Barbara Witkowska Journaliste

Les épices, les bois, les cuirs, les notes fraîches… Les fragrances masculines jouent la carte de la tradition et du classicisme. La moisson d’automne réserve toutefois quelques jolies initiatives et une vraie surprise.

Carnet d’adresses en page 122.

L a surprise, c’est le retour du luxe dans la parfumerie masculine. Le luxe, le vrai : des fragrances composées avec des matières premières triées sur le volet, des emballages et des conditionnements qui empruntent les codes de la  » haute couture  » pour hommes et une distribution ultrasélecte. Les trois nouvelles Cologne Christian Dior, signées Hedi Slimane, répondent cinq sur cinq à ces critères. Petit rappel historique.

Forte de son succès universel, la maison Dior décide de booster le département Homme et nomme Hedi Slimane à la direction artistique. Les Salons Dior Homme ouvrent leurs portes en janvier 2001. Ils expriment  » le savoir-faire, la qualité et l’esprit de la couture et du tailleur masculin « . Parallèlement, germe l’idée de traduire olfactivement ce nouvel univers très chic, très élitiste et très haut de gamme. Il a donc fallu trois années de recherches, d’études et de réflexions pour composer ces trois  » bijoux  » de la parfumerie contemporaine, fortement influencée par l’esprit chic et poudré des Eaux du xviiie siècle. La Cologne Blanche, ambrée et classique, est une  » eau de jour « . Ronde, chaude et fraîche à la fois, elle mêle le romarin, l’orange douce du Portugal, la bergamote de Calabre et la fleur d’oranger de Tunisie. En fond, un nuage de vanille et d’amande douce pour le moelleux. Du grand art. L’Eau Noire, douce et orientale, elle est une eau du soir. On frémit au premier accord très aromatique : feuilles froissées de thym blanc et sauge sclarée. A peine palpite l’odeur raffinée de lavande que déjà se glissent les notes de cèdre de Virginie et de bois de violette dans un tendre soupir de vanille Bourbon. De cet oriental très doux, on retiendra la légèreté du sillage, longtemps persistant mais jamais entêtant. Bois d’Argent, un peu mystique et très poudrée, est pourtant une  » Eau de tous les instants « . Griserie dès le départ avec un mélange d’encens du Yémen et d’iris de Toscane. Envoûtement assuré par la cargaison de patchouli d’Indonésie, de myrrhe de Somalie, de miel d’Alicante et de cuir du Sahara. Capiteux et doux, c’est un élixir de pure séduction. Les flacons sont ronds, simples et intemporels, coiffés d’un bouchon de laque noire. Ils s’offrent une seule fantaisie discrète : un plissé créé par Hedi Slimane pour Dior Homme. Ces fragrances taillées dans le rêve qui peuvent d’ailleurs être adoptés par les femmes, sont en vente dans les boutiques Dior Homme à Paris, New York, Milan et Tokyo et… dans un seul point de vente en Belgique.

Un masculin un brin féminin

Présenté comme un boisé lumineux, L’Instant de Guerlain pour Homme exploite le même concept qui a fait le succès du parfum féminin éponyme, présenté l’année dernière : la lumière. Chez la femme, un  » miel  » d’agrumes ainsi que les fleurs blanches du magnolia de Chine traversent toute la fragrance tel un laser, en apportant cette aura limpide et lumineuse, à la fois sereine et énergisante. La version masculine a été composée par deux femmes : Sylvaine Delacourte et Béatrice Piquet. Ici, le patchouli joue les vedettes. Retravaillé par les deux complices, il perd son côté sombre et dévoile une facette emplie de lumière, claire et transparente, très surprenante. Elle est toutefois virilisée avec brio, à coups de santal de mysore, de thé lapsang et de fèves de caco amer. Le flacon reprend les codes de la maison Guerlain et se caractérise par une modernité ancrée dans la tradition. Le bloc transparent a un vrai poids de verre, rythmé par la dynamique de stries sculptées. Il est surmonté d’un bouchon de bakélite. Cette résine dense et très chic, mise au point par le Belge Léo Baekeland au début du siècle dernier, fait un come-back remarqué et renoue, une fois de plus, avec un luxe certain.

L’autre version de l’Eau

Depuis toujours, Issey Miyake cultive le goût des éléments naturels et plus particulièrement de l’eau. En 1994, il a créé L’Eau d’Issey pour Homme. Vive et incisive, vêtue d’un  » costume  » tout transparent, elle annonçait la nouvelle fraîcheur pour homme. Dix ans et quelques tendances plus tard, voici L’Eau Bleue. Conformément à l’esprit du IIIe millénaire, elle est plus chaleureuse et plus généreuse. Plus douce et plus apaisante aussi. En tête s’épanouissent les incontournables agrumes, mais arrondis par une larme de résine. Dans le c£ur, on découvre un bouquet floral, si rare dans la parfumerie masculine. La vraie rose de mai et la capucine sont attisées, toutefois, par la vivacité piquante et virile du gingembre et du poivre. En final, le santal, le patchouli, quelques brins de foin et une vapeur de mousse confèrent au sillage une touche caressante et enveloppante, comme on aime. Le flacon a tous les atouts pour ne pas passer inaperçu. Sa couleur, d’abord. C’est un bleu sombre et profond qui hésite entre l’indigo, le bleu saphir et le bleu de la voûte céleste, celui que l’on peut contempler dans le désert marocain, la nuit, par exemple. Il habille avec élégance un flacon futuriste, admirablement architecturé et coiffé par un capot chrome argent. Lumineux.

Un nouvel héros de BD

Thierry Mugler est un grand amateur de bandes dessinées des années 1950, peuplées de superhéros, dotés de pouvoirs surnaturels et capables de vivre des aventures les plus fantastiques. A. Men, le premier parfum masculin mettait en scène l’un de ses héros préférés. Mi-ange, mi-démon, il brandissait son pouvoir de séduction avec un cocktail de caramel, de café, de menthe poivrée et de patchouli. Proche de Angel, son alter ego féminin, cet ambré doux avait une touche féminine incontestable. Tout change avec l’arrivée de B. Men, un nouvel héros. Exit la suavité. Place à une virilité musclée, à l’énergie et à l’audace. On ne trouve plus de notes gourmandes, mais on remarque le retour d’accords typiquement masculins, tels les bois et les épices. Le bois de séquoia, singulier et racé, est le fil rouge de la fragrance. Il est soutenu, tour à tour, par quelques zestes d’agrumes, des accents aromatiques, des touches épicées et des notes ambrées. Le résultat, tout en étant harmonieux et élégant, véhicule une idée de transgression et d’insolence, inhérente à la marque Mugler. Le flacon, conçu dans le même esprit, est une flasque bardée de zamac couleur kaki, comme transpercé par une étoile de verre rouge sang.

La classe en noir et blanc

Prêtresse d’une élégance sobre, minimaliste et intemporelle, Carolina Herrera aime puiser ses références dans l’univers de l’art contemporain et de la photographie. On retrouve les mêmes sources dans ses créations olfactives. Si le flacon de Chic pour femme évoquait un tableau abstrait souligné de couleurs primaires, Chic for Men reflète la sophistication d’une photo en noir et blanc. Le rectangle de verre, aux angles doux et lisses, chapeauté d’un capot noir, traduit deux concepts clés : la clarté et la transparence. A l’intérieur, coule une essence pure et limpide, emplie néanmoins de profondeur. Le départ fuse dans la fraîcheur de bergamote, de mandarine et de pastèque. Le c£ur est doux, huilé et velouté avec des notes de cannelle et de poivre noir. En finale, les volutes de cèdre, de santal, de musc et d’ambre, lui donnent une âme orientale et lascive. Cuiré et charnel, ce parfum se fond dans la peau et se hume donc de très près.

Nectars torrides

La griffe japonaise de prêt-à-porter Comme des Garçons se moque de toutes les tendances et fait bande à part aussi bien dans l’univers de la mode que des parfums. Le féminin Comme des Garçons 2, sorti l’année dernière, se caractérisait par un mélange détonant, à déguster comme un alcool rare. Voici la version Man. L’écrin est toujours pareil : une drôle de flasque-galet qui ne veut pas tenir debout. Dedans, un cocktail exotique qui réunit la fumée blanche de l’encens, les fleurs de safran, la noix de muscade, le cumin, les résines de vétiver et le bois d’acajou. C’est très réussi, pas banal du tout, mais destiné à un homme plutôt jeune. Escada, fidèle à sa philosophie, joue la carte du glamour. Le flacon multifacettes bleu-violet de Magnetism est très séduisant. Quant à la fragrance, elle dégage une  » charge électrique émotionnelle « . Au menu, des accords aphrodisiaques de poivre du Brésil, de safran et de baume de Tolu sont davantage exaltés par les bois de cèdre et de santal, par le cuir et l’ambre. C’est un parfum qui met tous les sens en éveil.

Pour le plein air

A vis de grand frais pour cet automne ! Le nom de la fragrance, KenzoAir claque comme une invitation à faire un tour au bois ou au bord de la mer. Le flacon ? Il ressemble à un… courant d’air ou à une fenêtre ouverte sur le ciel. Pourtant, il s’agit bien d’un bloc de verre. Sculpté et dépoli par l’artiste Laura de Santillana, il a acquis un aspect immatériel et aérien. KenzoAir est un irrésistible vétiver… Frais, simple et léger. En tête, une concentration de bergamote, chahutée par l’anis, fuse et se déploie dans un grand souffle de fraîcheur. Il est relayé par une ambiance plus chaude et rassurante. Les notes boisées claires, des accords cédrés, ambrés et musqués sont admirablement orchestrés autour de l’huile essentielle de vétiver de Haïti. Urbain et champêtre à la fois, Trussardi Jeans se porte avec nonchalance et décontraction, comme un jeans familier et confortable. C’est une fougère fraîche et boisée, interprétée à l’italienne. Le départ pétille de notes croquantes de cédrat, de figue et de cassis. Le c£ur est juteux grâce à quelques zestes de lychee, aromatisées avec du romarin. Progressivement, l’ambiance se réchauffe avec l’entrée en scène des bois et des muscs, pour dessiner un sillage subtilement enveloppant et sensuel.

Barbara Witkowska

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