Neuburger nous éclaire sur l’un de ces moments clés, qui fonde le  » nous  » (*).

Weekend Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui définit la famille ?

Robert Neuburger : La famille va bien au-delà du biologique, car elle s’inscrit dans un système culturel et personnel. Avant, elle était liée au  » foyer « , un fragment indétachable de la  » famille d’origine  » au sens large. Dans la formule actuelle, elle constitue plutôt un mini-groupe. Composée des parents et des enfants, la  » famille nucléaire  » répartit les rôles entre un petit nombre de personnes.

Sur quoi est-elle fondée ?

La famille se fonde sur ce qui crée du  » nous  » : le mythe familial, les valeurs, les croyances et les pratiques. Elle se distingue ainsi du monde extérieur. Cela lui permet de vivre une identité, qui donne une sécurité de base. Les membres s’y sentent reconnus et acceptés. Ce sentiment d’appartenance leur procure une protection, leur permettant de partager confiance et solidarité.

Que se donnent-ils mutuellement ?

Dans une famille, on devrait idéalement se donner du respect, de la considération et de la loyauté. Pour y rester intégré, on offre quelque chose de nous-mêmes. On est aussi censé adhérer aux responsabilités, aux croyances et aux rituels de ce groupe particulier. Etant donné que ces valeurs ont été héritées des générations précédentes, nous nous inscrivons ainsi dans une lignée.

Ce don de nous-mêmes est-il gratuit ?

Il s’agit plutôt d’un don d’ordre relationnel. En offrant un signe de solidarité, on espère recevoir un soutien et une réciprocité. Si ce don se transforme en dette, c’est plus problématique… La responsabilité peut alors avoisiner la culpabilité.

Face à l’instabilité familiale actuelle, comment les liens évoluent-ils ?

De par l’émiettement des membres, on se soucie moins de transmettre la culture familiale. Face à la recrudescence des divorces, les enfants sont conscients que le couple parental est fragile. Comme la famille dispose de plusieurs modèles de référence, elle doit se réinventer. Il appartient à chacune d’entre elles d’imaginer ses normes.

L’une des nouvelles normes est la famille de c£ur, celle formée par les amis.

Il n’y a rien de neuf là-dedans. La famille choisie (les amis) peut remplacer le groupe familial ample et composite d’autrefois. L’idée du choix était courante dans l’antiquité romaine. Le pater familias décidait qui faisait partie ou non de la famille. Libre à lui de rejeter un enfant ou d’intégrer un esclave. L’évolution familiale est due aux modifications, comme le divorce ou les recompositions, qui aboutissent à des liens différents. Toute appartenance est support d’identité. La famille d’origine étant flottante, on a encore plus besoin de former un noyau stable. On attend d’autant plus de solidarité de la famille choisie.

Pourquoi les rituels contribuent-ils au sentiment d’appartenance ?

Dans les années 1960, la famille avait mauvaise presse et les rituels étaient vécus comme des contraintes. Ironiquement, c’est pourtant cette époque qui a généré ces grands rituels de rassemblement comme Woodstock. Le retour de la ritualisation festive a pour fonction de consolider les liens d’appartenance. Ces actes partagés nous donnent l’impression de faire quelque chose ensemble. Ils renforcent l’image du  » nous  » (famille, amis, voisins…).

Ces rituels sont-ils une contrainte ou un plaisir ?

Soit ils renforcent les liens et le plaisir d’être ensemble, soit ils s’installent dans une habitude contraignante. Ces sentiments opposés peuvent aussi se superposer. Il s’agit d’une certaine façon de payer son dû à la famille. Cela entretient le sens du devoir et de l’appartenance. Si la famille se réunit autour de rituels de passage, comme les grandes phases de la vie (naissance, mariage, décès), elle apprécie aussi les rituels inscrits dans le quotidien. La mienne aime se retrouver, tous les dimanches, autour d’un spaghetti (rires).

Comment expliquer la perpétuation du rite de Noël ?

Cette fête a pris une fonction importante au sein de la famille, car elle s’est construite autour du mythe d’une naissance et d’une renaissance. La célébrer chaque année est très symbolique. L’aspect religieux s’est atténué. La tradition du sapin ou de la bûche est maintenue. Contribuant à la magie collective, les décorations offrent du rêve. On en a tant besoin pour échapper à la rudesse de la réalité actuelle. Noël est par définition la fête des enfants. Ceux qu’on a et celui qu’on a été… Ce rituel peut se constituer soit en continuité, dans une idée de transmission, soit par réaction parce qu’on ne l’a pas connu.

Très festif, véritable festin souvent, que célèbre le repas de Noël ?

Il fait intégralement partie du rituel. Pour exister, un rituel doit se distinguer de la vie banale. Le menu de fête s’attache à une certaine symbolique. L’art de recevoir ne consiste pas seulement à dresser une belle table, mais aussi à faire en sorte que ses hôtes se sentent bien. Inviter quelqu’un le soir de Noël a un sens fort : c’est lui dire qu’il fait partie de la famille.

De quoi les cadeaux sont-ils révélateurs ?

La tradition d’échange de présents se retrouve tout au long de l’histoire de la civilisation. A travers ce geste, on donne quelque chose de soi à l’autre. Etre attentif à ses goûts et vouloir lui faire plaisir prouvent qu’il compte pour vous. Quand on reçoit cette part de l’autre, on est soit touché s’il a deviné ce qui nous comble, soit déçu en cas de malentendu. En cette fête des enfants, on a envie que Noël fasse partie de leurs plus beaux souvenirs d’enfance. Fidèles au passé, nombreux sont ceux qui renouvellent les traditions familiales. Ces processus de transmission structurent. Offrir de nombreux cadeaux peut aussi être perçu comme le souhait de réparer notre enfance ou d’enjoliver le quotidien.

Le bénévolat, lors des fêtes, est-il un don de soi ?

Le bénévolat fait partie du rituel de certaines familles, qui témoignent ainsi d’altruisme. De fait, pour les gens solitaires ou nécessiteux, Noël peut être douloureux, car cette fête de famille leur rappelle à quel point ils sont démunis. Leur venir en aide permet de les associer au rituel. Vis-à-vis de l’extérieur, la famille bénévole est dans l’action de partage. Par rapport à l’intérieur, ce geste inscrit le  » nous  » dans la générosité.

(*) Rituels familiaux, par Robert Neuburger, Petite Bibliothèque Payot, 220 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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