Chanel l’a choisie comme ambassadrice et a créé Allure Sensuelle, un parfum inspiré de sa voix. A 27 ans, l’actrice française Anna Mouglalis fait l’objet d’une belle actualité cinématographique. Rencontre à Paris avec une fille qui mêle, avec charme, gravité et légéreté.

Elle nous avait dit qu’elle était connue en Italie. Elle ne nous avait pas menti. Quelques semaines après notre rencontre à Paris, on retrouve en effet Anna Mouglalis, placardée sur les panneaux publicitaires de Milan, en couverture du supplément féminin du quotidien italien  » El Corriere della Sera « , en pleine fashion week. A l’occasion de la sortie du film  » Romanzo criminale  » de Michele Placido (1), présenté au Festival de Berlin, où l’actrice française tient le premier rôle, et de  » Mare Nero « , un film de Roberta Torre prochainement sur les écrans, le journal italien n’hésite pas à la baptiser de  » nouvelle femme fatale « . En France, celle qui fut révélée par Claude Chabrol dans  » Merci pour le chocolat « , en 2000, sera bientôt sur le petit écran dans  » Les Amants du Flore « , un téléfilm d’Ilan Duran Cohen qui doit être prochainement diffusé sur France 3 et Arte, où elle campe le personnage légendaire de Simone de Beauvoir aux côtés de Jean-Paul Sartre, interprété par Lorant Deutsch.

Son actualité ne s’arrête pas là. Après Nicole Kidman et Vanessa Paradis, Anna Mouglalis est aussi, depuis 2002, l’égérie de Chanel. Pour ce printemps-été 2006, la mythique griffe française la met en scène dans la campagne publicitaire destinée à promouvoir le nouveau sac Luxury et lui a même créé Allure Sensuelle, un parfum sur mesure. Un jus profond et grave à l’image de sa belle voix qui la range dans la veine des actrices comme Fanny Ardant ou Jeanne Moreau.

C’est dans le salon Vendôme, situé au-dessus de la boutique Chanel à Paris, que nous rencontrons Anna. Une jeune femme de 27 ans, à la maturité bien affirmée, et dotée, comme on s’y attendait, d’une belle personnalité. Elle dit ne rien connaître à la mode et, pourtant, en chemise à col Lavallière sous une veste en cuir noir griffées Chanel portées sur un jean, elle démontre une vraie élégance naturelle. Et affiche, avec désinvolture, une allure très parisienne. Encombrée par un rhume, sa voix est encore plus grave que d’habitude. De son sac Luxury, elle sort un paquet de cigarettes. Le casque de son scooter à portée de main. D’un ton assuré et juste, elle parle de ses projets cinématographiques, de son année d’hypokhâgne ( NDLR : première année de préparation au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure en France), de sa rencontre avec Karl Lagerfeld, de ses parents aussi qui lui ont appris à ne jamais dissocier le corps de l’esprit.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes l’une des égéries de Chanel depuis 2002. Comment définiriez-vous l’allure Chanel ?

Anna Mouglalis : Je pense qu’il s’agit de transgression. Chez Chanel, on ne m’a pas demandé d’être une image mais bien d’incarner un esprit. Je suis restée libre. La rencontre avec Karl Lagerfeld a été précieuse, c’est quelqu’un qui m’a transmis des choses essentielles.

Que vous a-t-il transmis ?

C’est un être doté de beaucoup d’intuition. Un érudit comme je n’en ai jamais rencontré. J’avais fait un peu de mannequinat quand j’étais étudiante mais je le faisais comme une touriste. Je me disais toujours :  » Le photographe va se rendre compte que je ne suis pas mannequin, que je ne suis pas jolie.  » Avec Karl, il n’a jamais été question de cette problématique. Il ne fait pas dans le joli. On n’est pas belle ou moche, on est là ou pas. C’est exactement comme au cinéma. Si on est aliénée par le fait d’être belle, alors on est absente. Karl m’a libérée de cela. C’est important d’être regardée par quelqu’un qui est vraiment incarné, vraiment inspiré. Il m’a offert cette reconnaissance. Avec lui, j’ai appris que j’avais davantage besoin de reconnaître que d’être reconnue.

Qu’aimez-vous chez Chanel ?

Vous savez, je ne connais rien à la mode, mais j’aime le beau. Et puis, c’est une maison chargée d’histoire. Karl joue avec les codes. Il propose des robes qui sont portées au lieu de porter les filles. Il y a une sensualité dans ces matières incroyables, dans le tombé des vêtements.

Parmi les précédentes égéries de Chanel, quelle est celle dont vous vous sentez la plus proche ? Inès de la Fressange peut-être ?

Vous croyez ? Je ne sais pas, je ne la connais pas personnellement. Je crois qu’il y a un esprit de transgression chez chacune d’entre elles.

Comment choisissez-vous vos vêtements ?

Aujourd’hui, je suis en total look Chanel sauf le jean. Je me tourne naturellement plutôt vers les classiques de la marque. J’aime les blouses, les tailleurs, les choses intemporelles. Le côté daté de la mode, ça ne me va pas.

Quelle est, selon vous, la définition de l’élégance ?

C’est une façon d’être avec les autres. Evidemment, ça se traduit par les vêtements qui racontent énormément de choses sur une personne, mais pour moi l’élégance, c’est plutôt une posture.

Quelles sont les femmes que vous admirez ?

Je ne suis pas du genre fan. J’aime les actrices du néoréalisme italien, Sophia Loren, Silvana Mangano ainsi que celles des épopées hollywoodiennes comme Ava Gardner, Greta Garbo. Et chez les Françaises, j’apprécie Delphine Seyrig, Fanny Ardant et Jeanne Moreau évidemment ainsi que les réalisateurs avec qui elle a eu la chance de travailler.

Jeanne Moreau avec qui vous partagez le même timbre de voix…

La différence, c’est que, Jeanne Moreau, elle n’a eu cette voix-là qu’à 50 ans ( rires) ! J’ai la voix grave depuis que je suis toute petite. Je me souviens que mes copines de classe me demandaient d’appeler chez elles en me faisant passer pour ma mère. Quand je suis entrée au Conservatoire, on voulait que je me fasse opérer. On me disait que ma voix ne correspondait pas à mon physique, qu’il fallait la  » remonter « . Heureusement, je ne l’ai pas fait. J’allais à des castings, et dès que j’ouvrais la bouche, on me remerciait. Evidemment, je ne pouvais pas jouer les jeunes premières ! Seul Chabrol a eu cette audace. Ce décalage l’a séduit. Maintenant, on me propose des rôles par rapport à ma voix. Ma voix, c’est moi, je ne me pose même pas la question de savoir si je l’aime ou pas.

Cette voix a aussi inspiré le nouveau parfum Allure Sensuelle de Chanel…

C’est quelque chose de magique. Un parfum qui traduit ma voix. On retrouve le côté oriental, une gravité, une profondeur, c’est très troublant. C’est un cadeau immense. On ne peut pas parler de l’odeur avec des mots, c’est comme la musique.

A ce propos, songez-vous à une carrière musicale ?

J’ai chanté une chanson avec Georges Moustaki. C’était pour le générique du film  » Le Mécano de la  » General  »  » de Buster Keaton, un film réalisé en 1926 et ressorti en 2004. J’ai d’autres projets, mais je prends mon temps. J’aime trop la musique pour murmurer dans un micro. Je ne pourrais pas faire quelque chose tant que je ne me sens pas plus à l’aise. Alors, en ce moment, je m’exerce…

Vous incarnez Simone de Beauvoir dans un téléfilm prochainement diffusé sur France 3 et Arte. Pas trop intimidant comme personnage ?

Dans  » Les Amants du Flore « , je joue Simone de Beauvoir aux côtés de Lorant Deutsch qui, lui, incarne Sartre. Il s’agit des années de jeunesse du couple mythique, depuis l’agrégation jusqu’à la parution de l’ouvrage  » Le Deuxième Sexe « . Savoir si c’est intimidant ou pas ? Je ne tombe pas dans ces méandres psychologiques. J’essaie autant que possible de me libérer du jugement.

Vous comptez aussi une importante actualité cinématographique en Italie…

J’ai tourné  » Romanzo criminale  » avec Michele Placido. C’est un film où l’on retrouve tous les acteurs de la jeune garde italienne. J’ai également joué dans  » Mare Nero  » avec Roberta Torre que j’avais voulu rencontrer après avoir vu son magnifique film  » Angela  » qui se passe à Palerme et qui raconte la mafia vue par une femme. J’aimerais bien retravailler avec cette réalisatrice. Depuis  » Le Prix du désir  » (2004) de Roberto Ando avec Daniel Auteuil, un film qui a connu plus de succès en Italie qu’en France, je reçois beaucoup de scénarios de la part de réalisateurs italiens. J’ai également tourné deux films en Grèce qui ne sont pas encore sortis.

Vous êtes née d’un accouchement sans douleur, d’une maman masseuse de shiatsu et d’un papa acupuncteur qui a accompagné votre naissance. C’est une belle façon d’entrer dans la vie…

C’est vrai que c’était la première fois qu’un accouchement dans un hôpital était accompagné d’un acupuncteur. C’était il y a 27 ans ! Maintenant beaucoup de services, en cardiologie notamment, sollicitent les acupuncteurs. On fait également appel à eux pour les anesthésies. Quand j’étais petite, ma mère me réveillait en me massant…

Avez-vous intégré la médecine douce dans votre vie ?

Oui, complètement. C’est une éducation magnifique que m’ont transmise mes parents. En acupuncture, on envisage la maladie comme un dégagement. Du coup, on l’écoute et on l’accompagne. C’est pour cette raison que l’on ne prend pas de médicaments. La médecine occidentale, c’est super, d’ailleurs, mon père est aussi médecin, mais on instrumentalise trop le corps, on crée une peur face à la maladie. Mes parents m’ont transmis une grande liberté par rapport à mon corps.

Vos parents vous ont transmis aussi des origines greco-bretonnes…

Mon père est d’origine grecque et ma mère est bretonne, mais je suis née dans le Var à Fréjus. Tout le monde croit que je suis née à Nantes, mais je suis en réalité une fille du Sud. D’ailleurs, j’éprouve un attachement au Sud, je suis très sensible aux odeurs et à la lumière.

Après le lycée, vous avez fait une année d’hypokhâgne…

Une année que je n’ai même pas terminée. Cela m’intéressait de voir comment on transmettait le savoir. J’avais besoin de le faire pour acquérir une méthode de travail. Jusqu’au bac, tout avait été facile. Finalement, j’ai été déçue par cet enseignement. Il n’y a pas vraiment de programme, on touche à toutes les matières, c’est trop diversifié. Il y avait des choses auxquelles je n’avais pas envie de m’intéresser. En plus, je travaillais en même temps ce qui est incompatible avec une hypokhâgne. A l’époque, j’avais une énergie débordante que je cultive d’ailleurs et je n’aimais pas cet acharnement dans le travail qui éloigne complètement le corps. Je trouvais que les étudiants avaient l’£il éteint. Bref, ce n’était pas pour moi.

Puis vous avez opté pour le Conservatoire d’art dramatique et vous avez tourné dans des films d’auteur…

Je continue à faire du théâtre en parallèle. Mais vous savez, tout est film d’auteur. Scorsese aussi, c’est un auteur.

Quel est votre meilleur souvenir au cinéma ?

Difficile de vous répondre. Je me sens novice à chaque fois. Je n’ai pas d’avis. Mais j’ai adoré tourner  » La Vie nouvelle  » de Philippe Grandieux pour son anti-académisme. Il y avait une certaine démesure que j’appréciais. Le réalisateur avait émis le souhait de rencontrer Karl Lagerfeld et pendant toute la durée de la rencontre, Karl dessinait. A la fin de la discussion, il a tendu les croquis à Philippe Grandieux et a dit :  » Voilà, ce sont les costumes d’Anna.  » C’était incroyable, des vêtements taillés sur mesure pour une petite production en Bulgarie. Sur le tournage aussi, l’ambiance était géniale, le scénario se réécrivait au jour le jour. On tournait deux à trois heures par jour seulement. Alors que normalement dans le milieu du cinéma, il y a un côté un peu laborieux. Beaucoup de gens culpabilisent car ils se disent que ce n’est pas grand-chose, que ce n’est pas un vrai métier. Du coup, on nous oblige à nous lever très tôt dans l’idée qu’il faut souffrir pour contrebalancer le plaisir et le luxe du  » pas nécessaire « , du  » pas productif « . Et pourtant, c’est immense.

(1) Sortie prévue en Belgique

le 26 avril prochain.

Propos recueillis par Agnès Trémoulet

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