Cap sur la Côte d’Opale et la Baie de Somme. Biotopes étonnants, cuisines environnementales et hébergements décalés invitent à renouer avec la nature le temps d’un week-end en proximité. Nos coups de cour.

LA GRENOUILLÈRE, À LA MADELAINE-SOUS-MONTREUIL

À 2 h 30 de Bruxelles, en bordure de Manche, quatre têtes chercheuses ont décidé de transformer en une expérience unique ce qui pour beaucoup s’apparente à… un no man’s land gastronomique. Leurs noms ? Alexandre Gauthier, Sébastien de la Borde, Tibo Dhermy et Pascal Grimberg. S’il fallait désigner un fer de lance à ces pionniers, ce serait sans hésiter Alexandre Gauthier qui s’imposerait. Ce surdoué de 32 ans, habité par la cuisine, a réussi l’improbable pari d’attirer l’attention sur Montreuil-sur-Mer et ses environs. Il a su exprimer toutes les nuances de  » l’humble campagne marquée par la proximité avec la mer  » au sein de laquelle il £uvre. Son histoire est celle d’un fils prodigue revenu en 2003 pour reprendre le restaurant de son père. Réputé pour ses cuisses de grenouilles, le lieu sommeillait au milieu de nulle part – La Madelaine-sous-Montreuil, un bled avec les pieds dans La Canche – jusqu’à ce que le jeune chef y sème les graines d’une cuisine d’auteur radicale et impertinente.

Aujourd’hui, il récolte les fruits d’un projet qu’il porte en lui depuis cinq ans : métamorphoser cette auberge traditionnelle en une scène à la hauteur de la gastronomie avant-gardiste qu’il pratique.  » Depuis que je suis ici, on me demande ce qui me pousse à m’enterrer dans ce coin perdu. On m’a même prévenu qu’au nord de Paris, ce n’était plus la France mais un désert où personne ne vient, ni les touristes ni les critiques. Je ne vois pas les choses comme cela, je me sens non pas au nord de Paris mais bien au sud de Bruxelles et de Londres, quelque part au centre de l’Europe. La Grenouillère n’est pas le Petit Nice de Gérald Passédat : il n’y aura jamais la vue sur le large et le clapotis des vagues, mais j’ai grandi dans cette campagne modeste… Je ne renierai ni ses pommiers, ni ses brumes. « 

Pour opérer cette profonde révolution formelle, Alexandre Gauthier a fait appel à un architecte discret mais brillant, connu pour ses réalisations dans le monde de la culture. Le Parisien Patrick Bouchain a signé des lieux prestigieux comme le théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers, La Condition publique à Roubaix, Le Lieu unique à Nantes ou encore Le Channel à Calais. Il avait donc le profil parfait pour imaginer un décor en phase avec la méthode de ce chef qui cite  » 12 années de scoutisme  » parmi les influences majeures de son travail. Ensemble, ils ont détruit la moitié de La Grenouillère pour reconstruire deux salles aux allures de chapiteau. La première, dans laquelle les convives prennent place, déploie des tables en cuir Hermès, sans nappe, ainsi qu’une antique table à feu servant de rôtissoire grâce à un ingénieux système de contrepoids. Le second espace, en Inox, là où officie la brigade, prend tout son sens le soir. On y observe à la lueur d’un clair-obscur religieux le chef et son équipe ciseler une cuisine brute aux intitulés laconiques –  » coussins de chanvre, persil plat, persil frisé, eau de mer, avocat…  » – inspirée par la nature contiguë.  » Bien sûr, les fournisseurs sont locaux mais l’idée est d’aller bien plus loin que ce qui sonne désormais comme un poncif… À travers le menu 11 services, je veux que les gens puissent communier avec la région de façon unique et intense.  » Une création comme  » langues de canard, moutarde et moutarde verte « , par exemple, en témoigne en explorant une facette inédite d’un produit de terroir – des langues de canard servies ici en brochette. Carrément iconoclaste dans un restaurant gastronomique.

Dans l’esprit de cette harmonie quasi mystique avec l’environnement, le tandem Gauthier-Bouchain réserve une autre surprise de taille au visiteur d’un soir. La Grenouillère propose un hébergement atypique : 8 chambres conçues comme des huttes de chasseurs à moitié enfouies dans le sol. Recouvertes de végétation et identifiées non pas par les habituels numéros mais par des indications d’orientation de type 83,9° ou 74,2° Est, ces cabanes en bois s’ouvrent au loin sur les remparts de Montreuil.  » Comme pour le restaurant, l’idée qui domine est de se défaire de tout le superflu. À l’inverse d’un Relais & Château. On vient dans ces huttes pour se sentir exister, on s’y enfouit à deux pour vivre autre chose. En hiver, j’aime l’idée que les gens se fassent rincer par la pluie pour aller ensuite s’y sécher à la chaleur du poêle à bois. Et l’allusion à la chasse est là pour se rappeler du prédateur qui sommeille en nous. « 

LA COUR DE RÉMI, À BERMICOURT

Non loin de Montreuil, entre Hesdin et Saint-Pol-sur-Ternoise, une autre adresse épouse, elle aussi, la nature au plus juste. On doit cette  » table et maison de campagne  » à Sébastien et Balthazar de la Borde, deux frères ayant redonné vie à une vieille ferme jouxtant une imposante demeure héritée de famille. À travers son nom, La Cour de Rémi rend hommage au dernier métayer du lieu, Rémi, paysan réputé pour son talent à exprimer la richesse du terroir à travers un potager unique et des plantations de tabac – une culture autrefois populaire dans le Ternois. Le coup de chapeau n’est pas innocent, c’est bien dans cette optique de symbiose avec un terroir que s’inscrit le projet des deux frères.

L’établissement, qui a ouvert ses portes en 2005, n’a jamais cessé de se développer même si aujourd’hui seul Sébastien de la Borde en tient les rênes. Écuries aménagées d’abord, cabane perchée partie à l’assaut d’un vieux sycomore ensuite et, désormais, longère en torchis, La Cour de Rémi grignote chaque jour davantage un peu de cette cambrousse sans prétention. Pour lui donner du relief, les bonnes idées ne manquent pas, ainsi de cette longère dont l’intérieur a été habillé avec le cèdre de vieilles granges canadiennes démontées et acheminées via les eaux froides de l’Atlantique.

Très éloignée de celle d’Alexandre Gauthier, la cuisine de Sébastien de la Borde n’en est pas moins créative. En harmonie avec un terroir giboyeux, le chef travaille les saisons avec beaucoup de talent. Formé par Stéphane Jego (L’Ami Jean, à Paris), de la Borde perpétue un esprit de bistronomie tel qu’on peut le trouver chez les plus fameux représentants de ce courant gastronomique, d’Yves Camdeborde (Comptoir du Relais, à Paris) à Thierry Breton (Chez Michel, à Paris). Les signes particuliers ? Un goût prononcé pour les préparations de viande – notamment le porc basque et le gibier en saison -, les légumes locaux de Mickabio, à Ambricourt, le pain fait maison – sous la houlette d’Alex Croquet, boulanger-star du nord de la France -, les vins nature – une sélection signée par Jean-Christophe Piquet, pointure en la matière -, ainsi que de petites touches gustatives – ciboulette, lardons, piment d’Espelette… – ponctuant de nombreux plats.

LE BRUIT DE L’EAU, À SAINT-QUENTIN-EN-TOURMONT

Radicalement différente est la démarche de Nathalie et Tibo Dhermy au Bruit de l’eau. Cette maison d’hôtes exclusive – elle accueille un maximum de 6 à 8 visiteurs – a été tracée sur la page blanche d’une simple parcelle de terre de 4 hectares adossée au parc ornithologique du Marquenterre. Difficile aujourd’hui de croire en la banalité première du lieu quand on voit ce qu’il est devenu. Conçu comme un espace d’inspiration et de fusion avec la nature, le Bruit de l’eau se découvre comme un labyrinthe aquatique et végétal parsemé de lieux à vivre bio- climatiques. Impossible de ne pas y déceler l’ombre du concept de jardins en mouvement initié par le paysagiste Gilles Clément.

Le point fort ? Un dojo, sorte de pavillon d’été asiatique venu tout droit du XIXe siècle. On y dort sur des tatamis, entouré par l’eau et le coassement des grenouilles. Plus loin, un spa offre la détente d’un bain dans l’esprit des onsen – les sources chaudes japonaises – et le confort humide d’un sauna au feu de bois inspiré des bania russes. Clou du spectacle, l’endroit possède un micro-restaurant aux allures d’izakaya tokyoïte (un type de bar nippon) au centre duquel Tibo Dhermy distille son amour du Japon à travers des menus uniques où il mêle production propre issue du potager (gingembre, daikon, shiso…), produits du cru (poissons pêchés la veille, huîtres…) et denrées d’exception importées (nouilles de soba, yuzus, matcha…).

AU VÉLOCIPÈDE ET LA FEMME D’À CÔTÉ, À SAINT-VALÉRY-SUR-SOMME

Du côté de Saint-Valéry-sur-Somme, dans un même esprit de reconnexion avec l’ADN d’une région, une chambre d’hôtes permet de s’imprégner de la large palette de gris de l’estuaire de la Somme. Au Vélocipède porte la signature de Pascal Grimberg, chef auto-didacte débarqué de Paris. Deux principes distincts sont à l’origine de son projet. Le premier, anglo-saxon, lui a soufflé l’idée d’un bed & breakfast à la française dans lequel l’hôte aurait davantage d’indépendance. Le second, plus nordique, a généré une décoration d’une grande pureté de tons – beige, spéculoos, lichen… – rehaussée de touches design – chaises Tolix en tôle galvanisée, luminaires Artemide et éléments de mobilier Kartell.

Grâce au succès qui ne se dément pas depuis son ouverture, l’adresse vient d’ouvrir juste en face un deuxième espace qui porte le nom de La Femme d’à côté. Imaginée par Nathalie Bourdin, la compagne de Grimberg, cette maison d’habitation reconvertie décline d’autres tonalités, du gris plomb à un bleu qui évoque celui de la Baie de Somme. Les deux espaces convergent en un même endroit, le restaurant où le chef signe une ardoise déclinant des recettes régionales revisitées façon ficelle picarde (une sorte de crêpe locale), bisteux (une tourte de pomme de terre), salicornes et oreilles de cochon glanées fraîches en saison. L’endroit fait également place à un alléchant comptoir de pâtisseries maison à déguster avec une infusion qui fait elle aussi corps avec la région, entre roses de Picardie et balade en baie de Somme.

Carnet d’adresses en page 64.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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