Boulimique du clic-clac Kodak, Paul Smith déclenche comme il prend des notes : partout, tout le temps. Sélection forcément infime parmi les milliers de photos qui constituent l’album intime et délicieusement foutraque du plus brit’ des créateurs brit’.

Sans fausse modestie, il ne prétend pas être photographe. Il fait des photos, nuance. Beaucoup de photos. Énormément. C’est bien simple : il ne sort jamais sans son appareil. L’£il perpétuellement aux aguets, l’index prêt à bondir sur le déclencheur, Paul Smith nourrit ainsi son insatiable curiosité pour les menus phénomènes qui font le sel du quotidien. Si depuis une dizaine d’années il signe à l’Hasselblad ses propres campagnes de pub et prête son regard décalé à de nombreux magazines de mode ( L’Express Styles, Sunday Times Magazine, Numéro…), c’est moins dans ce registre léché et professionnel qu’on retrouve la personnalité attachante et facétieuse du couturier que dans les milliers de clichés qu’il amasse comme autant de notes destinées à immortaliser les clins d’£il que nous fait la vie. On le pressentait fortement, c’est définitivement certain : malgré sa notoriété planétaire, Paul Smith garde une faculté d’émerveillement intacte. Une âme d’enfant franchement rafraîchissante et plutôt improbable dans le monde hystérique de la fashion.

Cet inébranlable enthousiasme, de même que son amour pour la photographie, il le tient directement de son père, Harold.  » J’avais 11 ans quand il m’a offert mon premier appareil, nous raconte le créateur autour d’un café matinal dans sa boutique anversoise. Je l’accompagnais au club de photo local dont il était le fondateur. On assistait à des conférences sur Cartier-Bresson, Lartigue, l’instant décisif. Il avait une pratique très créative et pleine d’humour. Dans la chambre noire qu’il avait aménagée dans le grenier de notre maison, il adorait faire des montages en combinant les négatifs. Il m’a un jour assis sur une carpette et a mixé l’image avec un paysage de tours, j’apparaissais tout à coup sur un tapis volant. « 

Aujourd’hui, Sir Paul regrette un peu le temps de l’argentique, le charme du développement, son odeur, sa magie.  » Le numérique me met parfois mal à l’aise. C’est tellement facile. J’ai l’impression de tricher. Mais d’un autre côté, ça me convient parfaitement. Je ne suis pas toujours très bon : je peux prendre autant d’images que je veux sans avoir l’impression de gaspiller un film.  » Résultat : débarrassé de tout scrupule, il a transformé son compact en agenda visuel. Au contact de sa gourmandise de la vie, son appareil surchauffe. Et laisse une quantité de traces presque déraisonnable de ce qui le fait vibrer : la lumière de Paris au petit matin, les fleurs, le vélo, l’absurde, le grotesque – mais jamais sous un angle caustique, contrairement à son ami Martin Parr avec qui il partage en revanche un goût prononcé pour le kitsch. Bout à bout, ces fragments modestes de réalité forment une mosaïque fidèle et réjouissante du personnage. Une accumulation d’images sans prétentions techniques parcourues d’une vitalité sautillante.

Dans Notes, l’ouvrage que lui consacre ces jours-ci le journaliste Olivier Wicker aux éditions de La Martinière, Paul Smith se décrit comme un hybride entre Mr Bean et un tailleur de Savile Row. Entre la pitrerie et le chic ultime, il y a effectivement une place pour l’élégance décomplexée. Paul Smith y a son rond de serviette.

PAR BAUDOUIN GALLER

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