À 25 ans, il servait les stars au bar des temples de la nuit new-yorkaise. À 45, il règne sur les ventes américaines du plus prestigieux fournisseur de caviar au monde, la maison Petrossian. Son arme ? La discrétion. Zoom sur ce Belge bien ancré à Big Apple. mais qui n’a pas attrapé la grosse tête.

Michel Emery aime emmener ses interlocuteurs siroter une vodka cranberry (au jus d’airelles) au Boom Boom Room, le bar de l’hôtel Standard qui offre l’un des plus fantastiques panoramas sur Manhattan au coucher du soleil. Lui y vient en voisin. Madonna ou Lindsay Lohan, entre autres stars, lorsqu’elles sont de passage.

Avec ses petites lunettes rondes, ses costumes sobres et sa touchante timidité face aux objectifs, ce jeune papa attentionné n’appartient pas au monde des paillettes et du strass. Mais depuis qu’il a débarqué à New York, à 18 ans, pour y chercher l’aventure, il n’a cessé de le côtoyer. Sans perdre son âme. Ni sa légendaire modestie. Dans la communauté des Belges expatriés, on loue sa gentillesse et l’accueil chaleureux qu’il réserve à chaque nouveau venu. Tout autant que sa capacité à dénicher les endroits les plus in.

En 1983, après une enfance uccloise plus volontiers consacrée à la fête qu’à l’école, Michel Emery traverse l’Atlantique, les poches vides, avec l’objectif d’apprendre l’anglais. Avec aussi la dose de culot qui lui ouvrira les portes des boîtes mythiques de Manhattan. Après la case galère.  » J’ai pratiqué tous les métiers et d’abord les chantiers, dans la démolition. J’étais payé au lance-pierre. Je n’ai pas rigolé.  » La chance et les rencontres le propulsent barman dans les temples de la nuit new-yorkaise des années 80, comme le légendaire Palladium. L’époque où il brûle la vie par les deux bouts. Tutoie des monstres sacrés comme Andy Warhol –  » J’ai dû lui faire remarquer qu’il ne laissait jamais de pourboire. Après, il s’est rattrapé « à Et perd une partie de l’ouïe. Fin du New York by night, du moins pour le boulot…

L’occasion, pour ce gourmet passionné de cuisine, de faire ses classes dans les restaurants. Puis, dans les années 90, vient l’appel de la finance. Michel Emery entre comme broker chez Lehman Brothers –  » Heureusement que je n’y suis pas resté « , sourit-il, dix-huit mois après la faillite cataclysmique -, travaille comme courtier à Wall Street. Pour terminer  » au bord du burn out « . Les attentats du 11 septembre 2001 sonnent le glas de ces années dont il dit ne plus bien se souvenir.  » Je n’étais pas à Manhattan, je travaillais à Long Island. Je suis resté bloqué 24 heures à l’extérieur, sans pouvoir joindre ma femme, restée à la maison.  » Ce choc marque un tournant.  » Ce jour-là, nous avons perdu notre innocence.  » Nous ?  » Oui, nous, les New-Yorkais. « 

Une petite annonce lui remonte le moral. Michel Emery entre chez Petrossian, début 2002, pour distribuer ses produits de bouche aux restaurateurs.  » Au bas de l’échelle.  » Il deviendra le directeur ventes et achats pour l’Amérique du Nord du fournisseur de caviar le plus réputé au monde, né à Paris dans les années 20. Son job ? Sélectionner les meilleurs caviars pêchés dans la Caspienne (quand c’est autorisé) ou élevés aux USA, en France, en Israël, en Chine. Et les  » grader  » avant de les conditionner pour les gros clients. Comprenez : classer les précieux £ufs d’esturgeon selon le goût, la taille et la couleur des grains. A la petite cuiller. Aux Etats-Unis, la réputation de Petrossian repose sur l’infaillibilité de son jugement. Toujours pas de quoi entamer sa modestie.

Une humilité qui caractérise aussi son bureau, dissimulé au c£ur de Meatpacking District, the place to be au sud-ouest de Manhattan. Rien, en effet, n’identifie l’immeuble gris. Sur son flanc droit, une galerie flashy expose des £uvres pop art, dont des Warhol – » Dommage qu’il ne m’en ait jamais donné une.  » Le reste du bloc abrite les boutiques des papes de la mode et du design. Certains sont sûrement ses clients, sans se savoir voisins. Mais chez Petrossian, pas question de révélerun nom.  » On préfère cultiver la discrétion. « 

PHILIPPE CAMILLARA

« J’ai fait remarquer à Andy Warhol qu’il ne laissait jamais de pourboire. Après, il s’est rattrapé. »

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