Torride face-à-face ! Au moment où les éditions Taschen retracent l’aventure de Playboy en six volumes, son équivalent français, le mythique magazine Lui, refait surface dans les kiosques. Retour sur une esthétique érotico-chic aussi fascinante que machiste.

C’était avant Internet et les films cryptés de Canal + du samedi soir. C’était l’époque où les pubs pour cigarettes étaient encore autorisées et le fauteuil en rotin façon Emmanuelle le must du mobilier contemporain. Y aurait-il de la nostalgie dans l’air ? Lui, sous-titré Le magazine de l’homme moderne, qui a déshabillé les plus belles filles et les plus grandes actrices françaises du cinéma des années 70, fait son grand retour dans les librairies sous la houlette de l’écrivain Frédéric Beigbeder. Ultime sursaut se dit-on pour un titre qui, entre parutions éphémères et dérives éditoriales, n’était plus que l’ombre de lui-même. Hasard du calendrier pour les uns, air du temps pour les autres, les éditions Taschen sortent au même moment un imposant hommage aux grandes années de Playboy (1953-1979). Une saga illustrée de six volumes et 2 000 pages, centrée autour de son fondateur star, l’impayable Hugh Hefner.

Une double occasion de se plonger dans cet  » âge d’or  » de l’érotisme bon chic bon genre, qui en dit long sur l’époque. Car en se positionnant comme les premiers magazines de charme vendus ouvertement en librairie, Playboy et Lui ont marqué les esprits. Le magazine américain a paru la première fois en 1953. Devant le succès phénoménal des ventes, le Français Daniel Filipacchi, éditeur de Salut Les Copains, se lancera dans l’aventure en 1963 en créant Lui, clairement inspiré de son grand frère américain.

CONTEXTE PURITAIN

En avance donc sur la concurrence, ces deux revues furent de véritables chambres d’écho de la libération sexuelle qui marqua les années 60. Jadis vendus sous le manteau, les magazines érotiques quittent la clandestinité pour s’assumer en plein jour et gagner en prestige. Car il n’est pas question ici d’imprimés de troisième catégorie mais de mises en scène soignées reproduites sur papier glacé, agrémentées d’articles sociopolitiques de qualité, destinés à séduire un public adulte de niveau socio-culturel respectable.

Pour attirer les lecteurs mâles, Hugh Hefner, ce fin connaisseur de l’âme masculine licencié en psychologie de l’université de l’Illinois, imagine le concept de la Playmate du mois et du poster central. Une image panoramique grand format à doubles rabats que l’on ouvre du bout des doigts, comme on dégraferait un sous-vêtement. Pour son premier numéro, l’homme d’affaires révèle l’anatomie d’une starlette montante nommée Marilyn Monroe. C’est soft, très soft, mais suffisant pour agacer les procureurs qui rêvent d’inculper  » le pornocrate  » Hefner. Hilare, ce dernier se retranche derrière le premier amendement de la Constitution US qui garantit la liberté de la presse. Si ces images vieillottes de pin-up semblent inoffensives aujourd’hui, il faut les replacer dans le contexte puritain d’après-guerre. A l’image du cinéma qui vit encore sous le joug du code Hays, sorte de guide de bonne vie et moeurs qui interdit de montrer à l’écran un homme et une femme couchés dans le même lit, même en pyjama… Mais la Beat Generation va secouer le cocotier de l’Amérique de papa. Du pain béni pour le fondateur de Playboy qui invite les plus grands écrivains à prendre la plume pour donner du poids à son projet éditorial. Hefner, dont la personnalité se confond avec son produit, transforme son  » bébé  » en une marque et un mode de vie. Le célèbre lapin au noeud pap’ qu’il a érigé en logo est bientôt la tenue officielle de ses  » bunnies « , les serveuses qui officient dans les Playboy clubs qui fleurissent un peu partout au pays de l’Oncle Sam.

Si le début des seventies marque l’apogée du magazine avec des chiffres de ventes astronomiques (plusieurs millions d’exemplaires par mois), c’est peut-être parce que la revue atteint une sorte d’équilibre entre l’explicite et le suggestif. C’est au tournant de l’année 1973 que les modèles dévoilent leur pubis jusque-là soigneusement dissimulé par un avant-plan aussi factice que nécessaire pour que l’éditeur ne se retrouve pas devant les tribunaux. A priori dérisoire, ce verrou qui saute permet de gagner en naturel. Et d’assouvir le voyeurisme du lecteur. Mais ce qui est osé ne le reste pas éternellement. Le public de Playboy ne franchira jamais les limites de l’érotisme bon teint, type calendrier Pirelli, alors qu’en 1974 paraît dans les kiosques un magazine qui fait scandale par son audace : le sulfureux Hustler qui préfigure l’ère du X sans angle mort ni tabous.

DENEUVE, BARDOT, BIRKIN

Inspiré très largement par son cousin nord-américain, le magazine français Lui, créé en France en 1963 par les éditeurs Daniel Filipacchi et Frank Ténot, connaît lui aussi son apogée dans les années 70. Les ventes culminent alors à 500 000 exemplaires par mois et le titre s’offre les personnalités les plus en vue de la décennie, même si les plus connues d’entre elles se montrent très pudiques devant l’objectif. Il n’empêche, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Marlène Jobert, Marisa Berenson, Dani, Sylvia Kristel ou Romy Schneider se prêtent toutes au jeu de l’effeuillage, de préférence pour le très attendu numéro de Noël. Les décors sont un florilège  » sea, sex and sun « … On ne compte plus les piscines tropéziennes, les plages de sable fin, les lits à baldaquin et les feux ouverts réquisitionnés pour l’occasion. C’est délicieux comme une comédie de Georges Lautner avec Mireille Darc mais rares sont les images à passer à la postérité. Et quand Lui convoque un photoreporter de l’envergure de Raymond Depardon pour sublimer Maria Schneider qui vient de tourner Le dernier tango à Paris, c’est un ratage total.  » L’oeil de Magnum « , qui a couvert la guerre du Liban, se révèle mal à l’aise dans l’exercice…

Heureusement, la plupart des reportages sont assurés par un pro du genre, un certain Frank Gitty qui n’est autre que Francis Giacobetti, homme à femmes et  » picture editor  » du magazine. C’est lui qui sera aux commandes d’une séance d’anthologie parue en décembre 1974. Une impressionnante série tendance cuir et bondage avec Jane Birkin en femme objet menottée au radiateur sous l’emprise de Serge Gainsbourg dans la peau du mâle ultradominant. Tout cela vingt-cinq ans avant le porno chic… La Britannique androgyne, qui sera souvent l' » invitée  » de la rédaction, n’a pas son pareil pour échauffer les esprits dans des tandems incongrus, comme celui qu’elle forma dévêtue avec B.B. ou… Pierre Richard. Pour le reste, ce sont de jolies inconnues qui enflamment la rétine. Forcément moins prudes que les célébrités et moins sculpturales que leurs homologues américaines. Selon les saisons, elles sont alanguies dans un chalet suisse, une cabine de yacht ou la chambre moite d’un bungalow des Tropiques. Vous avez dit kitsch ? Détails amusants : la pilosité est encore à la mode et la marque du maillot, un gage de sensualité. Décidés à reproduire le concept qui a fait le succès de Playboy, les éditeurs français saupoudrent leur publication de divers ingrédients censés plaire à la majorité des hommes, les vrais : du sport, de belles voitures et de l’humour graveleux, incarné ici mensuellement par une sélection de blagues et de dessins grivois dont la finesse du trait ferait passer Jean-Marie Bigard pour un disciple de Choderlos de Laclos. Ahurissant de machisme. Ça c’est pour le pire. Pour le meilleur, on trouve les gouaches de l’illustrateur Aslan, des pin-up désinhibées peintes dans un style  » old fashion « , vendues récemment à prix d’or chez Drouot, la maison de vente parisienne. Et puis, pour le plaisir des mots, on retiendra les entretiens avec les politiques, écrivains et autres grands intellectuels. Aux rangs desquels figure Roland Barthes, longuement interviewé en 1977 après la parution de Fragments d’un discours amoureux. Barthes qui définissait l’érotisme comme l’endroit  » où le vêtement baille « … Une formule qui à elle seule résume les plus belles années de l’aventure Lui.

Hugh Hefner’s Playboy, Taschen, 6 vol. sous coffret, 1910 pages, en français.

PAR ANTOINE MORENO

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