Pastiches d’huiles
Entre l’art et la mode, c’est une affaire qui roule. On ne compte plus les associations de marques et d’artistes (sacs ou sneakers griffés par un peintre, collections de stylistes muées en fondations pour l’art contemporain, financement d’exposition par l’industrie fashion, soutien à la jeune création…). Un échange de bons procédés, en somme : l’artiste s’assure un coup de projecteur médiatique ; la marque, nimbée de la respectabilité qui sied au mécène, détourne le regard de ses objectifs purement commerciaux en s’instituant dépositaire du (bon) goût.
Grosse tendance marketing actuelle, le cocktail tournerait-il à l’éc£urement ? L’opportunisme gourmand de certaines marques phagocyterait-il la culture ? C’est en tout cas ce que dénonce le couturier français Jean-Charles de Castelbajac. Chantre du détournement (on se souvient de ses premiers vêtements à base d’éponges et serpillières), précurseur du crossover art-mode ( » robes-tableaux » peintes par Annette Messager, Ben ou encore Robert Combas dans les années 1980, clins d’£il à Jeff Koons lors de son dernier défilé), l’élégant trublion des podiums dit vouloir » prendre la parole face au tsunami, au karaoké des expressions artistiques actuelles « . Son manifeste ? Une série de 30 toiles baptisée » Co-branding « . Actuellement exposés à Londres au restaurant Le Sketch avant de rejoindre au printemps prochain la galerie londonienne Paradise Row, ces pastiches parfaits de chefs-d’£uvre de l’histoire de l’art ont été reproduits en Chine selon les techniques d’époque. Seule différence, ces tableaux semblent étouffés par le logo d’une marque. La grande odalisque d’Ingres nous toise derrière un grillage de monogrammes Gucci, le portrait du duc d’Urbin et de sa femme par Piero della Francesca se devine derrière les sigles Dior et YSL… L’industrie de la mode n’est pas seule visée par ce pamphlet visuel. Tous les symboles du consumérisme à grande échelle s’emparent du patrimoine pictural : la pomme d’Apple cache le sexe de L’Origine du monde de Courbet, le M de McDonald’s mange La Vierge à l’enfant entourée d’anges de Fouquet (photo)… » Maintenant, je rêve d’un Radeau de la Méduse voguant sur la virgule Nike « , s’enthousiasme Castelbajac, convaincu de condenser à travers cette performance néo-pop l’histoire de sa vie. Celle d’un acteur infatigable du détournement. D’un observateur éclairé du décloisonnement des genres. Bref, d' » un artiste pop qui fait des robes « , comme il dit.
Baudouin Galler
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