Lou Doillon brise la malédiction des disques nuls de mannequins qui chantent mal et offre un premier album anglophone habité par des amours fissurés et une voix new-yorkaise.

La voix du disque est basse et évoque tour à tour Patti Smith, Lou Reed, voire Leonard Cohen. Les onze morceaux déroulent lentement leur gangue vénéneuse où l’amour semble d’abord être un poison potentiellement mortel. Le Places de Lou Doillon, davantage connue pour ses poses de top-modèle international et un parcours ciné-théâtre aux marges du grand public que pour son timbre chanté, réussit un disque spleen et charnel. On imagine d’ailleurs la progéniture du cinéaste Jacques Doillon et de la femme multiple Jane Birkin plutôt à Brooklyn que dans la brasserie très parisienne proche de son quartier Bastille, où elle nous accueille, sourire birkinesque, froc informe, longiligne garçonne aux cheveux auburn, mains strictement non manucurées et tee-shirt Star Wars qui, de fait, a déjà vécu quelques guerres. Sur son bras droit, est tatoué Marlowe, prénom de son fils de 10 ans, elle vient d’en avoir 30. Au menu : du Perrier et les hommes de sa vie.

ÉTIENNE DAHO

 » Un copain m’a filé une guitare acoustique dont je me suis servie deux ou trois heures par jour, comme un mantra psychologique pour réussir à survivre les mauvais films, les spectacles de théâtre très intéressants mais très durs physiquement. En l’absence d’homme, ma guitare est devenue mon compagnon… J’écrivais des chansons avec trois accords et ma mère a fini par en parler à Étienne Daho qui est venu chez moi pour me convaincre de faire un album, j’ai fini par me laisser faire. Étienne est paranoïaque et moi, méfiante, cela a constitué une joyeuse rencontre (rire) : notre seule obsession était l’honnêteté, dès que j’écrivais une chanson pour être maligne ou qu’Étienne créait des arrangements cool, on virait le morceau ! Étienne, qui a produit et arrangé l’album, a pris des risques, y compris financiers : on a voulu rejoindre le dépouillement de la musique américaine seventies à la Al Green, la soul dont Étienne est un grand fan. « 

ANTHONY VACCARELLO

 » Ah mon petit chou. Ce qui est drôle, c’est de vivre des étapes de la mode où j’ai commencé fin 90 : après Galliano, Marc Jacobs, une bande de fous furieux, très doués, mais avec sans doute plus de charisme que de talent, Anthony Vaccarello représente la lignée de ces jeunes consciencieux qui sont des putains de bosseurs, je l’ai connu quand il faisait toutes les collections dans un 15 mètres carrés chez lui et puis, il filait à côté avec son mec chez Lanvin et finissait les doigts en sang. C’est très agréable de voir quelqu’un réussir. « 

JACQUES DOILLON

 » J’ai été élevée entre la famille Birkin-Gainsbourg qui a une grande ambiguïté avec tout ce qui est public-privé, et le côté de mon père, quelqu’un d’extrêmement protestant, extrêmement fermé, extrêmement distant, qui a toujours mis en avant le travail. Une sorte de fou furieux qui me faisait bosser seize heures par jour, ce qui, plus tard, m’a menée vers Beckett ou les Lettres intimes de Maupassant, parce que cela ne demande que du travail ! Mon père a fait 33 films dont 10 au moins sont des fiertés nationales et il est à moitié mourant à Courtonne-les-Deux-Églises en Normandie, sans un rond, avec Un enfant de toi, dans lequel je joue, film tourné en 2011 qui n’a même pas de distributeur.  »

SLASH

 » Ado, j’avais un goût assumé pour des groupes de rock un peu gras (…), dont les Guns (N’Roses), j’avais 14 ans mais j’étais déjà amoureuse de Slash, j’adddddoooooore Slash, ne voir qu’un bout de sa cigarette dépasser de sa tignasse… J’ai également été amoureuse d’Eddie Vedder (chanteur de Pearl Jam), je me rappelle d’un concert dans un stade anglais où il s’était mis à chanter Jeremy, j’ai cru que je ne redescendrais jamais sur terre. J’ai rêvé d’un mariage avec Jeff Buckley dans ma salle de bains et j’aime énormément les vieux et les morts (rire). Je suis obsédée par T. Rex, et Leonard Cohen est l’homme de ma vie ! Dylan est doué parce qu’il est méchant alors que Cohen est la définition même de la bienveillance. Il parle au nom de l’homme blessé, au nom du trompeur ou de la femme blessée…  »

PIRES CONNARDS

 » Je ne tombe amoureuse que d’emmerdeurs. Ah ouais, le pire connard, il est pour moi : quand il entre dans la pièce, j’ai le c£ur qui palpite. À un moment, j’ai craqué pour une espèce de branleur qui aime le rap (rire), j’étais tellement obsédée par lui que je l’ai cherché dans les rues de Paris pendant six mois, je le voyais partout. C’est devenu tellement violent que j’avais l’impression d’être dans Vertigo, je voyais son visage partout. J’ai donc écrit I.C.U ( I see you…) et Étienne a gardé le titre en langage texto : quand je suis allée aux États-Unis voir une copine, j’ai compris que cela voulait aussi dire Intensive Care Unit, le SAMU quoi, ce qui est incroyable vu que le mec m’avait mise dans un état proche du coma éthylique (rire).  »

CD Places, chez Universal.

PAR PHILIPPE CORNET

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