Nouveau président de Eurotoques, l’association des plus grands chefs européens, Pedro Subijana est sentimentalement attaché à la côte basque. Son restaurant Akelare lui offre, jour après jour, une vie qu’apprécierait Alexandre le Bienheureux.

Guide pratique en page 60.

Situé à quatre kilomètres du centre de San Sebastian, Akelare (la sorcière en basque), le restaurant de Pedro Subijana, est niché sur les collines qui partent de Igueldo, le point culminant de la baie. Tout autour s’étirent des prairies où paissent des moutons.  » La nuit, lorsque le temps permet aux pêcheurs de travailler par ici, la mer, elle, ressemble à un ciel dégagé. Toutes leurs lampes sont autant d’étoiles qui brillent sur les flots.  » La jeune femme qui s’exprime avec tant de poésie mesure pleinement le bonheur qu’il y a de vivre face à l’océan et à ses tableaux changeants. La côte basque présente, en effet, un climat variable, de ceux qui peuvent offrir les quatre saisons en une seule journée.

Il est deux heures du matin… Les derniers clients pensent à s’en aller. Ce sont des fidèles qui choisissent Akelare lorsqu’il y a un événement à célébrer.  » Pedro nous a encore surpris, s’extasient-ils en ch£ur. Cette cuisson du filet de cerf a rendu la viande si moelleuse, si savoureuse. Il paraît qu’il fait la même chose avec le calamar et que la chair du mollusque est beaucoup plus tendre. Et puis son dessert, un Gin Tonic à l’assiette, c’est tout simplement renversant.  »

Le secret de la cuisson du filet de cerf ? La pièce de viande est plongée durant 10 minutes dans une huile maintenue aux environs de 70 °C. Pedro Subijana arrose ensuite la viande d’une poudre huileuse d’oignons colorés au four. Pour les calamars, le chef utilise une encre de seiche séchée et réduite en poudre.  » En fait, explique-t-il, cette cuisson à l’huile à basse température ne colore pas les surfaces, comme le ferait une friture à haute température, une plancha ou un gril. J’ai recours à cet artifice pour peaufiner la présentation des mets.  »

Son dessert à base de Gin Tonic est, lui, une ode au genévrier qui pousse à l’état sauvage dans la région : on trouve dans la recette à la fois l’alcool et la baie. Le c£ur du dessert est une gelée translucide de Gin et de Tonic. Découpée en dés, elle a des allures de glaçons. La fraîcheur est ainsi évoquée à la fois dans le goût et dans la présentation très évocatrice.

A entendre les propos enthousiastes de ses clients, comme à son habitude, Pedro Subijana sourit dans sa moustache touffue. Ses yeux brillent de bonheur. Il sait qu’il vient une fois encore de récolter le fruit de son ouvrage, inlassablement remis sur le métier.  » Je me suis astreint à une discipline, dit-il, celle de revoir complètement les menus de dégustation tous les deux mois. Nous avons besoin de buts pour progresser.  » Les recettes qui font le succès d’Akelare sont élaborées avec des techniques et des ustensiles de pointe.  » Il est un fait que la nouvelle cuisine û surtout espagnole û fait appel à des méthodes de plus en plus sophistiquées, commente le chef. Pourtant ce savoir-faire intéresse le grand public. J’en ai une preuve tout à fait convaincante, via mes émissions de télévision. Depuis douze ans, je présente des recettes sur plusieurs chaînes. Pendant les dix premières années, j’ai suivi l’avis de mes producteurs et j’ai fait simple. Maintenant, j’ai décidé de présenter une fois par semaine une des recettes d’Akelare. Et les résultats, les échos recueillis auprès du public sont très encourageants. En un mot cette cuisine de pointe passionne tout un chacun.  »

Depuis quelques mois, Pedro Subijana a endossé de nouvelles responsabilités. Il est en effet devenu le président international d’Eurotoques, l’association des grands chefs européens fondée par le Belge Pierre Romeyer. Et attention ! Pedro le timide, l’homme qui ne quitterait pour rien au monde son terroir, peut se muer en avocat offensif lorsqu’il faut défendre la cause de la gastronomie.  » Lors d’une de mes premières réunions à Amsterdam, on nous a fait visiter un marché de gros, confie-t-il. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que la plupart des poissons qu’on nous montrait fièrement provenaient d’élevages. Au Pays basque, c’est inimaginable. Le poisson est fourni par nos pêcheurs et, eux, pêchent sur nos côtes. Je ne prétends pas que le poisson de pisciculture est mauvais en soi. Tout dépend de la qualité de son alimentation. Mais cela, aujourd’hui, je ne peux pas en être certain. D’ailleurs, il y a quinze ans déjà, Pierre Romeyer s’inquiétait de ce que l’on donnait à manger aux animaux. En quelque sorte, il avait prédit le scandale de la vache folle.  »

Pedro Subijana l’a annoncé : il sera un président combatif et il en demandera autant de ses collègues responsables dans chaque pays. Son objectif ? Faire entendre à la Commission de Bruxelles et au Parlement européen les inquiétudes des chefs et leurs revendications en faveur de la qualité des produits.  » Tout d’abord, il faut que le consommateur soit averti, par un étiquetage clair et complet, martèle-t-il. Je pense notamment au taux de cacao dans le chocolat, qui souvent n’en est plus. Ensuite, des règlements doivent être revus. Comment peut-on imposer qu’on ne puisse plus utiliser des £ufs entiers mais qu’il faille se procurer séparément le blanc et le jaune ? Ici, nous achetons nos £ufs à des paysans du coin. Ce n’est pas eux qui ont la salmonellose mais bien les grands élevages. Et que dire de la volonté affichée de supprimer les fromages au lait cru. C’est tout un patrimoine européen qui disparaîtrait. Pourquoi ? Pour qui ? »

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