Coiffeur des têtes couronnées dans les années 1950, maquilleur des stars et directeur artistique chez Guerlain, il se raconte dans un livre… et confie ses petits secrets à Weekend.

(*)  » Les Couleurs de ma vie « , par Olivier Echaudemaison, Le Cherche Midi.

Ventre plat, visage de jouvenceau. A la terrasse du Select, à Paris, Olivier Echaudemaison ne paraît pas ses 60 ans… et des poussières. Normal, voilà quarante ans que ce fils de pépiniériste fait profession de beauté. Coiffeur au début de sa carrière dans les années 1950 auprès de Monsieur Alexandre, puis maquilleur û c’est lui qui a créé la ligne de Givenchy û il participe aujourd’hui au succès de la maison Guerlain. La duchesse de Windsor, Jackie Kennedy, Rania de Jordanie, Romy Schneider, Carla Bruni… Il connaît leurs traits du bout des doigts. L’arcade sourcilière parfaite de l’une, le petit défaut de l’autre : il a des anecdotes plein ses mallettes, mais surtout a suivi de près l’évolution de la beauté depuis plusieurs décennies. Il raconte tout cela dans un livre,  » Les Couleurs de ma vie  » (*) et se confie à Weekend au fil d’un entretien qui ne manque pas de pep.

Weekend Le Vif/L’Express : En 1958, vous commencez chez Alexandre, la haute couture de la coiffure. Quels étaient alors les standards de beauté ?

Olivier Echaudemaison : A l’époque, tout était truqué. On roulait, on crêpait et on laquait, on mettait des postiches, des doubles postiches… Il fallait deux ou trois heures pour coiffer les femmes. Les laques d’alors, c’était du béton. Pendant trois jours, impossible de passer un peigne dans leurs cheveux, elles avaient une vraie montgolfière sur la tête ! Pour le maquillage, il en allait de même, tout était artificiel. Les couleurs étaient pastel, le rimmel se posait à la brosse et le blush n’existait pas. C’était le temps du rouge crème.

Très vite, vous coiffez les grandes de ce monde, dont la duchesse de Windsor…

Elle était très masculine mais, par un jeu de mesures et de proportions, son visage, maquillé, devenait gracieux, comme adouci. Elle était rarement détendue, toujours aux aguets, contrôlant tout, comptant presque les cheveux que je devais rouler sur un bigoudi, le trait acerbe, ne ménageant personne. Elle se maquillait elle-même. Ses cheveux pauvres étaient permanentés et teints. Ils étaient poreux, mous, terribles en vérité. Mais, pour ce genre de femme, et à cette époque, il était impossible de paraître une mèche de travers.

Quand les femmes ont-elles commencé à se libérer ?

Au tout début des années 1960, et le renouveau est passé d’abord par la coiffure. Certaines femmes ont commencé à ne plus vouloir de laque, à crêper leurs cheveux le moins possible. Ce qui leur importait, c’était de paraître jeunes, autrement dit d’avoir le cheveu libre. Elles avaient dans leur vie des hommes qui aimaient leur caresser les cheveux. Alexandre était affolé.  » Tu ne peux pas les laisser partir comme ça…  » Je répondais :  » Si, mais elles reviendront demain.  » C’était une minirévolution qui fut lancée en France par des femmes célèbres telles que Juliette Gréco.

En matière de maquillage, la modernité est venue de Londres avec les couleurs pop. Les mannequins comme Twiggy et Shrimpton ont-elles vraiment influencé les femmes ?

Twiggy était un Pierrot lunaire. Au naturel, elle était insignifiante. Peu de cheveux, assez fins, assez plats. C’était la Kate Moss de l’époque. Son corps était maigrichon, mais elle était touchante. Elle arrivait avec son visage tout rond, ses yeux immenses. Et, comme les autres étaient totalement artificielles, elle a incarné très vite une forme d’innocence qui a séduit beaucoup de femmes. Quant à Shrimpton, elle paraissait encore plus vraie que Twiggy et elle a aussi été beaucoup copiée. Elle se mettait des bouts de faux cils qu’elle coupait deux par deux, avec une lame de rasoir. Pour que personne ne s’en aperçoive, elle arrivait une heure avant tout le monde au studio, et elle disait que c’était l’effet du mascara. Shrimpton a aussi été la première à s’afficher avec les cheveux souples. Avec elle, le crêpage est définitivement passé aux oubliettes. Pour donner cet effet naturel, les coiffeurs ont adopté une nouvelle technique : on partait d’une mise en plis qu’on détendait ensuite à la brosse. C’est d’ailleurs à cette époque que Babyliss a sorti le premier fer à friser électrique.

Mais toutes les femmes ne suivent pas le mouvement…

Non, certaines ont choisi de rester dans la tradition, préférant le style Jackie Kennedy. Son statut de femme de président ne lui permettait pas de se présenter le cheveu de travers et elle a toujours gardé la technique du crêpage. Elle a imposé son style allant à l’encontre des canons de beauté de son époque, les Marylin et autres blondes potelées. Elle avait un visage très carré, des pommettes très hautes, des yeux écartés. Elle accentuait énormément ses sourcils en se faisant cet £il qui remonte comme chez un faon, son nez était présent. Ses lèvres étaient toujours couleur bois de rose… Beaucoup de femmes se sont reconnues dans cette image de femme-enfant, de petite fille modèle.

Vous avez aussi maquillé Romy Schneider ?

J’ai fait sa première et sa dernière couverture. A son arrivée à Paris, quand elle était très amoureuse d’Alain Delon, elle était encore toute potelée. Son visage était celui d’un chat, très plein. On ne la reconnaissait pas dans la rue sans maquillage. Mais il suffisait de lui passer une ombre à paupière foncée, taupe ou gris, pour que son regard ressorte de façon incroyable. Lors de sa dernière séance, c’était une femme meurtrie, au sens figuré comme au sens propre, sa peau, très fine, était comme griffée par les rides.

Dans les années 1980, Jerry Hall a joué un véritable rôle d’icône…

La femme de Mick Jagger a symbolisé le clinquant des années 1980. Elle avait une ossature du visage incroyable, avec une mâchoire très forte et des cheveux fabuleux. J’ai beaucoup aimé la maquiller car son visage offrait énormément d’espaces. Avec elle, on a commencé à maquiller tous les éléments du visage : multipliant les ombres à paupières, appliquant du blush sur les pommettes. Dans le même temps, Inès de la Fressange a déclenché une nouvelle révolution : la non-couleur. Elle arrivait en jean avec une chemise de son père, et ne supportait qu’une seule chose : le naturel. Il fallait jouer par touches, tempérer, simplement pour qu’elle ait bonne mine. Joyeuse, sans fard ou presque, elle a totalement représenté l’image d’une nouvelle modernité.

Quels sont les changements majeurs de la dernière décennie en termes de beauté ?

Les pigments. La technologie a énormément progressé. Aujourd’hui, les textures sont de plus en plus légères, on joue sur la lumière, la transparence. C’est le temps du teint faussement nu. Un naturel qui n’en est pas un. En coiffure, les colorations se sont nettement améliorées. C’est le règne du ton sur ton, de la lumière là encore.

Quelles femmes vous fascinent aujourd’hui ?

J’aime bien Carla Bruni. Jeune, elle a su faire ce qu’il fallait pour se rendre attrayante. Et puis, Isabelle Huppert est formidable (elle vieillit beaucoup mieux que l’autre Isabelle). C’est une des rares qui peut se permettre de porter un rouge à lèvres très foncé. Ainsi maquillée, elle irradie totalement et nous offre l’image d’une femme qui continue d’être séduisante après 40 ans. Elle a su ne pas s’accrocher à la beauté de ses 20 ans et nous montre qu’une femme épanouie, à 40 (et plus), peut être extraordinaire.

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