Quarante ans après mai 68, Valérie Colin-Simard dresse un état des lieux et pose une question pertinente : et si le féminisme n’avait apporté aux femmes que le droit d’être des hommes ? L’auteur a confié son ambition à Weekend : proposer un nouveau féminisme pour une nouvelle humanité.

« Le féminisme était en lutte avec l’homme. Le féminin se fera avec lui.  » C’est un des enseignements que propose Valérie Colin- Simard, dans son sixième livre, Quand les femmes s’éveilleront (*). Ancienne journaliste et psychothérapeute, l’auteur démontre combien les valeurs féminines – saluées aujourd’hui uniquement à propos des hommes qui les revendiquent – sont vitales à l’équilibre physique et psychique de chacun.

Fruit de vingt années de travail, synthèse des témoignages de ses patients et de sa propre expérience, l’ouvrage s’ouvre sur un constat : en quarante ans, les femmes ont effectivement réussi à s’imposer dans un monde d’hommes, mais elles l’ont fait en mettant de côté leurs propres valeurs. Ce rejet du féminin, Valérie Colin-Simard l’a d’abord vécu à travers sa maman, féministe de la première heure.  » Elle regardait avec la plus grande condescendance ses amies femmes au foyer, écrit la psychothérapeute. Elle était passée de l’autre côté du miroir, elle se sentait supérieure, elle avait rejoint le clan des hommes. « 

La mère a ainsi transmis tout naturellement à la fille son mépris de ce qui, à l’intérieur d’elle-même, ressemblait de près ou de loin à une femme. Aujourd’hui, alors que les femmes continuent à vivre dans un monde dominé par les seules valeurs viriles, Valérie Colin-Simard veut réhabiliter les valeurs du féminin pour réintroduire un peu d’humanité tant dans la sphère professionnelle que privée.

Weekend Le Vif/L’Express : quarante ans après Mai 68, peut-on encore parler de féminisme ?

Valérie Colin-Simard : Même si le principe selon lequel la femme est l’égal de l’homme ne peut plus être remis en question, il est bon que des féministes continuent de se battre pour qu’il soit appliqué. En ce qui me concerne, je parlerais plutôt d’un nouveau féminisme. La femme a prouvé qu’elle était capable de faire aussi bien que les hommes, si ce n’est parfois mieux. Il est temps maintenant d’enclencher la vitesse suivante et de réhabiliter aussi les valeurs du féminin, qui restent toujours méprisées. Depuis quarante ans, nous les femmes avons intériorisé bien sagement les valeurs masculines d’efficacité, de productivité, d’utilité. Toutes ces valeurs sont bonnes, je suis la première à le dire. Le problème, c’est que ce sont les seules aujourd’hui acceptables et véritablement reconnues. Résultat : nous vivons dans une société de plus en plus déshumanisée.

Comment en est-on arrivé là ?

Pour nous imposer dans le monde des hommes, nous avons dû, dans un premier temps, accepter leurs règles du jeu. Nous avons intériorisé une grille de lecture du monde dans laquelle seules comptent les valeurs du masculin. Dans la foulée, nous avons rejeté et méprisé, comme le faisaient auparavant les hommes, les valeurs du féminin : notre humanité, nos émotions, notre sensibilitéà Notre créativité. Des mots comme dépendance, vulnérabilité, passivité ou même douceur sont devenus des insultes. Et pourtant, ce sont des valeurs tellement puissantes. Je pense, par exemple, à une femme chef d’entreprise qui ne comprenait pas pourquoi elle n’était pas obéie par ses employés. Lorsqu’elle a osé leur dire :  » Je suis inquiète pour la survie de l’entreprise et j’ai besoin de votre soutien « , comme par magie, tout le monde s’est mis à coopérer. Nous avons été obligées de prouver aux hommes que nous pouvions faire aussi bien qu’eux. Beaucoup de femmes aujourd’hui sont encore dans cette dynamique. Elles en font dix fois plus que les hommes et se justifient en permanence d’être des femmes. La plupart d’entre elles sont les dernières à dire ce qu’elles ressentent ou elles attendent la toute dernière extrémité pour le faire. Alors, tout leur mal-être s’exprime d’un coup, sous forme d’explosion. Pour moi, il s’agit d’ailleurs là de la racine du harcèlement moral. Si vous êtes mon patron, que vous me parlez mal et que je ne m’autorise pas à vous dire  » cela me blesse « , il n’y a aucune raison que vous vous arrêtiez de le faire. Il est indispensable d’apprendre à dire ce que nous ressentons, c’est ainsi que nous posons nos limites. Par ailleurs, toujours dans la lancée féministe, nombreuses sont celles qui se croient aujourd’hui obligées de s’en sortir seules et qui s’interdisent d’aller chercher dans leur entourage ou auprès d’un supérieur hiérarchique un soutien pourtant bien légitime.

Qu’est-ce qui vous a menée vers ce constat ?

D’abord le peu de valeur que se donnent des femmes, même brillantes professionnellement. C’est ce que je vois autour de moi et dans le secret de mon cabinet. Et ce constat est confirmé par le taux de suicides dans le monde du travail, par le nombre de cas de harcèlement moral, d’arrêts de travail pour maladie. Les chiffres confortent mon analyse.

Vous défendez les valeurs du féminin. Comment les définissez-vous ?

Si physiquement, nous sommes tous homme ou femme, psychiquement, nous sommes tous homme et femme à la fois. Le féminin nous concerne tous. Les principes du masculin sont de l’ordre de la loi, de l’esprit, la conscience, qui sont des valeurs très belles et nécessaires. Mais si notre esprit est complètement coupé de notre corps et de notre âme, nous sommes déshumanisés. C’est pour ça que les valeurs du féminin – l’émotion, la créativité, l’âme, le corps, le lien, la sensibilité – sont si essentielles. Ce qu’il faut, c’est trouver un juste milieu entre ces deux principes de notre être pour éviter, si l’un est plus exacerbé que l’autre, d’aller tout droit vers le déséquilibre psychique, voire même physique aux conséquences parfois graves. Notre repère, c’est le bien-être, c’est se sentir bien, juste, dans la fluidité. Il est par exemple aussi important de savoir recevoir que de savoir donner : savoir recevoir est typiquement féminin et savoir donner est un symbole du masculin. A tout instant, nous avons tous besoin de donner et de recevoir, d’être à la fois actif et de nous ressourcer, d’être puissant et vulnérable. C’est notre réalité et seul le contact avec cette réalité peut nous donner une véritable force. Si nous ne sommes conscients que d’un seul de ces deux pôles, nous sommes dans l’erreur. Cela peut être le signe d’un déséquilibre, et la réhabilitation du féminin peut être un des moyens de retrouver plus de sérénité.

Pourquoi est-il si important de réintroduire les valeurs du féminin ?

Nous avons à choisir le monde que l’on veut laisser à nos enfants. Dans le monde du travail, les valeurs du masculin sont parfois poussées à l’extrême tandis que les valeurs féminines sont complètement niées. Et quand la rentabilité et la productivité sont les seules valeurs qui comptent, l’être humain devient un robot et un objet de consommation. Est-ce que nous voulons laisser à nos enfants ce type de valeurs ? Nous sommes tous aujourd’hui obligés d’être homme et femme à la fois et nous avons besoin de réconcilier ces deux parties de nous-mêmes. C’est à cette seule condition que nous pourrons sortir de la guerre des sexes, nouer des relations harmonieuses et retrouver notre humanité.

Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs ?

Comprendre l’importance vitale et essentielle des valeurs du féminin. Le monde du management est en train de prendre conscience de cette réalité. Il s’aperçoit que les valeurs du féminin sont rentables. De plus en plus de fonds d’investissement misent sur des entreprises qui prennent en compte cette dimension. De même, nous avons à redécouvrir la puissance qui se cache derrière le monde de nos émotions, notre vulnérabilité, notre sensibilité, nos liens aux autres. Ce que nous sommes est aussi important que ce que nous avons. Oser le féminin, c’est oser être soi. C’est oser la créativité. Dans le monde dans lequel nous vivons, retrouver notre créativité est devenu une nécessité. Il faut agir maintenant. Puisse ce livre déculpabiliser les femmes d’être des femmes.

(*) Quand les femmes s’éveilleront , par Valérie Colin-Simard Albin Michel, 2008, 304 pages.

Internet : www.valeriecolin-simard.com.

Propos recueillis par Sophie Marlet

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