Un mètre nonante-sept centimètres de bonnes chansons, de rire fracassant et d’observations au microscope de la race humaine : c’est Saule, alias Baptiste Lalieu, montois installé à Bruxelles depuis huit ans et diplômé en théâtre. Devant un thé citron gingembre, acidulé comme son premier album talentueux enregistré avec son groupe Les Pleureurs ( » Vous êtes ici « ), Saule s’annonce nature. Comme dans les rêves doux et enfouis d’un enfant qui n’aurait pas renoncé à être sage, il chronique une drôle de  » Madame Pipi « , donne  » Le Baiser  » et danse sur  » Le Bal des timides « . Très charmant.

Weekend Le Vif/L’Express : A l’écoute de tes chansons, la formule la plus adéquate semble être  » Merveilleux poétique  » ! Il y a un peu d’imaginaire à la Tim Burton là-dedans : est-ce pour exprimer la monstruosité qui est en toi ?

Saule ( rire tonitruant): Tim Burton est mon héros et s’il est question de monstres, ce sont des monstres touchants. Le côté  » Elephant Man  » et l’humanité qui s’en dégage.

Ce disque est dégraissé au maximum : c’est un parti pris autant esthétique qu’éthique !

Je me suis rendu compte que j’étais davantage touché par la simplicité que par l’artifice et je me suis dit qu’après quelques années de rock et de surenchère, j’ai pensé qu’il ne devait y avoir aucune règle si ce n’était celle de se faire plaisir.

Le choix de ton patronyme évoque à la fois le bois et une attitude de chagrin, le saule qui pleure.

En me baladant dans un parc, j’ai vu un saule qui m’a rappelé qu’il était mon arbre préféré : il a quelque chose de très poétique qui a inspiré beaucoup d’encre. Puis il y a la connotation anglaise : soul, l’âme. Mon travail s’accompagne toujours d’une observation dans la vie de tous les jours : après avoir vu tellement de Madame Pipi dans divers endroits, je me suis dit qu’il fallait en faire une chanson et, couche par couche, j’ai accumulé dans un coin de ma tête toute une série d’images, comme celle de cette dame qui avait mis sur sa table trois rouleaux de papier chiotte et, au-dessus, la photo de chacun de ses gosses. L’association des deux était incroyable ! Je me suis mis à me demander ce qui la faisait rêver, par quoi elle était habitée…

L’idée est donc de trouver autant de grandeur dans un sujet comme celui-là, un peu  » borderline  » que dans une véritable chanson d’amour comme  » Le Baiser  » ?

Oui, ce que je préfère dans l’écriture, c’est zoomer sur des détails pour en faire le sujet central d’une histoire. L’idée d’un arbre qui parle vient de là… J’ai toujours eu l’imagination débordante : petit, avec mon frère, on créait des BD, des émissions radio, sans doute parce que je ne supportais pas de passer trois secondes sans rien faire. Le rêve a toujours fait partie de ma vie.

Le décor musical de l’enfance ?

Brel, Brassens et Gainsbourg tournaient tout le temps sur la platine de mes parents, ce qui m’a d’ailleurs amené au rejet classique de Brel à l’adolescence. Il ne fallait surtout plus m’en parler ! J’y suis revenu vers 17 ou 18 ans. Il y avait aussi les chansons italiennes du côté de ma mère, Paolo Conte, Angelo Branduardi. Sans oublier toute la culture anglo-saxonne, Jeff Buckley, les Beatles, la mélodie du chant…

Dans la chanson  » Peter Pan « , tu évoques le refus de grandir !

Oui, c’est un syndrome qui a toujours été présent chez moi et, finalement, je me rends compte que j’ai énormément de potes qui fonctionnent de cette manière-là, qui adorent aller manger des frites place Jourdan à Bruxelles ( NDLR : à  » la meilleure friterie de Belgique « ) en se disant  » Elles sont quand même connes nos femmes, elles ne comprendront jamais rien à la vie ( rires)  » alors que c’est juste un délire qu’on a envie d’entretenir. Peter Pan est toujours là…

Il sera toujours là à 45 ans ?

Je me vois comme ça ( rires) : je suis parfaitement conscient qu’on a des responsabilités, des obligations, qu’on doit grandir et qu’on peut avoir des enfants tout en restant jeune dans sa tête. Je ne veux pas perdre l’enfant qui est au fond de moi. C’est le rôle de la musique : elle conserve cette désinhibition, le fait de vouloir être pirate dans la cour de récréation.

Dans  » Le Bal des timides « , il est question d’alcool  » comme lubrifiant social « …

Oui, c’est très vite un réflexe de se dire  » On va se bourrer la gueule pour être nous-mêmes « , les bleusailles, les baptêmes, les soirées… C’est un phénomène courant dont je ne m’exclus pas : entre boire deux verres et devoir ingurgiter ses trois whisky-coca pour être détendu, il y a peut-être l’alcoolisme.

Le retour de la langue française comme outil de chanson, plutôt qu’un mauvais anglais sans imagination, est un phénomène d’ampleur, relativement récent !

Avant, j’écrivais des choses en anglais, surtout sonores, qui devaient claquer. Rien de très profond. Puis un jour, je me suis rendu compte que les petits textes en français que je consignais dans un carnet pouvaient exister avec une musique. La vague des Thomas Fersen et autres M a été propice à Saule parce qu’il y a eu une contamination de la France à la Belgique : aujourd’hui, un public est là pour cela. Quand je fais la première partie d’Higelin, de Cali ou de Bénabar, je suis étonné de voir combien cela prend vite. En France, je me suis retrouvé à ouvrir, en solo, les concerts d’Aldebert jusqu’au final, dans une salle de quatre mille personnes à Besançon. Je pensais que des morceaux intimistes comme  » Madame Pipi  » auraient du mal à passer, que je serais  » le grand dadais qui fait chier avant la vedette  » et après trois morceaux, j’avais l’impression qu’ils ne voulaient plus me laisser partir.

Le jour où tu passes chez Drucker ?

Je dis  » Bonjour, Monsieur Drucker  » ( rires). Non, j’essaie de vivre au jour le jour et je ne me couche pas le soir en disant qu’un jour je serrerai la main de Nagui…

Dans la chanson  » Minimum « , il y a ces phrases :  » Pour faire l’amour/Il faut être deux/minimum (…) Plus on le fait/Moins on se contente du minimum « . Séducteur ?

Ce n’est pas ça : je me demande jusqu’à quel minimum on peut aller. Je ne suis pas enclin à la polygamie… C’est plutôt contre cette soi-disante obligation d’aller vite, vite, vite, que mon c£ur d’artichaut proteste.  » Le Baiser « , par exemple, s’inspire d’une affiche de Klimt qui est dans ma chambre et que j’ai décrite, dans un style d’écriture automatique : le visage de la femme, son abandon…

Cela plaît aux filles ?

Ce morceau-là plaît énormément aux filles mais je ne l’ai pas fait pour cela. Il y a quelque chose de féminin dans la sensibilité du morceau : c’est la femme qui parle !

Dès qu’on te rencontre, on peut également sentir le distrait qui est en toi !

Je suis quelqu’un de superdistrait. J’ai un morceau là-dessus,  » Tête d’ailleurs « , et je me dis parfois que c’est extrêmement fatiguant de vivre avec moi-même. Un soir, j’ai oublié une guitare sur scène et je suis allé la rechercher le lendemain…

Comment as-tu vécu la séance de mode organisée au Théâtre 140 par notre magazine ?

A priori, je ne suis pas très concerné par la mode mais je me suis laissé prendre au jeu : selon la façon dont je me sentais avec les vêtements, je modulais mon attitude pour la photo. J’étais comme un gosse devant une armoire pleine de déguisements et à qui on dit  » Vas-y, amuse-toi « . Je ne me suis pas posé de questions sur ce que cela donnerait, j’ai pris cela comme un délire consenti. Tant que je ne me sentais pas complètement ridicule, j’y suis allé. J’étais d’ailleurs déjà monté sur la scène du Théâtre 140 pour la première partie d’Higelin et j’y avais rencontré le directeur (Jo Dekmine), une espèce de savant fou ( il mime une coiffure énorme) qui est génial ( rires)…

Quand on te pose une question embarrassante, tu ris également ?

Oui ( rires), j’ai tendance à  » vite rire « . Je suis une bonne nature.

Philippe Cornet

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