Echappant à l’image du paradis grec, l’île  » sacrée  » où Jean l’Evangéliste aurait rédigé l’Apocalypse incarne un réalisme poétique encore empreint des années 1950 et d’une culture populaire vivace qui font sa séduction naturelle. A découvrir sur fond de plages et de grand panoramique bleu.

Vu de Prophitis Ilias, Patmos ressemble à ce qu’elle est : du roc volcanique flottant à la surface de l’eau, tout ce qu’il reste de la légende d’une île jaillie du fond des eaux grâce aux forces divines d’Apollon et de Zeus, selon le souhait d’Artémis. Quoi qu’il en soit, la géographie a eu la main heureuse et a satisfait le besoin qu’ont les hommes de regarder des beaux paysages. Des siècles plus tard, à la recherche d’un bout de terre fertile, ils dessinèrent les champs en terrasses et les petites plaines cultivées en jardins que vient lécher la mer. Quant aux plages, elles se partagent le sable blond et les cailloux bizarrement veinés que les estivants collectionnent. C’est justement parce que Patmos échappe au cliché surfait du paradis grecs qu’elle demeure, aujourd’hui encore, une île protégée. Et puis dix heures de bateau depuis Le Pirée pour atteindre le nord du Dodécanèse – et pas d’aéroport -, cela dissuade les chaînes hôtelières. Dès la descente en bateau, à la sensation étrange et dépaysante de débarquer sur une île inconnue s’ajoute le sentiment d’arriver à temps. Avant la grosse industrie des loisirs, le scooter des mers, le parachute des plages. On ne se trompe pas. Hormis quelques loueurs de voitures et un distributeur automatique de billets devant le port, il suffit de s’enfoncer dans les ruelles de Skala pour se projeter dans une intimité populaire et surannée : des portes ripolinées de vert ou de bleu aux coulures épaisses, le linge aux fenêtres, des minijardins filtrés par les pots de plantes grasses, des figuiers et des bougainvillées, l’ombre d’un pope sous une arcade…

Dans les criques scintillant sous le soleil, juste la rumeur de la mer Egée, le cri d’une mouette, l’air de l’  » Odyssée  » défiant les siècles. Le petit pêcheur de poulpes glissant dans l’eau avec son trident ressemble à Poséidon. La jeune s£ur aux cheveux noirs est Thétis, une néréide en maillot fluo : elle ne lâche pas des yeux son frère qui bat fort l’animal pour attendrir la chair. Les silhouettes font des anamorphoses avec leurs ombres sur le sol. Et l’on se dit que Patmos est tout cela à la fois : la réalité de l’époque et l’ombre de l’Antiquité. Bien d’autres êtres divins et humains sont passés par ces rivages. A commencer par saint Jean l’Evangéliste. Il y a 1900 ans, l’esprit de Dieu aurait révélé les écrits de l’Apocalypse à l’apôtre. Le dernier ouvrage de la Bible fera de l’endroit un site religieux réputé qui attirera moines et ascètes. Ils égrainèrent nombre d’ermitages et de chapelles dans le paysage séché par les vents. Le monastère dédié à saint Jean protégeait des pirates les habitants de Chora. Il jouit depuis toujours d’une grande renommée. On raconte dans le pays qu’Umberto Eco, auteur du roman  » Le Nom de la rose « , est venu y puiser quelques sources d’inspiration. Mais ceux qui seraient tentés de réduire Patmos à un foyer d’ascèse ignorent à quel point l’île se révèle truffée de plaisirs simples et quotidiens. Boire un café sur la place de Skala, au Houston de préférence. La terrasse n’est peut-être pas ensoleillée mais l’endroit, peint en rose et vert depuis toujours, figé dans le temps, vaut qu’on s’y arrête pour partager sa nostalgie. Revenir en fin d’après-midi devant un verre d’ouzo. Sur la place animée tel un corso de vieux bourg italien, le kiosque des articles de plage est un réservoir de rêves pour les gamins. Au moment où les scooters embouteillent le port, monter à Chora par le chemin pavé à travers la végétation aux odeurs d’eucalyptus. Les maisons brillent du blanc miraculeux de la chaux. En surplomb des petites bâtisses se dressent les altières demeures dont la richesse se devine de l’extérieur par leurs dimensions et leur porte. A Patmos, il est de règle de posséder sans se montrer. L’histoire de l’île s’est bâtie ici, les pierres en portent encore la trace : envahie par les Vénitiens flirtant avec les Crétois qui s’y sont installés, occupée par les Turcs pendant quatre siècles, tantôt désertée tantôt florissante et donnant naissance à des familles de commerçants et d’armateurs. Pourtant, malgré ces trépidations d’un autre âge, jamais on ne se sent aussi en paix qu’en s’attablant à la taverne Panthéon devant un poulpe grillé. Et encore davantage lorsqu’on arrive en pleine campagne sous la tonnelle du vannier, où la modernité n’est pas parvenue à distiller ses effets pervers. Les gens d’ici restent attachés aux traditions ; un peu grâce à eux, leur île conserve son caractère. Il suffit pour s’en convaincre de parler avec Carine Natali-Kamitsis, architecte française arrivée il y a neuf ans.  » Patmos ressemble au ciel et à la Terre au commencement, elle est hors du temps « , dit-elle. Yorgos, son mari, fabrique à l’identique les anciens lits patmiotes qui meublent les maisons. En bas, le chantier naval de Diakofti construit les caïques comme autrefois, ceux qui vous amènent sur les plages sauvages inaccessibles par la terre. Celle de Psili Amos est une incarnation du paradis : l’eau claire, le sable… Rien d’autre que la simplicité et la douceur dans cet aquarium géant imaginé par les dieux. On y passe la nuit sous un tapis d’étoiles au moins une fois pendant l’été. Etre au milieu de nulle part, sentir une plénitude vous envahir. Du bonheur pur à prolonger le lendemain sur d’autres plages peu fréquentées ou les tavernes – chaises de guingois et nappes à carreaux sous les tamaris – inscrivent à leur carte poissons grillés, octopus et chorta, légumes verts servis cuits avec un filet d’huile d’olive et du citron. De quoi avoir définitivement l’impression d’être au bon endroit au bon moment.

Reportage et texte : Geneviève Dortignac

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