Tendance tsunami de cet été, le vêtement-tableau déferle sur les garde-robes des garçons et des filles. Petite révision d’histoire de l’art pour conjuguer allure et culture.

JACKSON POLLOCK chez Dolce & Gabbana, Yves Saint Laurent et Chloé

Directement inspirés de l’Action Painting de l’Américain Jackson Pollock (1912-1956) chez Dolce & Gabbana (3.) ou, plus largement de l’Expressionnisme abstrait ou de l’Art informel chez Yves Saint Laurent homme (1.) et chez Chloé (2.), les modèles  » coup de pinceau  » pointent au sommet de la tendance vêtement-tableau de cet été. Symptôme d’une libération radicale de l’acte de peindre après la Seconde Guerre mondiale, héritée entre autres de l’automatisme cher aux surréalistes, la gestuelle spontanéiste et énergique met le corps et la matière sur le devant de la scène. Une démarche cathartique apparemment toujours du dernier… cri.

VINCENT VAN GOGH chez Dries Van Noten

On sait Dries Van Noten passionné de botanique. Ce n’est pas un hasard si, pour sa collection de prêt-à-porter femme printemps-été 2008, le créateur anversois s’est tourné comme un tournesol assoiffé de soleil vers l’artiste qui a su le mieux faire transpirer l’expressivité vitale des fleurs : Monsieur Vincent Van Gogh (1853-1890). Parangon de l’artiste maudit, le peintre au destin tragique signe avec les Iris une £uvre étonnamment apaisée, gorgée d’une délicatesse digne de l’art nippon. Un expressionnisme voilé et solaire qui donne à cette toile, exécutée par Van Gogh lors de son séjour à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, quelques mois avant son suicide, une puissance esthétique à secouer l’échine d’un sergent bourru.

GUSTAV KLIMT chez Christian Dior et Miu Miu

Patent dans certains modèles de la dernière collection haute couture Christian Dior (1.) signée John Galliano, en gros filigranes cet été dans la collection prêt-à-porter Miu Miu (2.), l’ornementalisme Sécession de Gustav Klimt (1862-1918) conquiert les de- signers par sa virtuosité. Vertus structurantes des lignes, hiératisme iconique, stylisation rigoureuse : il y a de quoi picorer dans l’art du Viennois quand on cherche l’épate. La tendance Art nouveau pointe d’ailleurs au sommet de la hype pour l’hiver prochain…

KASIMIR MALEVITCH chez Basso and Brooke

Lors de la London Fashion Week de septembre 2007, le duo de designers londonien Basso and Brooke faisait défiler sur les rives de la Tamise un chapelet de mannequins coiffés de formes librement piochées dans le vocabulaire plastique du Russe Kasimir Malevitch (1878-1935). Plus de quarante ans après la célèbre petite robe trapèze d’Yves Saint Laurent littéralement inspirée des Compositions de Piet Mondrian, un autre pionnier de l’art abstrait reçoit donc les hommages des catwalks. Il faut dire que la somptueuse radicalité formelle et la subtile tension spatiale atteintes par le chef de file du Suprématisme relève – le mot n’est pas vain – de la perfection. Un avant-gardiste dans tous les sens du mot. Un incontournable.

VICTOR VASARELY chez Ann Demeulemeester et Fendi

Cet été, Ann Demeulemeester (1.) dans sa collection homme et Karl Lagerfeld pour la femme de Fendi (2.) évoquent les effets optiques des toiles signées Victor Vasarely (1908-1997). Le pape du Cinétisme (ou Optical Art), très en vogue dans les années 1960 leur fournit un vaste champ de réflexion sur le mouvement, la magie des formes géométriques. Une alchimie froide et ludique à la fois.

MARK ROTHKO chez Alexander McQueen et Raf Simons

En version tie and dye pour la femme de l’été d’Alexander McQueen (2.), cousue de fil chaud pour l’homme de l’hiver de Raf Simons (1.), la référence aux toiles monumentales de Mark Rothko (1903-1970) inocule à ces collections la luminosité veloutée du peintre américain. L’abstraction de Rothko, loin de la gestuelle héroïque de l’Action Painting, trouve son expression dans des recoins plus intimes, moins flamboyants mais tout aussi intenses. L’art sensuel de la contemplation.

CLAUDE MONET chez Balenciaga

Pour la prestigieuse maison espagnole, déjà habituée des citations picturales (on songe aux collections de Cristobal Balenciaga inspirées des maîtres ibères Zurbaran et Goya), son directeur artistique, le Français Nicolas Ghesquière, s’est apparemment laissé éblouir par le travail sur la lumière, la couleur et la matière d’un Claude Monet (1840-1926) alors au faîte de son art : face à cette petite robe matiériste, on pense directement à la série des Nymphéas entamée en 1890 par le peintre impressionniste. Ce dernier vient alors de s’aménager un jardin de plantes rares dans sa maison de Giverny. Climax du  » plein-airisme « , ces toiles vibrionnent à la faveur d’une gestuelle nouvelle et d’une approche de l’instantanéité sacrément moderne.

DAVID HOCKNEY chez Victor & Rolf et Paul Smith

Référence hype de la saison, le peintre et photographe anglais David Hockney (1937) se voit cité dans les collections de Viktor & Rolf (1.) et Paul Smith (2.). Chez ce dernier, c’est l’allure même du dandy du pop art qui fait mode. Un cocktail chic et décalé complètement raccord à la saison. Pour sa part, le tandem néerlandais s’est tout naturellement laissé charmer par  » les couleurs vibrantes, les éléments graphiques effrontés, le tout dans une silhouette au chic affûté « .

DADA chez Ann Demeulemeester

Un vent de douce révolte souffle sur la collection masculine d’Ann Demeulemeester. A la faveur de tee-shirts sur lesquels s’étalent le mot DADA, la styliste belge évoque ce mouvement proto-punk apparu en Europe et aux Etats-Unis en pleine Première Guerre mondiale sous la plume, le pinceau et l’esprit sagace des Tzara, Haussmann et autres Schwitters. L’énergie créatrice que ces nihilistes érudits opposaient à la bienséance bourgeoise à coups de loufoqueries scéniques, de collages cocasses et autres textes dévastateurs ne peut que fasciner une créatrice pour qui le mot  » étriqué  » n’a qu’un sens : celui que ses vêtements ne prennent pas.

SONIA DELAUNAY chez Fendi

Chez Fendi, Karl Lagerfeld signe une robe légère comme le vent, ornée de cercles concentriques aux couleurs éclatantes comme aimait à les peindre Sonia Delaunay (1885-1979). D’origine ukrainienne, mariée au peintre Robert Delaunay dans la vie, comme dans l’£uvre, cette figure de la première abstraction, tendance géométrique, pratique sans bornes le mariage entre beaux-arts et arts appliqués. On lui doit dès les années 1910 des vêtements arty (robes, écharpes, manteaux …), des décors et costumes de théâtres (pour les ballets russes de Diaghilev, et dans les années 1920 pour le théâtre dada de Tristan Tzara). Dans la seconde partie de sa longue carrière, Sonia Delaunay élargira encore un peu plus son spectre créatif : vitraux, mosaïque, vaisselle… Une artiste  » trait d’union  » hyperréjouissante.

Baudouin Galler

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