Désormais, on ne passe plus au jardin ou sur la terrasse. On y vit. Avec tout le confort moderne. On met le nez dehors par tous les temps. Et à tout prix. Dans des cabanes ou des camping-cars dernier cri. Mise au vert stylée garantie.

Comme beaucoup d’Américains installés loin des mégapoles, Diane et Larry ont une double vie. Pas du genre de celle des héros névrosés de la série  » Desperate Housewives « . Juste  » indoor  » (dedans) quand il le faut bien,  » outdoor  » (dehors) dès que le mercure grimpe un brin. Sur le  » deck  » – un ponton de bois partiellement couvert qui occupe une bonne part de leur jardin rempli de fleurs et d’herbes aromatiques – trône un barbecue au gaz format XXL. Dans l’outdoor living room, où l’on trouve – bien sûr… – un téléviseur, feu ouvert et lampe au gaz réchauffent les fins de soirées un peu trop frisquettes. Ici, pas de douche, ni de jacuzzi d’extérieur – il y en a un chez les voisins – mais en mezzanine de ce préau tout confort, une véritable chambre à coucher dans laquelle ils passent toutes leurs nuits dès le mois de mai quand ils ne partent pas camper dans leur  » RV  » – pour Recreation Vehicule -, un mobilhome customisé aussi craquant qu’une maison de poupée.

Outre-Atlantique, la tendance est loin d’être anecdotique si l’on en croit le très oxygéné magazine  » Outside « , spécialisé, comme son nom l’indique, dans l’art de vivre à l’extérieur : en moyenne, les Américains dépensent plus de 200 milliards de dollars (157 milliards d’euros) chaque année, pour rénover leur intérieur. Et un bon tiers de ce montant est affecté à ce qu’ils appellent  » l’outdoor room « , cet espace lounge élégant, qu’ils équipent de grils dignes des meilleurs restaurants, de douches ou de bains à bulles, d’équipements hi-fi waterproof et de meubles de jardin design (1).

En Europe aussi, depuis quelques années, et en Belgique en particulier, l’outdoor living est désormais bien plus qu’un phénomène saisonnier. C’est un véritable style de vie.  » La prise de conscience écologique touche aujourd’hui tous les milieux, explique Elisabeth Leriche, directrice du bureau de style éponyme. Le retour à la nature est quasi obligatoire. Les citadins ont besoin plus particulièrement de remettre du vert dans la ville. Tout le monde veut désormais son petit coin de verdure. Quelques pots de fleurs sur un bout de terrasse ou un coin de balcon suffisent déjà à faire illusion.  » Le jardin est de plus en plus considéré comme une extension du salon, de la cuisine et de la salle de bains, confirme l’enquête 2006 réalisée par la Fedis (Fédération belge des entreprises de distribution) auprès de ses membres du secteur dit du  » bricolage « . Désormais, tout ce qu’on trouve à l’intérieur doit également se retrouver à l’extérieur. Côté meubles de jardin, la préférence est donnée aux combinaisons de différents matériaux : du bois toujours, mais mêlé à de l’aluminium, du plastique ou du granit.  »

En moyenne, le budget consacré par les Belges à ce poste est de 1 000 euros. Mais il peut s’envoler bien au-delà, surtout chez les bourgeois des villes en mal de retour à la terre. Dans les maisons de ces  » rurbains « , comme les ont baptisés les bureaux de tendance, le vert bourgeonne sur les tissus, les murs, la vaisselle. Le pique-nique, version chic, est devenu le nouvel art de recevoir. Le barbecue est passé au gaz –  » c’est nettement plus confortable à l’usage et l’on ne perd rien à l’ambiance « , souligne-t-on chez le fabricant américain Weber. Le champagne se sirote à la paille – en argent, signée Christofle -, la sardine assaisonnée de condiments que l’on a fait pousser soi-même dans des vasques élégantes estampillées Secrets du Potager se grignote dans un service Kenzo en porcelaine fleurie. Et si la vaisselle est en plastique, elle sera griffée Philippe Starck. Oubliés le pouf en rotin et la table en plastique vert. Désormais, l’équipement outdoor porte la signature de designers comme Arne Quinze, Patricia Urquiola, Richard Frinier, Eoos ou Danny Venlet. De nouvelles marques – comme la jeune société belge Some Furniture, ou l’allemand Viteo – rivalisent avec les grands noms du secteur de l’ameublement comme B&B Italia qui propose aussi sa ligne d’extérieur.

 » Notre regard sur le jardin est en train d’évoluer, souligne Jos Peeters, gérant de Donum, le lifestore de luxe anversois. La tendance actuelle est de le considérer comme un lieu où l’on habite et où l’on vit. Jardin et terrasse deviennent des pièces extérieures, des espaces à part entière, avec leur propre ambiance, où l’on peut s’asseoir, prendre le soleil, cuisiner, manger, se détendre et même travailler. C’est aussi confortable qu’à l’intérieur, grâce à des meubles et accessoires à l’esthétique soignée.  »

Dans la cour intérieure de l’élégante boutique qui se trouve à deux pas du Meir, à Anvers, les derniers modèles de cuisine d’extérieur Outstanding, dont l’évier se raccorde directement au tuyau d’arrosage (comptez 4 800 euros pour le modèle au gaz), voisinent avec les salons de jardin Dedon en fibres de polyéthylène tressés à la main par des artisans philippins (comptez 4 500 euros le cinq pièces).  » Nos meubles ont une âme, assure Bobby Dekeyser, le fondateur de l’entreprise allemande. Ils sont tellement beaux, tant du point de vue du design, de l’artisanat que des matières, que le simple fait de les regarder est déjà un plaisir.  »

Mais l’été sous nos climats reste une saison bien capricieuse : les plus nantis – ou les plus passionnés – n’hésitent pas à investir dans un  » abri de jardin  » grand luxe, dans lequel ils pourront se réfugier les jours de grisaille.  » Certaines familles consacrent le budget vacances d’une année à l’achat d’une cabane, précise Vincent Matthys, patron de Kazanou, une société bruxelloise qui construit ces maisonnettes sur mesure (environ 5 000 euros pour un modèle de base). C’est un endroit de jeu fabuleux pour les enfants, un refuge quand il fait trop froid… ou trop chaud, une chambre d’amis aussi. Cela donne de la vie au jardin.  » Chez Bohémia, pour le même budget, Monique et Xavier Dumont construisent et équipent, sur mesure eux aussi, des roulottes de jardin  » que l’on peut déplacer chez soi au gré de ses envies « , précise Monique. C’est un peu comme faire du semi-camping à la maison.

Histoire de faire un test dans l’intimité avant de se lancer pour de bon sur les routes.  » Ce retour au nomadisme touche toutes les couches sociales, note encore Elisabeth Leriche. Derrière tout cela se cache l’envie de liberté, de ne plus avoir d’horaires, de se limiter aussi aux choses essentielles. On redécouvre aussi les joies du tourisme de proximité.  » Ce n’est sans doute pas un hasard si le cinéma français, avec  » Camping  » de Fabien Onteniente en ce moment à l’affiche, fait l’apologie des vacances populaires en collectivité. Mais gare toutefois aux fautes de goût. Notre rurbain, lui, se sera sans doute réservé un emplacement dans la prairie d’une ferme en Auvergne. Où il installera son VW Transporter grand cru (daté 1951 donc) arraché aux enchères pour quelque 50 000 euros. Avant de savourer lui aussi, comme les héros du film, sa salade de carottes râpées dans une barquette en plastique. Signée Matali Crasset.

(1) In  » Outside « , août 2005.

Carnet d’adresses en page 104.

Isabelle Willot

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