Ses paysages chatoyants et sa douceur de vivre inspirent les artistes d’ici et d’ailleurs. Rencontres avec des amoureux de Bali… dont Zohra Boukhari, une jeune belgo-marocaine qui a quitté Bruxelles pour y ouvrir un hôtel de charme et s’adonner à sa passion des belles étoffes.

Bali, qu’on dit bénie des dieux, l’est aussi des créateurs û très humains, eux. Avec ses plages ondoyantes comme dessinées d’une main d’artiste, ses rizières en terrasses qui déclinent toute la palette des verts et ses cérémonies religieuses où les paniers d’offrandes célèbrent avant tout les couleurs, l’île du Sud-Est asiatique a fasciné les plus grands : les peintres Walter Spies, Hans Snel, Miguel Covarrubias et Rudolf Bonnet, ou le photographe Henri Cartier-Bresson.

Célèbre pour ses plages sublimes et ses hôtels de luxe au service exceptionnel, Bali est aussi devenue un repaire de créateurs venus du monde entier : décorateurs, chefs et designers se laissent séduire par ce confetti de l’archipel indonésien qui, bien que plus petit que la Corse, mérite tout autant qu’elle le titre d’île de beauté.

A l’ombre des frangipaniers, des mains huileuses massent les corps voluptueusement allongés sur des transats. Sur le rivage, dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, des pêcheurs jettent leurs filets. Sable blanc, vent qui paresse dans les cocotiers, barges traditionnelles immobiles au large… Dans le sud de Bali, la plage de Jimbaran, la plus belle de l’île, offre un panorama de carte postale. C’est près de ce coin de paradis que Zohra Boukhari a choisi d’ouvrir un hôtel de charme, la villa Balquisse, il y a neuf ans. Quand cette brune volontaire a quitté Bruxelles pour s’installer à Bali, elle a entrepris de décorer sa villa elle-même.  » Tout, ici, incite à la création « , explique-t-elle. Pour trouver son style, Zohra s’est inspirée de Bali, mais aussi de la Belgique et du Maroc, son pays d’origine.  » Dès mon enfance, à Bruxelles et à Casablanca, ma mère me traînait dans les boutiques de tissus. Elle a commencé à confectionner mon trousseau de mariage quand j’avais 5 ans, dit-elle en riant. C’est elle qui m’a donné le goût des matières chatoyantes.  » A Bali, elle sillonne les villages pour trouver des  » kafirs « , étoffes traditionnelles tissées à la main, qu’elle utilise pour les nappes. D’Inde, elle a ramené de précieux saris, qu’elle a cousus en housses de couette. En trois ans, elle a lancé sa propre collection, Shahinaz, et ouvert trois boutiques de linge de maison baptisées Haveli, dans le sud de l’île. Pourquoi Bali ?  » Parce que les Balinais ont le sens de la création au quotidien, explique Dominique Verdellet, son associée. En témoignent la beauté des sarongs, la grâce des cérémonies et les compositions harmonieuses des offrandes.  »

C’est aussi dans la vie de tous les jours qu’Agung Rai puise son inspiration. Chaque matin, ce peintre quinquagénaire qui vit dans la ville d’Ubud, la capitale culturelle, au centre de l’île, se lève à l’aurore pour admirer la campagne balinaise qui s’éveille.  » Pour moi, c’est le plus beau tableau « , dit-il en écartant les bras dans l’aube brumeuse. Alentour, les rizières offrent au ciel et aux lève-tôt leur face miroitante, ornée de bouts de plastique multicolores en guise d’épouvantails. Les pieds dans l’eau, des paysans qui repiquent le riz se redressent pour saluer les visiteurs d’un sourire. Sur le bord de la route, des enfants s’éclaboussent à une fontaine et des femmes déposent des paniers fleuris au pied d’un autel en bois. Et, dans les villages, des oriflammes de bambous donnent un air de fête aux plus modestes ruelles. Cette atmosphère harmonieuse et apaisante, Agung Rai la fixe sur la toile depuis l’âge de 6 ans.  » C’est un de mes voisins qui m’a appris à peindre, raconte-t-il. En échange, je travaillais dans ses rizières et je nettoyais sa maison.  » Vendeur des rues à 17 ans, il marchande ses tableaux aux portes des hôtels. Influencé par Walter Spies et par les peintres flamands û Bali est une ancienne colonie hollandaise û Agung Rai rêve, à l’âge de 19 ans, d’un grand musée. Vingt ans plus tard, en 1996, il crée à Ubud l’Agung Rai Museum of Art (Arma), sur 10 hectares, où il expose des toiles traditionnelles du début du siècle et des £uvres contemporaines. Mécène dans l’âme, il accueille dans son école d’art près de 300 enfants chaque week-end, qui apprennent à jouer du gong ou s’initient au legong, une danse traditionnelle. Accolé au musée, au milieu des flamboyants, des tulipiers et des kapokiers, l’Arma Resort, un hôtel d’une vingtaine de bungalows niché dans un bout de forêt tropicale, permet de financer ce musée à ciel ouvert.

L’Arma, ainsi que les autres musées de la ville, ont fait d’Ubud le centre culturel de Bali. Tous les soirs, un spectacle de danse se déroule dans le palais du prince Tjokorda Gde Putra Sukawati. Là même où, vers 1950, ont séjourné Charlie Chaplin et Marlon Brando.  » Mon père a dansé devant Antonin Artaud pendant l’Exposition universelle de 1932 « , raconte Ana Agung Gede. Ce danseur, parmi les meilleurs de Bali, habite à Peliathan, un village proche d’Ubud. Chaque vendredi soir, il monte sur une scène qu’il a édifiée dans sa propre maison, le Balerung Stage. Dans des vapeurs d’encens, devant des statues de pierre du dieu-éléphant Ganesh, une centaine d’artistes se succèdent, vêtus de brocarts somptueux ou de costumes de monstres poilus et griffus, racontant des légendes anciennes.  » La danse fait partie de notre éducation « , explique Ana Agung Gede, le corps à l’allure androgyne ceint d’un sarong brun. Invité en Australie, en Allemagne ou à Moscou, il a fait connaître la culture balinaise dans le monde entier.

La renommée internationale d’Ubud a également attiré de nombreux créateurs, tel John Hardy, qui a choisi d’installer ici ses ateliers de bijoux. Dans sa ferme située à environ 5 kilomètres de la ville, où l’on croise des chèvres sur le chemin caillouteux, ses employés balinais et javanais fabriquent plusieurs milliers de pièces par mois, vendues dans les boutiques chics de la 5e Avenue, à New York. Gros bracelets en or blanc, lourds pendants d’oreille en argent… il crée des bijoux imposants qui séduisent les Américains. Son inspiration ?  » Partout autour de moi « , s’exclame le quinquagénaire hippie aux cheveux longs, en désignant les galets sur le sol, les bambous qui poussent dans sa ferme ou les fleurs de frangipanier et de jasmin, présentes dans sa dernière collection.

C’est aussi un Français, Chris Salans, qui a ouvert à Ubud, il y a trois ans, l’une des meilleures tables de l’île. Niché au c£ur d’un jardin tropical, au milieu des manguiers, des héliconias et des pommes d’eau, le Mozaic propose une cuisine fraîche et imaginative, à base d’ingrédients locaux. Le jeune chef de 34 ans, formé à l’Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence, et au Lucas Carton, à Paris, s’active aux fourneaux.  » Je ne fais pas de la  » fusion food « , mais de la cuisine française en utilisant des mélanges d’épices balinaises, du gingembre, de la citronnelle ou du salak « , explique ce grand rouquin aux yeux bleus de Viking, marié à une Javanaise. Des créations qui composent un voyage en soi.

Dalila Kerchouche – Photos : Léonard Lueras

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