Il n’est ni architecte ni urbaniste. Ou un peu des deux. Son métier, c’est de créer des paysages. Une expo au centre deSingel, à Anvers, met en lumière le travail du Bruxellois Bas Smets. Peu connu chez nous, il a pourtant déjà oeuvré avec les plus grands concepteurs de la planète, notamment Frank Gehry.

L’an prochain, le chantier du parc des Ateliers, qu’il a pensé avec l’architecte Frank Gehry, sortira de terre, à Arles. Tout comme un tronçon d’autoroute de l’A11, en Flandre, et une écluse sur la Lys, à Harelbeke. Entre-temps, Bas Smets s’offrira le luxe de concevoir un  » petit  » jardin, celui d’un grand artiste dont il taira le nom – il s’octroie ce plaisir une fois par an,  » un véritable laboratoire, puisqu’on peut y expérimenter des techniques plus rapidement que lors de projets d’espaces publics « , se justifie-t-il. Son job est difficile à définir. Il n’est pas architecte, puisqu’il n’érige aucun bâtiment. Pas seulement urbaniste non plus car une fois ses plans d’ensemble réalisés sur papier, il les concrétise sur le terrain, allant jusqu’à dessiner un lampadaire ou un détail de caniveau. Paysagiste est le terme qui lui convient le mieux, mais pas dans le sens où on l’entend habituellement chez nous, car loin de jouer les jardiniers experts, sa réflexion va plus loin dans l’analyse, puis la création, de paysages à l’échelle d’une ville, d’une région, d’un pays.  » Je dis souvent que je fais de l’urbanisme à partir du paysage, synthétise le Bruxellois à la tête d’une équipe d’une dizaine de personnes. A 18 ans, je voulais être urbaniste. Je rêvais de pouvoir réorganiser des lieux chaotiques tels que les ghettos de Rio. Puis, j’ai compris que, pour ça, il fallait d’abord étudier l’architecture.  » Le jeune homme entame un cursus d’ingénieur. Fraîchement diplômé, il enchaîne avec un doctorat qu’il ne terminera jamais puisque, lors d’un stage à Paris, chez le paysagiste Michel Desvigne – où il collaborera avec des architectes de l’envergure de Herzog & de Meuron ou Rem Koolhaas – il trouvera sa voie.  » Ce que je voulais, c’était aménager des espaces, pas écrire. Je suis resté sept ans en France, j’ai fait une spécialisation en Suisse et, en 2007, j’ai ouvert mon agence à Bruxelles.  » Depuis, Bas Smets peaufine sa définition du paysage à coups de projets XL, réglés en toute dé-contraction, dans son atelier-nid d’aigle, près du canal bruxellois.

Qu’entendez-vous par  » paysage  » ?

La nature, c’est l’existant ; le paysage, c’est le projet. Le paysage naît par un  » process  » culturel. Au départ, la mer était sauvage et dangereuse. Elle n’est devenue sublime que plus tard, grâce à l’art. La ville d’Aix-en-Provence, elle, est un paysage depuis que Cézanne l’a immortalisée… Il faut apprendre à regarder, pour que le pays, sans valeur esthétique, devienne paysage.

Vous dites que la Belgique se préoccupe peu du paysage…

Chez nous, il y a une riche tradition de jardins. Je pense à René Pechère (1908-2002) ou Jacques Wirtz (1924), mais aussi aux jardiniers du Moyen Age qui avaient une vaste connaissance des plantes grâce à nos conditions idéales de culture, en termes de sol et climat. En revanche, les notions de paysage et de paysagisme sont moins considérées. Quand je me suis lancé, même mon assureur a dû redéfinir mon contrat, car il disposait de modèles pour les architectes, les architectes de jardin, mais rien pour ce que je faisais. Mon métier n’existait pas ! Notre nation se situe entre les paysages néerlandais façonnés par l’homme et ceux, plus naturels, de la France, mais elle-même ne dispose ni des uns, ni des autres. Le relief est tellement plat qu’on peut construire n’importe où, il n’y a quasi plus de villages, de villes, juste une continuité de bâti, qui me fascine et me dégoûte. Pour enrayer cet étalement urbain, je pense qu’il faut miser sur les cours d’eau, qui sont la dernière résistance du paysage à la pression du développement. A Bruxelles, 80 % des espaces verts sont liés aux affluents de la Senne. Mon idée : créer un système de parcs linéaires liés à ces rivières. Il permettrait à l’eau de s’infiltrer peu à peu dans le sol pour ne pas submerger les bassins d’orage. Ces espaces offriraient un lieu nouveau pour appréhender la cité.

Comment abordez-vous un nouveau projet ?

On fait d’abord une lecture précise de l’existant, couche par couche, thème par thème : la végétation, l’hydrographie, la topographie, etc. On analyse les vues aériennes et on redessine par-dessus tantôt les arbres, tantôt les cours d’eau… Ensuite, on compare les cartes pour trouver des corrélations. Nous avons fait une recherche sur Bordeaux et, en mettant en parallèle l’analyse de la direction des vents et celle des affluents de la Garonne, nous avons trouvé une solution innovante d’aménagement du territoire. Dans cette ville, le réchauffement climatique a un impact important sur la culture vinicole. Avec des ingénieurs, on a constaté que les vents venant de l’ouest, refroidis par les Landes et l’Atlantique, pouvaient, si on les canalisait le long de l’eau, créer une sorte d’air conditionné territorial. Jouer sur le climat du lieu grâce au paysage, il y a un vrai futur là-dedans !

Paysagisme et architecture sont-ils néanmoins liés ?

J’essaie de faire comprendre à tout le monde que le paysage n’est pas un dérivat de l’architecture mais un compagnon. A mes yeux, mon métier s’inscrit davantage dans la continuité de la peinture, de cette recherche de montrer autrement l’existant.

Paysages-Landschappen, Bas Smets, deSingel, 25, Desguinlei, à 2018 Anvers. www.desingel.be Jusqu’au 5 janvier 2014.

PAR FANNY BOUVRY

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