Insoumis, débrouillard et polyvalent, François Gérard affiche le parcours et le profil type d’un chef issu de la génération Y. Un vrai créatif, à suivre de très près, qui officie aux Fruits de la Passion à Thorembais-les-Béguines.

« Regardez-moi ça… mais regardez comme elle est belle.  » François Gérard est en pamoison devant sa  » nouvelle  » cuisinière. Alors que l’on s’attend à trouver des fourneaux dernier cri aux chromes éblouissants, l’objet du culte en question ne peut dissimuler qu’il n’en est pas à sa première vie. Tout fier, le chef le regarde amoureusement, l’effleure même du bout des doigts.  » C’est une Rosières, une bonne marque française. Il a fallu un peu la retaper mais elle fonctionne parfaitement. En plus, il y a une plaque « coup de feu », jusqu’ici j’ai dû faire sans… quelle galère ! « 

Recyclage et bricolage, deux mamelles de l’approche culinaire de ce Yer qui a tout du chef post-crise. À 30 ans, François Gérard est l’enfant d’une génération qui aime tracer sa route sans qu’on lui dise ce qu’elle doit faire. Cette voie, il ne cache pas qu’il a eu des difficultés à la trouver.  » J’ai commencé la cuisine très tard, c’était tout sauf une révélation. Après des études peu fructueuses, il a fallu que je me décide pour un métier. Je l’ai fait par élimination sur un site Internet. Pas plombier, pas mécanicien, pas menuisier… il restait : cuisinier. Le premier jour de formation a été désastreux, je me suis dit « jamais ». Aujourd’hui, c’est devenu une passion. « 

À la fin d’un stage, il a alors 22 ans, il est engagé comme commis à l’Air du Temps, le restaurant de Sang-Hoon Degeimbre. Il y reste trois ans et demi.  » J’ai quitté l’adresse au moment où deux étoiles lui ont été attribuées, j’étais devenu second. J’ai vécu la starification de Sang-Hoon. Ça a été une expérience fantastique mais il y avait trop de pression. Quand des designers parisiens se sont mis à dessiner des plats, j’ai pensé qu’il était temps de partir. Ce n’est pas dans ma nature de sacrifier ma vie de famille à mon travail. « 

Fort d’un savoir-faire accumulé au contact de l’un des surdoués belges de la gastronomie, François Gérard tâtonne.  » J’ai tenté plusieurs projets, une chèvrerie, chef à domicile… rien ne m’a vraiment convaincu. J’avais deux certitudes qui m’ont aidé à faire des choix : le goût pour la créativité et le refus d’une cuisine bridée par le manque de décontraction dans les enseignes gastronomique.  » C’est alors que le hasard – et sans doute la nécessité – place Vincent Damien, caviste déjanté et inlassable arpenteur de terroirs, sur son chemin.  » Quand Vincent m’a proposé de faire rimer vins fous et spirituels avec une cuisine conviviale et pas banale, je n’ai pas hésité une seconde. « 

ENTREZ LIBRES !

Le mot d’ordre est cloué à même la porte de Fruits de la Passion, adresse mi-caviste, mi-restaurant.  » Entrez libres  » : avis aux pointilleux du Grevisse, nulle faute d’orthographe dans cette profession de foi.  » La liberté est l’essence même de notre conception de la restauration et du commerce des vins. Vincent ne travaille qu’avec les vignerons qu’il admire et moi je bosse totalement seul et à l’instinct. Raison pour laquelle, il n’y a pas de carte mais un tableau noir. Je peux signer une préparation complexe en guise de plat du jour… le lendemain, m’éclater avec une andouillette-frites et le surlendemain servir une moutarde au siphon avec un stoemp-saucisse. « 

François Gérard fait également passer son refus du système par une défense et illustration de la gratuité au quotidien.  » Chaque semaine, je pars à la cueillette, je plante également dans les potagers de mes voisins… Ce contact sans intermédiaire avec la nature m’inspire, me régénère. Le végétal occupe une place importante dans ma cuisine.  » Ces cueillettes sauvages – il a toujours une serpe sur lui – alimentent très souvent ses fameuses  » eaux d’accueil  » – façon macérât de chèvrefeuille ou élixir du Suédois – qu’il suggère aux convives en guise de prise de contact.  » Ces préparations sont idéales pour faire le plein de santé… j’ai appris cela à L’Air du Temps. Je dois avouer que cela reste une influence majeure pour moi-même si je me force à l’oublier dans le même temps. Quand je cuisine, j’ai en permanence Sang-Hoon au-dessus de moi, j’ai intériorisé sa voix. « 

Cette grande liberté est assortie d’un prix à payer.  » Comme je travaille absolument seul, je passe la moitié de mon temps à nettoyer, même les toilettes… C’est l’envers du décor.  » Idem pour les fournisseurs. François Gérard met un point d’honneur à £uvrer  » d’humain à humain « . Du coup, c’est lui qui vient à eux vu que  » en l’absence de réfrigérateur les quantités commandées sont souvent trop peu significatives « . L’avantage ?  » C’est du circuit super court, parfois des légumes encore en terre à 6 heures du matin sont dans l’assiette à midi. « 

Le chef originaire de Gembloux possède un réseau de fidèles : Vincent Cantaert pour ses légumes et ses herbes fraîches, Stéphane Marchand pour ses viandes – entre autres une extraordinaire araignée de b£uf belge -, ou Hélène et Jordan Godfriaux pour leur porc fermier. Dans l’assiette ? Dos d’aiglefin à l’encre de seiche beurre blanc à l’algue nori et vanille, joue de veau confite aux fraises de Glimes ; poulet fermier bio farci à l’oseille crème au sherry manzanilla… autant de créations qui défrisent la proximité. Animé par ce concept d’une grande honnêteté, le chef de Fruits de la Passion réalise un boulot extraordinaire qu’il n’est possible d’apprécier que pendant les trois jours d’ouverture hebdomadaire du restaurant. Frustrant mais crucial et, surtout, cohérent.

Fruits de la Passion, 6, chaussée de Charleroi, à 1360 Thorembais-les-Béguines. Tél. : 010 88 08 06. www.fruitsdelapassion.be

PAR MICHEL VERLINDEN

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