Nunc est bibendum

© KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Souvenez-vous, c’était il y a treize ans. Avril 2007. Ça ne vous revient pas ? Allez, un petit effort : Yves Leterme tout-puissant bientôt couronné  » Monsieur 800 000 voix « , Nicolas Sarkozy en passe de battre Ségolène Royal au second tour de la présidentielle, Keith Richards qui prétend avoir sniffé les cendres de son paternel et, sur les ondes radiophoniques, Michael Youn scandant un message de santé publique :  » Fous ta cagoule.  » Un bien mauvais conseil, d’ailleurs, parce que s’il y eut une seule chose à retenir en ce mois d’avril, c’est qu’on pouvait allègrement se découvrir d’un paquet de fils : avec des températures moyennes tutoyant les 15 °C – et une pointe notable de 28,7 °C enregistrée à Uccle -, les records de l’IRM étaient balayés par les scores caniculaires enregistrés. Eh bien figurez-vous que ces quatre semaines inhabituellement ensoleillées ne pourront jamais rivaliser avec celles qui viennent de s’écouler, du moins au niveau d’une pratique plus répandue que jamais : l’apéro. Il ne s’agit que d’une pure supputation de notre part, on attend les chiffres des alcooliers (ou ceux de la police) pour confirmer, mais force est de constater que l’apéritif est devenu en quelques jours un véritable sport national, même si pratiqué à distance – les fameux Skypéros -, par-delà une haie ou en très petit comité. Et alors que les érudits se remémorent avec émotion l’ Apérobic des Charlots ( » à elle la gym, à moi l’tonic « , hommage éthylique à Véronique et Davina en 1983), on en profitera pour signaler à tout hasard qu' » avril  » et  » apéro  » ont vraisemblablement la même racine latine : aperire, ouvrir. Est-ce suffisant pour expliquer l’engouement actuel pour un rituel convivial censé stimuler l’appétit ? Certes, non.

Vieux comme le monde, le recours à cet  » alcool qui tue les microbes  » a fait ses preuves, mais également démontré ses limites, lesquelles nous promettent bilans hépatiques mitigés et lendemains pas si roses.

Il faut évidemment tenir compte du détonnant cocktail anxiété/désoeuvrement, mais peut-être aussi d’une certaine tendance qu’a l’être humain à confondre carte de bar et pharmacopée. Vieux comme le monde, le recours à cet  » alcool qui tue les microbes  » a fait ses preuves, mais également démontré ses limites, lesquelles nous promettent bilans hépatiques mitigés et lendemains pas si roses – à ce train-là, certains sortiront du confinement complètement confits. Mais revenons-en au lien entre biture médicale et apéritif. Grand artisan de sa popularisation, Joseph Dubonnet était initialement l’inventeur d’un vin de quinine destiné aux légionnaires luttant contre le paludisme, avant d’abreuver la France entière du vermouth aromatisé portant son nom. Incontournable depuis quelques années, le gin tonic fut créé pour les mêmes raisons par la Compagnie des Indes au XIXe siècle. Et à peu près au même moment, c’est la caïpirinha brésilienne que l’on s’envoyait pour lutter contre le choléra puis, quelques décennies plus tard, contre la grippe espagnole. On en viendrait presque à se demander si quelqu’un a déjà essayé de mélanger cette fichue hydroxychloroquine dans un grand verre avec des glaçons et une larme de vodka. De là à vouloir remplacer les virologues par des mixologues, il y a un pas que nous ne franchirons certainement pas. Au contraire, on soutient par la pensée tous les spécialistes du pays, qu’ils s’appellent Marius, Gilbert, Emmanuel ou André, et on se dit qu’on leur payerait bien un verre quand tout sera terminé.

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