Béatrice Ardisson, décoratrice sonore et femme de l’animateur télé biennommé, face à Daniel Hélin, chanteur à textes wallon et plutôt marginal : ça passe ou ça casse?

Tout le monde connaît Thierry Ardisson, l’animateur décapant du talk-show branché  » Tout le monde en parle « , diffusé chaque samedi sur France 2 vers 23 h 10. Entre décorum chic et interviews chocs, les questions sans tabou de l’homme en noir sont habilement rythmées de jingles efficaces et de samples adaptés aux invités. En apothéose finale, les personnalités présentes sur le plateau s’affrontent dans un  » blind test  » délirant, sorte de joute musicale où il convient d’être le premier à reconnaître l’interprète du morceau choisi.

Beaucoup moins célèbre que son mari, Béatrice Ardisson est précisément responsable de cet emballage de notes qui fait aussi le succès de l’émission. Illustratrice sonore depuis quelques années déjà, elle travaille également pour un autre programme du câble français,  » Paris Dernière « , sur la chaîne Paris Première, où elle s’est spécialisée dans la recherche de reprises audacieuses des plus célèbres tubes mondiaux. De ce véritable travail de fourmi musicale à échelle mondiale, elle a isolé une trentaine de titres respectivement répartis sur les volumes 1 et 2 de  » La Musique de Paris Dernière  » (Bang!). Le mythique  » Highway to Hell  » du groupe AC/DC y est réinterprété à la sauce latino, tandis que Madonna et Tom Jones naviguent entre easy listening et kitscherie délicieusement ringarde. Un régal!

A l’initiative de Weekend Le Vif/L’Express, le chanteur wallon Daniel Hélin a découvert ce petit bijou musical avant d’en rencontrer l’auteure de passage à Bruxelles. Entre la Parisienne étiquetée trendy et cet anticonformiste méconnu également géniteur de deux albums ( » Borlon  » et le récent  » Les Bulles  » également édités chez Bang!), la confrontation promettait d’être explosive. Alors, déflagration ou pétard mouillé?

Béatrice Ardisson : Quel âge avez-vous?

Daniel Hélin : 30 ans.

B.A. : Mais vous êtes un bébé! Moi, j’en ai 38. Je n’ai malheureusement pu écouter que deux de vos chansons. Ce n’est pas vraiment la musique que j’écoute habituellement, mais cela m’a fait rire. Moi, je passe plutôt ma vie à travailler avec des standards, c’est-à-dire des titres très connus qui font l’objet de reprises complètement décalées.

D.H. : Ma définition de la musique, c’est 90% de vol et…

B.A. : Moi, je ne travaille qu’avec ce que font les autres!

D.H. : Moi aussi, mais indirectement. Mon matériau est toujours référentiel mais pas toujours évident. Par exemple, pour la chanson  » Le Cochon « , j’ai imaginé une rencontre dans un carrefour entre une fanfare du genre Kusturica et une fanfare du nord de la Belgique.

B.A. : C’est de la fusion, en fait!

D.H. : Voilà! Je crois que personne n’a jamais rien inventé en musique. Ce n’est jamais que des trucs qu’on a volés à droite et à gauche.

B.A. : C’est le principe de la création, en musique comme en peinture.

D.H. : Tous des voleurs! Et c’est très bien d’ailleurs. Moi, j’aime bien cette idée-là…

B.A. : Mais pourquoi le terme voleur? On s’inspire, c’est tout.

D.H. : Oui mais, il y a aussi une notion aérienne dans voleur. J’aime bien cette idée-là.

B.A. : Je n’aime pas le terme de vol parce que, dans mon travail et dans les musiques que j’utilise, ce sont les gens qui ont écrit qui touchent ensuite les droits. Pas moi! Il s’agit de recréations. Ils utilisent la chanson d’un artiste et ils la réinterprètent avec talent.

D.H. : De toute façon, une chanson appartient à tous ceux qui l’entendent.

B.A. : C’est exactement ce que je pense. A un moment, la chanson dépasse son auteur. Les plus grandes chansons n’appartiennent plus à leur géniteur. Elles voyagent. Elles font partie de la mémoire collective.

D.H. : Le plus grand compliment que l’on puisse faire à un chanteur, c’est de propager sa chanson dans la rue. Il se lève un matin et les ouvriers qui travaillent sur sa charpente sont en train de siffler sa chanson.

B.A. : C’est génial.

D.H. : Pour moi, c’est un objectif.

B.A. : C’est le plus bel hommage. Moi, je considère ce que je fais comme un jeu. L’humour est quand même important. Je cherche aussi la pépite rare. J’ai une espèce de folie douce qui consiste à vouloir retrouver des reprises déjantées, un peu barges…

D.H. : Il faut toujours prendre du recul. En musique comme ailleurs, il est toujours nécessaire d’avoir un autre point de vue.

B.A. : Tout à fait! C’est ce que j’ai appris en dessin. J’avais un prof génial qui disait :  » Il faut oublier ce qu’on dessine et voir d’abord les volumes. Quand on dessine une pomme, il faut oublier que c’est une pomme, sinon on n’y arrivera pas. Il faut d’abord penser à la forme.  » C’est ça, la création : réussir à voir les choses sous différents points de vue. Et c’est ce que j’essaie de faire avec mes choix musicaux. Je refais de la musique. D’ailleurs, l’ordre des morceaux est très important…

D.H. : Vous faites de la composition en quelque sorte.

B.A. : Avec la musique des autres! En vérité, je fais de la récupération, comme les gens qui vont aux puces, qui achètent un truc un peu ancien et qui le remettent en forme. Un peu comme un ferronnier aussi : je pars d’une matière existante pour la remettre au goût du jour. Et c’est pour cette raison que je déteste le mot compilation pour désigner mes disques. Je préfère le mot collection. Cela s’apparente beaucoup plus à un bouquin. Il y a un livret, un graphisme étudié…

D.H. : Ce que vous faites me plaît. Je pense que les codes musicaux sont faits pour être brisés.

B.A. : C’est tout mon travail!

D.H. : Je vais sortir une connerie à deux balles, mais la vie c’est du mixage. Vous avez différentes pistes, vous mettez un peu plus de ceci, un peu moins de cela…

B.A. : C’est comme la cuisine! Mais les gens qui sont capables d’inventer leur vie ou de la rêver sont assez rares en fait. Parce que c’est souvent plus simple de se fondre dans une case…

D.H. : Moi, les gens me mettent dans le tiroir chanteur. Je trouve ça triste parce que je suis un conteur.

B.A. : Vous écrivez tout?

D.H. : Oui. Mais je ne suis pas un chanteur à voix.

B.A. : Il y en a qui ont de la voix et qui n’ont pas de textes. Je préfère l’inverse.

D.H. : Ce qui est rigolo, c’est que je suis à la fois considéré comme un alternatif par les punks qui viennent me voir et comme un chanteur à textes par les  » Madame Prof de français  » qui aiment bien ce que j’écris.

B.A. : C’est très bien. Vive le mélange! On est dans un monde de fusion. On a cette chance-là. Il faut en profiter. Moi aussi, on me met volontiers dans des cases. On me met dans la case  » femme de « , dans la case parisienne, dans la case chic, branchée, lounge, alors qu’il m’arrive aussi de faire des programmations de rock trash. Je ne vois pas pourquoi je me cantonnerais à un seul style.

D.H. : Mais êtes-vous musiciennne?

B.A. : J’ai toujours aimé la musique. J’ai appris le piano avec ma grand-tante qui avait été Premier Prix du Conservatoire, mais j’ai été obligée d’arrêter pour la simple raison que j’avais déménagé et que je n’avais plus d’instrument. Aujourd’hui, tous mes enfants jouent au moins deux instruments et, quant à moi, j’ai trouvé une nouvelle façon de travailler la musique. Je me suis inventé un métier qui me permette d’avoir accès à des tonnes de musique : illustrateur sonore. C’est une profession qui était bien représentée dans les années 1950, en télévision en tout cas, et qui a ensuite disparu par le simple fait que chacun venait finalement avec ses disques en montage. Parce que justement la musique appartient à tout le monde! Mais bon, ce n’est pas vraiment une carrière que j’avais planifiée…

D.H. : Ce qui m’intéresse dans votre histoire, c’est le parcours  » en dehors « . Moi, au départ, j’ai fait du théâtre itinérant, avec un grand chapiteau et des roulottes. D’ailleurs, j’ignore si vous savez, mais j’habite toujours dans une roulotte…

B.A. : C’est drôle, ça! Moi j’habite dans ma voiture ( rires)! Je suis toujours entre Paris et la Normandie, et donc je suis tout le temps dans ma voiture. Et elle bouge, votre roulotte?

D.H. : Non, mais on peut la bouger. Vous connaissez la caravane-stop?

B.A. : Non!

D.H. : Vous vous mettez sur le bord d’une route avec une petite caravane et vous faites du stop dans l’espoir de pouvoir vous accrocher à une voiture…

B.A. : ( Rires.) J’adore! C’est vachement malin. Je n’aurais jamais pensé à faire ça! Mais si je le fais, mon mari me tue ( rires)!

D.H. : Il y a des trucs qui faut absolument faire dans sa vie.

B.A. : J’aime bien les gens fous. J’ai toujours préféré les barjots. En fait, j’ai passé ma vie à essayer de croiser des gens un peu cinglés…

D.H. : Moi, je viens d’un milieu populo et je pense que l’éclectisme vient du fait que je n’étais pas sur une autoroute du genre  » processus scolaire  » : étudier ça, puis ça, puis ça… Il faut casser les codes!

B.A. : Il faut s’inventer sa propre vie. C’est difficile à faire, mais c’est très important. Selon le milieu d’où vous venez, on vous dicte ce que vous devez faire. Il faut réussir à sortir de ça.

D.H. : D’autant plus qu’il n’y a pas de mode d’emploi! A un moment donné, je m’étais même dit :  » Je vais m’acheter un gros cheval et je vais faire mes tournées en roulotte.  »

B.A. : Le côté saltimbanque!

D.H. : Vous savez d’où vient ce mot? De l’italien  » saltimbanco  » : qui saute sur un banc. Donc, c’est le gars qui est dans un restaurant et qui monte sur une table pour faire son truc. Mais moi, mon problème, c’est que je chante faux.

B.A. : Ce n’est pas grave, ça! Cela peut être un style ( rires)!

D.H. : Cela fait partie de mon territoire. Mais tout est relatif. La justesse, c’est plus dans l’intention.

B.A. : Chez les plus grands interprètes, il n’y a pas que des gens qui chantent juste.

D.H. : Non, c’est rare. Mais mon vrai territoire de chasse, c’est plus les concerts que les disques. Ma force, c’est la scène. C’est là que je trouve une folie dans l’instant qui me permet de dévier carrément de mes structures musicales. J’aime bien improviser avec les gens qui sont là. Et il n’est pas rare que je parte dans des délires. Je joue vraiment avec l’instant. Je suis très instinctif. Et je pense vraiment que la véritable force que nous, artistes, pouvons avoir, c’est avec le public.

B.A. : Je n’ai pu le constater qu’une seule fois quand je me suis retrouvée, à 38 ans, mère de famille, en train de passer des disques dans une boîte branchée, à l’Elysée Montmartre. C’était très rigolo et j’ai vu les gens réagir en direct. Je n’avais jamais vécu cela. Il y avait 1 000 personnes devant moi ( rires)! Elles dansaient, elles sautaient, j’étais ravie! Parce que je suis timide en fait et c’est une bonne thérapie.

D.H. : Moi aussi je suis timide. Je fais souvent le malin mais je suis hypra-timide.

B.A. : Je me suis cachée pendant très longtemps dans l’ombre de mon mari. Mais ce n’était pas dur. C’était plutôt agréable car c’est dans ma nature : j’étais ravie d’être protégée. Mais je ne me rendais pas compte de l’effet que pouvait avoir une performance devant les gens. C’est vraiment épanouissant.

D.H. : J’aime bien la scène, mais en fait, je suis un homme des bois.

B.A. : Vous êtes un ours! J’aime bien définir les gens par race animale. A la maison, il y a trois ours et deux chats. Thierry et moi, on adore chercher l’animal chez les gens. Mon père, c’est un castor. Ma mère, c’est un lapin. Et vous, vous êtes un ours. Cela se voit tout de suite.

D.H. : J’adore ça! Alors, je dirais que mon batteur, c’est un loir. Et ma p’tite dame, c’est une souris. De toute façon, j’adore les bêtes.

B.A. : C’est quelque chose de très important pour moi. Je me méfie beaucoup des gens qui n’aiment pas les animaux.

D.H. : D’ailleurs, j’ai des souris chez moi. Le problème, c’est qu’elles sont un peu trop nombreuses et j’ai donc trouvé un piège bio pour résoudre le problème. Vous connaissez le piège bio?

B.A. : Non!

D.H. : C’est une boîte avec une grille où l’on place un morceau de fromage. Lorsque la souris le mange, la cage se ferme sans faire de mal à l’animal. Alors, à ce moment-là, je mets la petite cage sur mon vélo et je vais déposer la souris à la gare pour qu’elle prenne le train.

B.A. : ( Rires.) Thierry m’avait prévenu : les Belges sont complètement barges! Cela dit, je trouve que ça a l’air assez cool ici…

D.H. : C’est un pays où il fait bon vivre.

B.A. : On ne sent pas de tension. Mais il y a une espèce de folie aussi…

D.H. : L’autodérision! On est le seul peuple avec les juifs et les Anglais à se foutre constamment de notre propre gueule.

B.A. : Ce n’est pas mal!

D.H. : C’est notre force.

B.A. : Mais le pays est plat. Cela rend les gens un peu barges, non?

D.H. : J’ai fait une chanson sur la Belgique qui s’appelle  » Carte postale « . Ecoutez-la, vous verrez…

B.A. : D’accord. Je l’écouterai.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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