Avec Sur les épaules de Darwin, son émission culte sur France Inter, Jean Claude Ameisen hisse la radio vers les sommets du service public. Une salutaire bouffée d’intelligence hebdomadaire.

« Sur les épaules de Darwin, sur les épaules des géants. Se tenir sur les épaules des géants et voir plus loin. Voir dans l’invisible, à travers l’espace et à travers le temps.  » Ce mantra récurrent, empli d’une douce vibration, est attendu avec ferveur chaque samedi matin par de nombreux auditeurs (*). Quelques mots qui annoncent les premiers pas d’un  » voyage radiophonique dans l’inconnu, déroulé semaine après semaine, à travers les splendeurs de l’Univers « . Suspendue à la diction magnétique de Jean Claude Ameisen – Fabienne, sa femme, dit qu’il  » parle poème  » -, l’oreille suit la lente saga du monde déployée de manière inédite au fil des lectures scientifiques, des extases littéraires et des émois esthétiques de ce passionnant médecin et chercheur né à New York en 1951. Sans jamais trébucher sur le texte mais en répétant parfois certains débuts de phrase pour mieux souligner les temps forts, Jean Claude Ameisen raconte l’histoire du vivant. Sur les épaules de Darwin est une parenthèse qui relève du miracle. Loin de l’infobésité et de la prolifération de l’anecdotique, celui qui est devenu président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), en France, en novembre dernier, aborde des thématiques aussi essentielles que  » les battements du temps « ,  » l’étoffe des rêves « ,  » le lien qui nous rattache aux autres « ,  » la nostalgie de la lumière « … Le tout en passant avec aisance d’un récit à un autre : l’incroyable voyage à travers les méridiens du Traquet motteux, petit passereau qui parcourt des milliers de kilomètres ; les étonnantes métamorphoses de la Ramlibacter tataouinensis, bactérie terrestre témoignant de la capacité de la vie à conquérir la moindre anfractuosité ; les télescopes du Chili et leur aptitude à sonder dans le même temps le ciel et nos origines…

Travaillé par la question du rôle des phénomènes d’autodestruction cellulaire, rien ne prédisposait ce professeur d’immunologie à l’Université Paris Diderot à passer sur les ondes. C’est une lecture silencieuse qui en a décidé. Celle de Dans la lumière et les ombres (Point Sciences), l’un de ses nombreux ouvrages, par Philippe Val, le directeur de France Inter.  » Philippe Val m’a proposé d’animer une émission hebdomadaire en me laissant entièrement libre de sa conception. J’ai accepté parce qu’il me paraissait intéressant de communiquer à un grand nombre de personnes ce que je partageais dans un cadre plus restreint de mes conférences, livres, articles et conversations.  » Si, à l’origine, le directeur du Centre d’Etudes du Vivant se laissait aller à l’improvisation, il écrit désormais le texte de ses émissions  » dans un style proche de la langue des contes « .

Son modèle ? Le De Natura Rerum, le long poème scientifique de Lucrèce qui mêle  » émotion et raison  » car, tout comme l’auteur latin, Jean Claude Ameisen entend  » faire percevoir que ressentir permet de mieux comprendre, et que comprendre permet de mieux ressentir…  » Loin d’une vision impérialiste de la science, ce qui frappe le plus chez lui, c’est l’humilité contemplative et la profondeur éthique qui sous-tendent le discours.  » Il est possible que l’histoire de ma famille – le désastre de la Shoah qui a emporté nos proches, et la découverte, à l’âge de 20 ans, que mon père avait eu une première femme qui avait été assassinée à Auschwitz, avant de rencontrer celle qui est devenue ma mère, et qui avait survécu à Auschwitz – a ancré en moi l’idée que le passé est à jamais inconnaissable, et, comme l’a dit le physicien Richard Feynman, que  » tout ce qui n’est pas entouré d’incertitude ne peut pas être la vérité « .

(*) Sur les épaules de Darwin, France Inter, le samedi de 11 heures à midi.

PAR MICHEL VERLINDEN

 » Le passé est à jamais inconnaissable.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content