Olivier Theyskens Le réveil de la ruche Rochas
A 26 ans, le Belge Olivier Theyskens préside désormais à l’avenir artistique de la vénérable maison Rochas. Rencontre avec un créateur éclairé qui est également au centre du prochain événement de mode » Bruxelles-sur-Seine » avec une exposition originale et pleine de surprises.
L’exposition Olivier Theyskens aura lieu à la Galerie Ravenstein, à Bruxelles, du 14 mai au 8 juin, tous les jours, de 5 heures à minuit. Elle s’inscrit dans le cadre de l’événement » Bruxelles-sur-Seine » qui débute le 12 mai. Tél. : 02 548 88 80.
L e rebondissement était attendu. Il restait simplement à savoir où et quand Olivier Theyskens allait sortir de l’ombre. Après avoir volontairement mis sa propre marque entre parenthèses, il y a un an déjà, et plié bagage pour rejoindre Paris, le créateur bruxellois a finalement accepté l’offre de Rochas à l’aube de l’année 2003. A 26 ans, le jeune homme au regard ténébreux s’apprête donc à remettre sur le devant de la scène la marque française créée par Marcel Rochas en 1925. A en croire le buzz répandu, le 6 mars dernier, autour de son tout premier défilé pour la saison automne-hiver 2003-2004, Olivier Theyskens a d’ores et déjà capté l’attention des grands acheteurs et des rédactrices de mode. Il est vrai que les acteurs de la planète mode ont toujours suivi et aimé le travail de ce Belge hors pair. Et comme le défi Rochas n’est pas une mince affaire, l’intérêt est d’autant plus grandissant…
La question est désormais posée : Olivier Theyskens va-t-il réussir avec Rochas ce que Tom Ford a accompli avec Gucci ? Les paris sont ouverts, même si le frémissement d’un succès à venir est déjà palpable aujourd’hui. Sa première collection a en effet reçu un écho positif des acheteurs potentiels et, surtout, le jeune homme reste plus que jamais » tendance » dans les hautes sphères artistiques. Il a récemment signé les costumes de l’opéra » I due Foscari » mis en scène par la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker à La Monnaie à Bruxelles, joué au directeur artistique pour le très pointu magazine » D » édité par le Flanders Fashion Institute d’Anvers et sera, en outre, l’invité d’honneur de l’événement » Bruxelles-sur-Seine » qui animera notre capitale du 12 mai au 8 juin prochain ( lire à ce propos l’article en pages 28 et 29). Le moment est donc venu de faire une interview-bilan…
Weekend Le Vif/L’Express : Il semble que, sur le plan commercial, vous avez d’ores et déjà réussi votre pari avec Rochas…
Olivier Theyskens : Oui, la collection se vend bien. Nous sommes au-dessus de toutes nos attentes. Et puis, la qualité des lieux de distribution est super top. Curieusement, le marché américain est très enthousiaste. Avant, le réseau mode était quasi inexistant pour Rochas, alors que la marque compte un nombre incroyable de points de vente en cosmétiques et parfums. Aujourd’hui, le réseau mode se développe enfin.
Pourquoi avez-vous accepté ce poste chez Rochas alors que, trois ans plus tôt, vous aviez refusé d’autres offres ?
Parce que, ici, il s’agit d’un vrai travail de direction artistique. Rochas a décidé de me confier la direction artistique de toute la marque, parfums y compris. C’est un poste intelligent. Quand on est créatif et qu’on est sur le marché, entre guillemets, c’est vrai qu’on reçoit énormément de propositions. Il faut avoir le nez fin pour choisir la bonne, celle qui vous rend heureux et dans laquelle vous êtes inspiré en tant que créatif. Moi, j’ai voulu être patient. Après ma première collection personnelle, j’avais déjà des propositions de marques italiennes. C’était incroyable. Mais j’ai décidé de ne jamais collaborer tant que je n’aurais pas le coup de c£ur. Rochas, c’est un projet absolument magnifique. C’est une marque qui a un potentiel énorme. C’est un nom à la fois extrêmement connu et extrêmement neutre. Les parfums se vendent très bien et la maison appartient à un grand groupe de cosmétiques, Wella. Le canevas est intéressant. Et puis, quand on lit les archives de la maison, on découvre une mode inventive et créative.
Le passé et le poids de la maison Rochas vous ont-ils justement contraint à vous retenir sur le plan créatif ?
Non. Au contraire, je me suis vraiment offert la liberté de créer la collection que je voulais montrer. Je ne me suis mis aucune barrière. Pour Rochas, il va falloir plusieurs collections avant que les gens comprennent que je peux articuler toute une mode autour d’un univers propre à cette maison. Il s’agit d’un univers bien défini, différent des autres maisons et qui mérite d’être exploré. Il va me falloir du temps pour que l’intérêt d’une collection ne soit pas la collection en elle-même, mais bien la modernité de l’univers qui l’entoure. La mode, c’est ça : chaque collection est une brique qui sert à construire un édifice. C’est pour cette raison que je n’aime pas le terme rajeunissement à propos de mon travail pour Rochas. Je considère que je ne rajeunis pas une image parce qu’elle n’était pas vieille. Cette image était tout simplement inexistante. Je préfère parler de révélation. Je révèle aujourd’hui un univers que tout le monde a oublié et qui est un univers assez intéressant pour être contemporain.
Pourquoi ce thème de l’abeille est-il omniprésent dans votre première collection pour Rochas ?
Je ne parlerais pas de thème. C’est simplement l’envie d’apporter une touche vivante. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu envie de faire un film sur des ruches et après coup, je me suis dit : » C’est marrant, parce que cela symbolise un peu la maison de couture. » Il y a toutes ces petites abeilles, l’énergie, l’ambre… C’est très beau. C’est un univers exclusivement féminin qui correspond bien à Rochas. Et quand je suis là-bas, dans les ateliers, il y a vraiment un aspect ruche. C’est amusant. La mode que je fais chez Rochas est une mode qui vient du c£ur. Aujourd’hui, je suis fatigué par le côté » jeune création » que l’on trouve dans les vieilles maisons. Les effets faciles me fatiguent. Ici, j’ai voulu lancer une piste qui est purement esthétique. Il y a une envie de couleurs, de féminité, de recherche… D’ailleurs, je suis pertinemment convaincu que l’aspect ultracontemporain d’une fille, si elle est moderne, peut être l’élégance et le bon goût. On peut éviter l’effet facile. Chez Theyskens, j’ai souvent laissé la porte fermée à la pure envie d’esthétisme et à la non-justification de choix artistiques. Ici, j’ouvre tout grand cette porte et je me laisse complètement aller dans l’envie du beau, de l’allure et de la recherche.
Qu’en est-il aujourd’hui de votre propre marque Olivier Theyskens ?
Elle est momentanément mise entre parenthèses. Il y a eu énormément de rumeurs idiotes à ce sujet, mais je tiens à dire que je possède mon nom à 100 %. Dans la mode, on évolue. Pour des raisons très personnelles, j’ai décidé d’arrêter mes collections alors que ça fonctionnait très bien. J’avais une liste de clients magnifique et je ne pensais d’ailleurs pas que j’allais sauter plusieurs saisons d’affilée. J’avais pris ma décision avant le 11 septembre 2001 et, finalement, j’ai bien fait parce que je ne souffre pas aujourd’hui de cette gangrène qui a gagné l’économie de la mode. Dieu sait si, aujourd’hui, nombreuses sont les jeunes maisons qui sont en train de souffrir. Moi, j’ai toujours travaillé avec mon instinct. Quand j’ai commencé la mode à 20 ans, c’était avec mon instinct. Et quand je recommencerai ma marque, ce sera aussi avec mon instinct.
Mais l’envie de revenir un jour sous votre propre nom est bel et bien là…
Oui et je continue d’ailleurs à dessiner des collections personnelles pour le fun, comme je l’ai toujours fait quand j’étais enfant et adolescent. Lorsque je sentirai que le moment de redémarrer est venu, je le ferai. J’ai beaucoup de soutien à l’extérieur et je suis très confiant à ce sujet. Et puis, je connais des gens qui travaillent depuis quarante ans dans la mode, comme Kenzo et Karl Lagerfeld. Ils ont pris du temps pour réfléchir sur leurs propres méthodes et voir ce qu’ils voulaient vraiment faire sous leur propre nom. Donc j’ai la vie devant moi ! Je n’ai jamais considéré tout cela avec stress. Au contraire, c’est génial de se sentir totalement libre. C’est cela, l’important : savoir qu’on est libre. Aujourd’hui, j’ai non seulement beaucoup de temps pour m’attacher à ce projet Rochas qui est un projet d’envergure, mais j’ai aussi du temps pour faire d’autres choses intéressantes comme un magazine ou un opéra…
Précisément, vous avez dessiné les costumes de l’opéra » I due Foscari » mis en scène par Anne Teresa De Keersmaker au Théâtre de La Monnaie…
Oui, c’est un projet qui s’est mis en place il y a presque un an et demi et qui a nécessité un travail assez lourd puisqu’il y avait 220 costumes au total ( NDLR : la dernière représentation se donne ce samedi 3 mai). Moi, je suis toujours partant dans les projets où je suis assez libre. J’ai le même plaisir à imaginer et à créer un univers cohérent, que ça soit pour une maison de couture ou un opéra. J’ai toujours aimé l’art scénique en général et l’opéra en particulier. C’est vrai que j’ai pu expérimenter ici d’autres façons de faire, mais cela ne va pas modifier mes vues dans la mode. Cela va peut-être les enrichir parce qu’il s’agit d’un exercice de style. Par exemple, j’ai pu travailler énormément les couleurs, grâce notamment à un passage évoquant un carnaval de Venise un peu déjanté où j’ai pu créer des vêtements naïfs et attendrissants, très populaires et très Marolles. C’est quelque chose que je n’aurais jamais fait dans une collection de mode. Dans un opéra, on n’est pas à la recherche d’un » high standard « . On n’apporte pas une brique à l’édifice d’une maison de mode ou d’une image. On est dans une parenthèse. Il y a une histoire, un concept et une équipe qui cherche une cohérence et vous, vous limitez votre créativité dans ce canevas intellectuel. Il faut considérer que c’est un autre métier. Là, je suis comme un costumier.
Vous vivez désormais à Paris mais vous serez prochainement de retour à Bruxelles pour un événement de mode, » Bruxelles-sur-Seine « , dont vous êtes l’invité d’honneur…
Oui, j’ai accepté de participer au projet car il faut soutenir l’équipe de Modo Bruxellæ qui organise l’événement. C’est une équipe positive et elle doit vraiment se battre pour faire bouger la ville. Culturellement, Bruxelles est riche mais il s’y passe vraiment peu de choses. Il y a peu d’événements. C’est dur, c’est triste, c’est déprimant. A Londres, à Paris, à Berlin, à Rome et même à Florence, c’est plus intéressant. Il y a plus d’énergie ! Il faut être réaliste avec Bruxelles : il y a une mentalité qui subit. Quand il y a quelque chose qui se passe, on se dit ( Olivier Theyskens prend l’accent bruxellois) : » Ah, c’est chouette, on va aller voir » et puis, on rentre chez soi. C’est très Jacques Brel en fait ! Aujourd’hui, je n’habite plus à Bruxelles parce que je dois avouer que, quelque part, je m’y ennuyais un peu. C’est un peu triste parce que j’ai un amour sincère pour Bruxelles. Mais il y a plein d’artistes et de créatifs qui partent. C’est une réalité. On n’est pas aidé par la Ville. Il n’y a pas d’énergie. Quelque part, c’est quand même dû aux institutions. Si Paris bouge tellement depuis quelques années, c’est aussi parce que le maire de Paris est quelqu’un qui veut que ça bouge. Il incite, il ouvre les portes. Il n’est pas un vieux schnock ! A Bruxelles, il y a un côté un peu coincé. Donc, il faut que Bruxelles se bouge un peu. Et la mode amène justement pas mal d’événements. Alors, je soutiens Modo Bruxellæ parce qu’il est normal qu’il y ait des événements de mode dans une ville qui est une capitale. Cela ne se discute même pas. C’est une évidence !
Concrètement, quel sera votre rôle dans cet événement qui compte plusieurs expositions ?
Je vais investir la Galerie Ravenstein que j’adore. C’est un lieu de passage qui a l’air complètement abandonné. C’est presque un tunnel vide, mais c’est un lieu qui a un potentiel énorme et je suis d’ailleurs persuadé qu’il va devenir incontournable dans les années à venir. Il a un look superbe, fruit d’une architecture qui date de la fin des années 1950. Alors, concrètement, je vais investir le lieu, non pas pour montrer des vêtements à moi, mais plutôt pour créer un espace qui sera particulier. Ma volonté est de baser mon travail sur un sentiment de nostalgie et sur l’aspect populaire de la ville. Il y aura un côté légèrement décalé où la belgitude ne sera pas absente. Personnellement, j’aime beaucoup les quartiers populaires de Bruxelles et j’aimerais bien retranscrire cet amour simple, un peu triste aussi. Donc, je ne vais pas investir le lieu en tant que créateur de mode, mais plutôt en tant qu’individu. Ce ne sera pas nécessairement une exposition de vêtements. Mais je préfère laisser la surprise intacte…
Propos recueillis par Frédéric Brébant
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici