Pour séduire les belles, le créateur français Jérôme Dreyfuss imagine des sacs en cuir prénommés Jacques, Billy ou Carlos. Son sens du cool à la française se décline désormais aussi à leurs pieds. Bienvenue dans son monde.

Quand on a 12 ans, qu’on s’ennuie ferme à Nancy, ville un peu grise de Lorraine, et qu’on entend son idole Serge Gainsbourg se vanter que le jour où il a eu conscience de sa laideur, il a décidé de séduire les plus belles filles du monde, cela donne forcément des idées.  » Ce mec était quand même génial ! J’ai voulu l’imiter, sauf que je ne savais pas chanter et que je n’étais pas un terrible musicien. Mon avenir dans la musique me semblant dès lors compromis, j’ai eu l’idée de concevoir des robes.  »

Le fil et l’aiguille, Jérôme Dreyfuss y a déjà touché, quelques années auparavant. Pour calmer son caractère turbulent, sa nounou espagnole lui faisait dessiner des girafes sur un tissu, qu’il devait ensuite repasser au petit point.  » J’ai vite compris que j’avais une affinité pour la couture et le vêtement.  » Le jeune ado consacre ses économies à l’achat d’un buste Stockman, dégote du tissu à gauche et à droite, et, promesse faite à soi-même oblige, se met à imaginer des tenues pour jolies demoiselles.  » Ça marchait assez bien, se marre le Français. Au collège, j’allais voir les filles pour leur dire ce que je faisais. Elles venaient à la maison pour essayer mes robes. Et l’affaire était pliée !  »

Ses parents – chef d’entreprise dans l’industrie agro-alimentaire pour lui, orthopédiste pour elle – ne tiquent pas à l’idée que leur fils entretienne une relation soutenue avec sa machine à coudre. Tout juste paniquent-ils un peu en voyant le nombre d’adolescentes défiler chez eux…  » Ils m’ont toujours autorisé à aller au bout de mes envies. Il faut dire que ma grande soeur dessinait énormément et que mon frère aîné passait son temps avec un fer à souder. Ils nous permettaient de nous épanouir à notre guise. De toute façon, on ne leur aurait pas laissé le choix !  »

Plus de vingt-cinq ans plus tard, Jérôme Dreyfuss continue de séduire ces dames, à coups de sacs à main en cuir prénommés Carlos, Tony, Lucien ou Jacques. Et, depuis quelques semaines aussi, avec une collection de chaussures, qui devrait plaire aux Parisiennes, mais pas que. Ses créations font tout autant craquer les belles inconnues en quête d’un accessoire incarnant le cool à la française que des célébrités comme Sarah Jessica Parker, Gwyneth Paltrow ou Brooke Shields, qui n’hésitent pas à acheter ses sacs et à lui déclamer par lettre tout le bien qu’elles en pensent.  » Dernièrement, j’ai reçu un très joli courrier de Mireille Darc, me disant que depuis qu’elle me connaît, elle rêve de moi. C’est super flatteur, mais cela s’arrête là. J’aime tout autant voir l’une de mes pièces portée par une fille croisée en rue. Le plus important, c’est d’offrir un produit qui plaît, fait sourire et rend la vie plus facile « , avoue celui qui écoule pas moins de 50 000 sacs par saison et affiche une augmentation régulière de 40 % de ses ventes, même en temps de crise.

BUZZ DE DÉPART

Les pieds sur terre, Jérôme Dreyfuss. Et le succès modeste. Il faut dire que le créateur en connaît un rayon en matière de gloire, lui qui a été propulsé sur le devant de la scène à 23 ans. Celui qui n’a étudié que quelques mois à l’Esmod de Paris (l’Ecole supérieure des arts et techniques de la mode) avant de se faire virer –  » je ne rentrais pas dans le moule  » -, qui a travaillé deux ans comme manutentionnaire pour John Galliano, encore inconnu ou presque, et qui a découvert les us et coutumes de la sphère fashion en bossant pour l’agence de mannequins Elite, décide de voler de ses propres ailes dès 1998, en lançant sa maison de couture-à-porter.

Pour son premier show, les dix plus belles filles du moment se proposent de défiler gratuitement, flairant déjà le buzz potentiel. Isabella Blow, rédactrice de mode du Sunday Times et découvreuse de talents comme les tops Sophie Dahl et Stella Tennant, les créateurs Hussein Chalayan et Alexander McQueen, ne cesse d’encenser ses tenues sexy et décalées. Finalement, la messe est dite. L’engouement est aussi colossal que rapide : il reçoit le prestigieux prix de l’ANDAM, son surprenant corset en ruban adhésif entre au musée des Arts décoratifs, Michael Jackson fait appel à ses services, et le jeune Parisien se met à côtoyer les monstres sacrés, Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel et Kenzo en tête.

Quatre ans plus tard, coup de blues.  » J’avais les paillettes, mais je n’avais plus la possibilité de passer du temps dans les ateliers, ni l’argent pour développer les projets qui me tenaient à coeur. Quand je voyais Michael Jackson, j’avais envie de pleurer, tellement il paraissait malheureux. Je ne voulais pas de cette vie, de cette solitude.  » Au même moment, sa femme – la créatrice française Isabel Marant – lui annonce qu’elle est enceinte. L’occasion parfaite pour tout arrêter, pour réfléchir à ce qu’il veut vraiment, histoire de dégager l’essentiel de l’accessoire.

Le créateur adulé s’imagine déjà papa au foyer. C’est sans compter sur son cerveau toujours en ébullition. Notamment à la vue des besaces de ses copines, importables.  » C’était la mode des it bags, aux logos outrageux. Elles n’en voulaient pas et se promenaient avec des modèles tout pourris, dégotés aux puces. Pour rire, j’ai lancé que j’allais leur fabriquer des sacs. Et c’est reparti comme en 40. Finalement, je ne me suis arrêté que deux jours !  »

Toujours féru de challenges, Jérôme Dreyfuss prend un morceau de cuir, le coupe et le coud… Pour un résultat plus que mitigé.  » En est sorti une espèce de chewing-gum ! Je me disais déjà que je n’allais pas y arriver, quand une amie est passée, a pris le sac et lui a donné vie.  » Par accident, le Parisien a conçu une pièce archisimple, molle et sans aucune structure, à mille lieues de ce qui se faisait à l’époque.

SANS PRÉMÉDITATION

Succès, une fois encore. Le bouche-à-oreille aidant, elles sont nombreuses à tomber sous le charme des accessoires Jérôme Dreyfuss, depuis 2002. Ceux-ci se doivent d’être confortables, épurés, légers, résistants et fonctionnels (vive les poches à gogo, la lampe de poche et le miroir glissés dans la plupart des besaces !). Les noms donnés à ces pièces font in-contestablement partie de l’opération séduction. Ici aussi, une histoire non préméditée :  » Une copine portait le sac contre sa poitrine ; je lui ai dit que j’aimerais bien être un sac à main, et l’idée est venue de leur donner des noms de garçon « , détaille le Français, ton amusé, tout sauf blasé, et ce, même s’il raconte l’anecdote pour la centième fois. Nul doute que son caractère spontané, adorable et facile à vivre se ressent dans ses collections et leur apporte ce petit supplément d’âme. Ses fans l’ont bien compris, elles qui se sont approprié son histoire et lui avouent, presque en rougissant, avoir mis fin à leur idylle avec Billy, depuis qu’elles ont fait la connaissance de Momo… Un signe distinctif, comme une marque d’affection, les surnoms étant d’ailleurs choisis dans l’entourage de Jérôme Dreyfuss, que ce soit parmi ses potes, collègues ou fils d’amis danseurs et architectes.

Au fil des saisons, la griffe grandit, en même temps que le nombre de clientes. Elle perfectionne ses procédés de fabrication, avec toujours cette attention pour la qualité. Les cuirs sont sélectionnés avec soin, proviennent de bêtes élevées en plein air et non piquées aux antibiotiques. Même réflexion du côté des tannages, qui évitent l’usage de chrome et de produits chimiques.  » Je n’ai jamais voulu que cette réflexion écologique soit un argument de vente, précise Jérôme Dreyfuss. Cela fait partie de moi.  » In-contestablement, des traces de son passé de scout et du commandement  » tu respecteras la nature « , pour celui qui aime passer ses week-ends en famille dans une cabane en bois, bâtie dans la forêt de Fontainebleau, sans eau ni électricité.

Plus de dix ans après le lancement de sa marque d’accessoires, le presque quadra continue de développer les projets qui lui tiennent à coeur. Dans sa collection automne-hiver 13-14 apparaissent quelques paires de bottes et d’escarpins. Une envie d’élargir l’univers de la griffe, un besoin de nourrir sa créativité.  » La démarche est la même, qu’importe le support. Dans le futur, qui sait si je ne deviendrai pas menuisier ou paysagiste ? A partir du moment où l’on a conscience de tout ce que l’on peut relever comme défi technique avec le simple usage de ses mains, qu’importe s’il s’agit de travailler le cuir, le bois ou les végétaux.  » Nul doute qu’il trouverait son bonheur dans cette nouvelle vie. Ses fans, beaucoup moins…

PAR CATHERINE PLEECK

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