Les étudiants de La Cambre et de l’Académie d’Anvers déploient une fabuleuse créativité. Weekend a pris toute la mesure de ces nouveaux talents lors des défilés des écoles de mode… et aussi au célèbre festival ITS à Trieste, en Italie, où ils se sont brillamment distingués.

Soumettre les étudiants de fin d’études à toute appréciation est un exercice difficile. Tant on sait que chacun a mis dans sa collection du travail, de l’enthousiasme mais surtout son âme. Chaque année, le constat est identique.

La Cambre. Libérés de toute contrainte, les étudiants de première et de deuxième année déploient une belle créativité collective tandis qu’en troisième et quatrième années les styles se précisent, se personnalisent. En cinquième année, prêts à faire le grand saut dans la dure vie de stylistes, ils se voient alors souvent obligés de présenter une collection plus commerciale.

Lors du show de fin d’année de La Cambre qui se tenait en juin dernier aux halles de Schaerbeek, à Bruxelles, nous avons découvert un excellent cru 2007. Les sept étudiants de dernière année démontrant cette fois-ci un univers personnel, précis et cohérent. Tous sont sortis diplômés avec distinction, l’un d’entre eux toutefois, Matthieu Blazy (lire aussi pages 90 et 91), s’est nettement distingué en décrochant la grande distinction.

L’Académie d’Anvers. Au défilé de l’école de mode anversoise, où l’expérimentation et l’art du costume prennent traditionnellement davantage de place, c’est en revanche en troisième année que nous avons éprouvé le plus d’émotion, avec des mises en scène époustouflantes, d’une poésie rare. En quatrième année, où les étudiants font preuve de plus de retenue, on a toutefois suivi avec intérêt le parcours de pas moins de quatorze stylistes sur le point d’être diplômés. Preuve que la mode continue à faire rêver.

Les Belges triomphent à Trieste

Du 13 au 15 juillet dernier, le festival ITS, qui se déroule chaque année à Trieste en Italie, a célébré sa 6e édition. Ce grand rendez-vous international de la mode met en scène les jeunes talents et est également doté d’un prix récompensant une collection d’accessoires. Le grand prix est revenu à Ek Thongprasert tandis que le prix Diesel a été remporté par Taro Horiuchi, tous deux étudiants à Anvers.

La répétition générale. Installés aux premiers rangs, les stylistes prennent des notes, observent ce qu’il faut revoir, ajouter, changer, améliorer. Quelques heures avant le show, les vingt-deux candidats souhaitent faire de leur défilé un moment parfait, celui qui les départagera des autres étudiants venus des quatre coins du monde : de Belgique, de Grande-Bretagne mais aussi des pays de l’Est, d’Israël ou encore d’Australie. Le show aura lieu le soir sous le chapiteau dressé dans une pêcherie face à la mer.

Le principe du festival. Pendant l’année, des sélections très rigoureuses sont faites à travers toutes les écoles de mode du monde pour y dénicher les jeunes talents. Une fois sélectionnés, les étudiants, qui se disputent un premier prix de 20 000 euros, sont soumis à l’appréciation d’un jury de professionnels parmi lesquels on notait, pour cette édition, la présence de Renzo Rosso, PDG de Diesel qui soutient l’événement, mais aussi de la créatrice grecque Sophia Kokosalaki.

Une mode très internationale. Cette année, sur vingt-deux étudiants sélectionnés, on comptait pas moins de six Belges, quatre de l’Académie d’Anvers et deux de La Cambre. Parmi les étudiants issus de l’Académie d’Anvers, on retient le nom de Ek Thongprasert qui remporte le premier prix  » collection de l’année  » pour son univers poétique et celui de Taro Horiuchi qui rafle le prix Diesel. On épingle également l’excellent niveau des Britanniques, la montée des jeunes designers des pays de l’Est et le savoir-faire de créatrices australiennes.

Notre top

A La Cambre et à Anvers, au-delà des notations, Weekend braque un coup de projecteur sur ceux qui, à ses yeux, apparaissent comme les talents de demain. A Trieste, pays par pays, Weekend revient sur les lauréats ainsi que sur ses favoris (*).

(*) Nous indiquons leur niveau d’étude au moment de la sélection.

Taro Horiuchi(Académie d’Anvers, 4e année, prix Diesel à Trieste).

On avait épinglé au défilé de fin d’année à Anvers sa collection masculine où les hommes apparaissent vêtus de longues jupes blanches ainsi que son univers évanescent baigné d’une lumière mystique. Un mois après, en juillet dernier, il remportait le prix Diesel au Festival de Trieste en Italie. Baptisée  » Ancient plastic « , sa collection mêle avec succès les nouvelles matières et les influences tribales. Cette collection s’inspire des religions primitives africaines, où Taro a puisé des formes futuristes et géométriques au travers des tatouages et couleurs. Il les a appliquées à sa collection en utilisant des techniques de confection issues à la fois du costume mais aussi du vêtement de sport. Il crée ainsi une atmosphère intemporelle, une  » religion du vêtement dédiée à Dieu « , explique le créateur japonais qui dessinera prochainement une ligne pour Diesel.

Julien Dosséna (La Cambre, 5e année).

Ce Français s’est inspiré de l’univers du tuning qu’il a mélangé à des souvenirs de voyages en Afrique du Nord. Ainsi, on note avec intérêt des taches d’huile reproduites sur des broderies mais aussi des dessins de moteurs qui viennent animer les imprimés. Les couleurs très vives, une dominante d’orange, empruntent leur palette aux mosaïques d’Arabie et se déclinent, elles aussi, sur des nouvelles matières. Julien Dosséna, qui avait remporté le prix 1.2.3 au Festival à Hyères en mai 2006, dessinera à nouveau une mini-collection pour 1.2.3., cette chaîne de grande distribution française.

Ek Thongprasert (Académie d’Anvers, 3e année, Grand prix du festival de Trieste).

Le point de départ de sa collection est Le Petit Prince de Saint-Exupéry : la différence entre les enfants et les adultes et les raisons pour lesquelles les premiers, quand ils deviennent des adultes, oublient leur bien le plus précieux, l’imagination. Cette collection, qui met en avant les jeux de masques, raconte l’histoire d’un groupe de gens fatigués de se forcer à être quelqu’un d’autre et le début d’une recherche de leur véritable identité. C’est une collection qui frappe par sa poésie. Romantique et délicate, cette collection pour l’homme et la femme, baptisée  » Little Prince « , par ce prince thaïlandais, a conquis le jury de Trieste où l’étudiant a été couronné par le Grand prix du festival.

Yuima Nakazato (Anvers, 3e année).

Ce créateur japonais nous surprend par sa mise en scène. Cette fois, c’est au défilé du Chypriote Hussein Chalayan présent à Paris que nous songeons, avec cette lumière intégrée dans les vêtements et ces pièces-sculptures qui font du show une véritable performance.

Amandine LabidoirE (La Cambre, 5e année).

Nous avons beaucoup apprécié son univers, nourri des samouraïs, des arts martiaux et des mangas japonais. Amandine aime jouer avec le hasard et les patrons aléatoires directement réalisés sur le buste. Une démarche plus conceptuelle qu’enfantine si l’on y regarde de plus près. On applaudit la tonicité de son défilé où de grandes jeunes filles affublées de grosses épaulettes jouent aux poupées sexy.

Maia Van Daele(La Cambre, 5e année, sélectionnée à Trieste).

Son univers s’inspire des femmes mexicaines pratiquant le rodéo. Un cow-boy féminisé, tel est le propos de la jeune française Maia bluffée par des personnalités comme Frida Kahlo et Calamity Jane. C’est romantique et féminin. On apprécie tout particulièrement le détail des chapeaux.

Nicolas de Felice (La Cambre, 4e année).

Ce jeune talent, qui aime visiblement disserter sur le noir, démontre une maîtrise de la pièce unique. Dans son défilé cambrien que l’on a revu légèrement étoffé lors du festival ITS# 6 de Trieste auquel le candidat participait en juillet dernier, nous avons repéré un pantalon en cuir découpé, un bermuda en lamé argent, un trench au volume intéressant, des guêtres noires, une mini-robe noire en simili cuir, des bottes cuissardes qui s’enfilent sous une jupe plissée. Selon lui, tout peut changer, tout peut tomber. Comme ce pantalon découpé dans du cuir et dont les empiècements rappellent les pièces d’un puzzle. Les couleurs sont basiques mais sombres. Les pièces sont fragmentées  » à destination de ceux qui ont du mal à prendre des décisions « , dixit l’étudiant. Bref, un créateur à suivre de près.

Chantal Louise McDonald & Susan Maria Dimasi(Australie, créatrices de mode, sélectionnées à Trieste).

Un univers ensoleillé pour ces deux Australiennes. Une collection à la confection artisanale où l’on repère notamment de beaux blousons taillés dans du cuir.

Yu Fukumoto (Anvers, 3e année).

Une collection pour un homme dandy très étudiée où n£uds de cravate et n£uds papillon se confondent et prolongent la veste en queue de pie. Accessoirisée de derbys blancs, ces jeunes hommes affichent une allure de jeunes premiers.

David Longshaw (Grande-Bretagne, Royal College of Art, Londres, sélectionné à Trieste).

Illustrateur surdoué, il aime croquer ses histoires avant de dessiner les vêtements. Originaire de Manchester, David Longshaw travaille en Italie chez Alberta Ferretti. Cette collection baptisée  » A Gardening Nightmare  » est inspirée d’un cauchemar. Soudain réveillé, le héros vide en pleine nuit la garde-robe de sa grand-mère. Inspiration élisabéthaine et urbanwear se mêlent dans ses vêtements. Mention particulière pour cette robe où des pétales de fleurs recouvrent le buste.

Migle Kacerauskiene (Vilnius Art Academy, Lituanie,  » Fashion Special Prize « , Trieste).

Pour cette collection, la jeune Lituanienne a suivi les étapes de la vie de la femme, depuis l’enfance jusqu’à la maternité. Une collection en toute simplicité qui a attiré l’attention du jury puisqu’elle lui a valu le  » Fashion Special Prize « . Une manière pour le festival de consacrer cette nouvelle vague venue de l’Est.

Andrea Ayala Closa (Anvers, 4e année).

Il fallait y penser. Un défilé de mannequins sans tête baptisé  » Denominate a space « . Andrea Ayala Closa, étudiante espagnole, a osé. Les visages voilés, cagoulés, masqués, grillagés, on connaissait… mais l’absence complète de tête, personne ne l’avait encore jamais fait. Par un procédé simple de vêtement suspendu au cintre, les têtes des mannequins sont dissimulées sous le vêtement. Une astuce qui donne aux silhouettes une impression XXL. Mais l’intérêt ne réside pas uniquement dans cette mise en scène exceptionnelle qui suscite malgré tout malaise autant qu’intérêt. Une fois le vêtement ôté de son cintre, il apparaît dans toute sa dimension. Le travail des finitions du tailoring pour l’homme, qui joue sur les superpositions des vestes, est impeccable.

Matthieu Blazy (La Cambre, 5e année).

Notre super-coup de c£ur. Sorti de La Cambre avec une grande distinction, ce Franco-Belge de 23 ans seulement, avait déjà raflé le grand prix des trophées Lancôme à Paris en mai dernier. Un an auparavant, en juillet 2006, il avait décroché le prix Maria Luisa au festival de Trieste en Italie. Poursuivant sur sa lancée, ce brillant étudiant qui compte à son actif des stages chez John Galliano et chez Balenciaga, a confectionné une collection inspirée de sa muse Claudie Haigneré où il retravaille, avec une technique exemplaire, les tenues de cosmonaute tout en explorant au passage les nouvelles matières. On éprouve parfois même le sentiment que son style très personnel a influencé les autres étudiants de l’école. Matthieu Blazy aurait déjà retenu l’attention de grands noms de la mode. On saura très vite avec quelle maison il devrait signer.

Agnès Trémoulet

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